I.3.3. Lutter contre le « terrorisme »... À n’importe quel prix ?

Ou, pour reprendre un proverbe connu, la fin justifie-t-elle tous les moyens ?
A-t-on par exemple le droit d’utiliser la torture pour lutter contre le « terrorisme » ?
« Ensuite, [le gardien] a apporté une caisse sur laquelle il m’a fait monter, et il s’est mis à me frapper. Puis un grand Noir est arrivé, il a attaché des fils électriques sur mes doigts, mes orteils et mon pénis et m’a recouvert la tête d’un sac. Puis il a dit : “c’est quel bouton pour l’électricité ? »
Détenu irakien à la prison d’Abou Ghraib, 16 janvier 2004
(déposition effectuée auprès d’enquêteurs militaires américains et obtenue par le Washington Post )

La torture est un interdit absolu, elle n’est autorisée dans aucun cas.29
Cette interdiction est en train d’être remise en question : dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », certains États ne se contentent pas de recourir à la torture et aux mauvais traitements, ils affirment également que ces actes sont justifiables et nécessaires.
Les pays qui disent placer les droits humains tout en haut de leur échelle de valeurs sont en première ligne dans cet assaut contre la dignité humaine. Et parmi eux figurent les États-Unis, dont la conduite a une grande influence sur l’action des autres gouvernements. L’attitude des autorités américaines conforte les États qui ont régulièrement recours à la torture. Il devient difficile pour les É-U de critiquer la situation des droits humains en Chine ou en Russie, par exemple, lorsque ces pays profitent de « la guerre à la terreur » déclarée par le président G.W. Bush pour réprimer des minorités ethniques ou religieuses (les Tibétains ou les Ouïghours en Chine, les Tchetchènes ou les Ingouches en Russie par exemple).
Dans le même temps, le recours à des méthodes qui s’apparentent à la torture est en totale contradiction avec les valeurs que la « guerre contre le terrorisme » est justement censée défendre.
Pour ne pas utiliser le mot « torture » qui fait peur, des responsables politiques américains parlent de « techniques d’interrogatoire coercitives ». Sous cette expression se cache bien entendu des actes de torture très graves, comme ceux subis par les détenus de Guantanamo (voir plus loin les témoignages). Ouvrir la porte à la torture, c’est ouvrir la porte à tous les abus. Si une gifle ne suffit pas, on passe aux coups. Et si les coups ne suffisent pas ? Les photographies sont là, les témoignages aussi. La torture et les mauvais traitements sont cruels, inhumains, et toujours dégradants.
Pour en savoir plus
Rapport d’Amnesty International : les États-Unis d’Amérique - Guantanamo et au delà : à la recherche d’un pouvoir exécutif sans limites, mai 2005. ( Index AI : AMR 51/083/2005, disponible sur www.amnesty.org)
Ce rapport contient un grand nombre de témoignages de personnes détenues dans les différents centres de détention américains à travers le monde (base navale de Guantanamo, mais aussi en Afghanistan, en Irak, dans des lieux tenus secrets à travers le monde et sur le territoire des E-U).
Autres rapports d’Amnesty sur la « guerre contre le terrorisme » :

  TORTURE. Cruels. Inhumains. Et dégradants pour tous. Non à la torture et aux mauvais traitements dans la « guerre contre le terrorisme », 01/08/2005 (ACT 40/010/2005)

  NATIONS UNIES. SOMMET MONDIAL 2005 (NEW-YORK, 14-16 septembre). Une occasion historique de renforcer les trois piliers des Nations unies : développement, sécurité et droits humains, 11/08/2005 (IOR 41/050/2005)

  ÉTATS-UNIS. TORTURE ET DÉTENTION SECRÈTE. Le témoignage de « disparus » dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». CIRCULAIRE D’ACTION n°1 : autorités étasuniennes, 04/08/2005

  ÉGYPTE. TORTURE ET DÉTENTION SECRÈTE. Le témoignage de « disparus » dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». CIRCULAIRE D’ACTION n°4 : autorités égyptiennes, 01/08/2005 (MDE 12/029/2005)

  JORDANIE. TORTURE ET DÉTENTION SECRÈTE. Le témoignage de « disparus » dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». CIRCULAIRE D’ACTION n°2 : autorités jordaniennes, 01/08/2005 (MDE 16/004/2005)

  YÉMEN. TORTURE ET DÉTENTION SECRÈTE. Le témoignage de « disparus » dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». CIRCULAIRE D’ACTION n°3 : autorités yéménites, 01/08/2005 (MDE 31/011/2005)
Débat
Posez à vos élèves les questions suivantes :

  Quand on interroge des « terroristes » présumés, n’est-il pas admissible de priver un peu ces individus de sommeil ou de leur infliger des sensations désagréables ne causant pas de dommages corporels durables ?

  La torture ou les autres mauvais traitements, s’ils ne sont utilisés que dans les situations les plus impérieuses, ne constituent-ils pas un moindre mal ? Ne serait-il pas acceptable de maltraiter une personne si cela pouvait sauver des milliers de vies ?

  Supposons que quelqu’un soit sur le point de faire exploser une bombe atomique : ne serait-il pas justifié d’avoir recours à des mauvais traitements, voire à la torture (bien que ces agissements soient ignobles) si cela permettait de recueillir des renseignements cruciaux susceptibles de sauver des milliers de vies ?

  Et si la vie de votre enfant était en jeu ? Ne voudriez-vous pas que les autorités fassent tout pour le sauver ?

  Pourquoi les « terroristes » auraient-ils les mêmes droits que nous alors qu’ils ne respectent pas nos droits ?

  Êtes-vous en train de dire que tous les détenus sont innocents ?

  Il faut trouver des moyens originaux de faire face aux menaces contemporaines. Le danger du « terrorisme » international est apparu récemment : ne faut-il pas y répondre par de nouvelles techniques ?

  Si la coopération internationale constitue un élément important des techniques nécessaires pour lutter contre le « terrorisme » international, quel mal y a-t-il à envoyer des « terroristes » dans d’autres pays afin qu’ils soient interrogés par les autorités de ces pays ?

  Pourquoi Amnesty International s’en prend-elle aux États-Unis ? Qu’en est-il des autres pays dans lesquels la situation en matière de torture est bien pire ?

  Puisque le gouvernement américain a rejeté explicitement la torture, est-ce qu’il subsiste vraiment un problème ?

  Mais n’y a-t-il pas de nombreux cas où la torture est efficace ?

  Pourquoi Amnesty International se soucie-t-elle plus des « terroristes » que de leurs victimes ?
Trouvez des réponses argumentées à toutes ces questions sur : http://web.amnesty.org/pages/stoptorture-arguments-fra
Sur la justification de la torture dans la guerre contre le « terrorisme » par les É-U.
Né en 1930, le Dr Burton J. Lee anime Physicians for Human Rights, une association visant à promouvoir la santé en protégeant les droits de l’homme. L’organisation, qui a partagé le prix Nobel en 1997, se bat notamment contre la torture dans le monde et contre les mauvaises conditions dans les prisons. Voici un texte dans lequel il dénonce le recours à la torture par les É-U dans la lutte contre le « terrorisme ».
« Ayant été médecin militaire, puis médecin personnel du président G.W. Bush père pendant quatre ans, je pourrais être suspect de porter un regard partisan sur les allégations selon lesquelles l’armée américaine s’est rendue coupable d’actes de torture et de sévices. Mais c’est précisément au nom du respect que je porte à notre armée et de mon attachement à la déontologie médicale que je m’exprime aujourd’hui. Je m’élève contre l’usage systématique qui est fait de la torture sur des prisonniers dans le cadre de notre guerre contre le terrorisme, et avec la bénédiction de notre gouvernement. Je suis par ailleurs profondément troublé par les rapports faisant état de la complicité du personnel médical de l’armée dans ces abus. Cet incroyable retournement de nos pratiques et de nos valeurs est totalement étranger à ma conception de l’Amérique contemporaine, du gouvernement de mon pays et de ma profession. L’éthique militaire que je connais interdit catégoriquement tout ce qui peut de près ou de loin s’apparenter à la torture. Il y a à cela plusieurs bonnes raisons. Les prisonniers doivent bénéficier du même traitement que nous souhaiterions voir appliquer à nos propres prisonniers. Dans les rangs de l’armée, la discipline et l’ordre reposent largement sur le respect de l’interdiction de la torture - et, de fait, les individus faibles ou psychologiquement instables enclins aux sévices ou à la violence sont généralement évincés de l’armée. À tout le moins, on leur confie des responsabilités moindres. De plus, les responsables militaires savent depuis longtemps que la torture laisse des séquelles durables, tant chez la victime que chez son bourreau. L’usage de la torture pervertit le rôle du personnel médical, qui n’est alors plus soignant mais instrument de la violence.
Or il semble aujourd’hui que nos gouvernants et notre armée aient sombré dans un scénario digne du Cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Les très nombreuses informations faisant état de tortures et de mauvais traitements - souvent tirées de documents officiels de l’armée et du gouvernement - ne permettent plus de croire que ces abus sont le fait de quelques officiers isolés ayant agi de leur propre initiative à Abou Ghraib ou à Guantanamo, comme on se plaît à l’affirmer. Les affaires de torture ont gravement compromis la hiérarchie et la discipline militaires traditionnelles, d’un bout à l’autre de la chaîne de commandement. Pourquoi ? Parce que, je le crains, l’armée a cédé face à un pouvoir civil dévoyé.
Notre code déontologique médical nous impose de nous élever contre la torture, où qu’elle soit infligée et pour quelque raison que ce soit. Guidé par cette éthique, je me suis engagé en 1963 pour travailler comme bénévole auprès du groupe international MEDICO pour m’occuper de gens qui avaient été torturés par les Français pendant la guerre d’Algérie. Je reste profondément marqué par cette expérience. J’ai entendu les récits des victimes, examiné leurs corps à jamais brisés et regardé des visages qui ne pouvaient me voir car leurs sens, mais aussi leur cerveau, avaient subi des dommages irréversibles. Depuis lors, à chaque fois que j’ai étudié des rapports sur les tortures infligées d’un bout à l’autre de notre monde troublé, ma seule consolation était la certitude qu’il n’y avait pas de cela chez nous, pas de cela parmi les Américains. Cette pensée réconfortante a désormais volé en éclats. Les cas rapportés comportent des pièces prouvant que le personnel médical de l’armée a joué un rôle dans les tortures infligées par des soldats américains. J’exhorte mes collègues professionnels de la santé à unir leur voix à la mienne et à beaucoup d’autres pour réaffirmer notre engagement à empêcher la torture. L’Amérique ne peut s’obstiner sur cette voie. La torture est une preuve de faiblesse, et non de force. Elle ne témoigne ni de compréhension, ni de puissance, ni de magnanimité. Ce n’est pas une façon de gouverner. Il s’agit là d’une réaction de dirigeants dominés par la peur, et qui succombent à une conduite indigne de leurs citoyens. »30
Questions
Selon l’auteur de ce texte, qui sont les responsables du recours à la torture dans la lutte que mène les É-U contre le « terrorisme » ? Quelles sont les raisons pour lesquelles l’auteur condamne cette pratique ? À quoi l’auteur fait-il allusion lorsqu’il cite le roman « Le cœur des ténèbres » de Joseph Conrad ? L’auteur parle du code déontologique médical, qui renvoie notamment au Serment d’Hypocrate :
« Le Serment d’Hypocrate » (ou « Serment de Genève »)

  Au moment d’être admis au nombre des membres de la profession médicale, je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au service de la personne humaine

  je garderai à mes maîtres le respect et la reconnaissance qui leur sont dus

  j’exercerai mon art avec conscience et dignité

  je considérerai la santé de mon patient comme mon premier souci

  je respecterai le secret de celui qui sera confié à moi

  je maintiendrai, dans toute la mesure de mes moyens, l’honneur et les nobles traditions de la profession médicale

  mes collègues seront mes frères

  je ne permettrai pas que des considérations de religion, de nation, de race, de parti ou de classe sociale, viennent s’interposer entre mon devoir et mon patient

  je garderai le respect absolu de la vie humaine

  même sous la menace, je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales contre les lois de l’humanité

  je fais ces promesses solennellement, librement, sur l’honneur.
Questions
Quelle est l’origine de ce serment ? Quels sont les points du Serment qu’un médecin ne respecte pas lorsqu’il participe à une séance de torture ?
La torture reconnue par un tribunal allemand !
Amnesty International est vivement préoccupée par le fait que le tribunal régional supérieur de Hambourg (Hanseatisches Oberlandesgericht) a décidé le 14 juin 2005 de retenir des preuves ayant probablement été obtenues par la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, bafouant ainsi de manière flagrante son obligation au titre du droit international d’enquêter sur les plaintes de torture et de ne pas retenir une déclaration faite sous la torture ou tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Des représentants des services secrets américains ont communiqué ces informations aux autorités allemandes, sous la forme d’extraits d’interrogatoires de trois personnes soupçonnées d’activités « terroristes » et détenues par les États-Unis dans des lieux inconnus. Le tribunal a décidé de retenir ces déclarations à titre de preuve, au motif qu’il n’est pas prouvé qu’elles ont été obtenues sous la torture ou d’autres mauvais traitements. Des organisations de défense des droits humains comme Amnesty International et Human Rights Watch, ainsi que des journalistes et la majorité des détenus libérés, ont à maintes reprises dénoncé les nombreux actes de torture et mauvais traitements qui seraient perpétrés dans les centres où les autorités américaines incarcèrent les membres présumés des réseaux terroristes, notamment en Afghanistan, en Irak et à Guantánamo. Les autorités américaines n’ont pas autorisé leurs homologues allemands à procéder à un contre-interrogatoire des trois hommes. Elles ont refusé de communiquer leur lieu de détention et les circonstances entourant les interrogatoires. Elles ont également refusé de dire si l’un d’entre eux était bel et bien détenu par les États-Unis. Il semble que tout soit fait pour cacher les circonstances dans lesquelles ont été recueillies les informations données par ces hommes.31
Débat
Voici quelques propositions d’actions contre le « terrorisme » à soumettre à vos élèves. Faites un vote à bulletin secret pour voir quelle proposition remporte le plus de voix.

  tuer Ben Laden et tous ses partisans

  organiser une grande conférence internationale afin de se mettre d’accord sur les moyens de lutter contre le « terrorisme »

  réduire la souffrance des populations pauvres, qui alimente le « terrorisme »

  lutter contre le trafic d’armes

  maintenir un blocus économique contre tous les pays suspectés d’abriter des « terroristes »
Organisez ensuite un débat en vous basant sur l’exemple de Saddam Hussein et de la guerre en Irak. Le blocus économique contre l’Irak a-t-il fait vaciller le pouvoir de Saddam Hussein ? La guerre a-t-elle permis de trouver une solution au phénomène du « terrorisme » ? Quelles autres solutions auriez-vous pour lutter contre le « terrorisme » ?
Que pensez-vous du slogan d’Amnesty, suite aux attentats du 11/09/01 : « Justice, pas vengeance » ?
Remarque : Il est parfois difficile de se faire un jugement sur l’actualité récente, à cause du manque de recul nécessaire par rapport à ces événements. Peut-être pourrait-on mieux évaluer les effets de cette guerre dans cinq ou dix ans... Mais sans attendre si longtemps, on peut déjà voir que le monde et l’Irak ne sont pas plus sûrs aujourd’hui qu’avant cette guerre, comme l’affirme encore G.W. Bush.
Pour en savoir plus
Rapport d’Amnesty international à consulter sur le site internet www.amnesty.org
01/08/2005 TORTURE. Cruels. Inhumains. Et dégradants pour tous. Non à la torture et aux mauvais traitements dans la « guerre contre le terrorisme« (RAPPORTS)
ACT 40/010/2005

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