L’homme qui écoutait chanter l’oiseau : texte du conte

L’HOMME QUI ECOUTAIT CHANTER L’OISEAU.

Pages 4-5.

Aujourd’hui, c’est jour de liesse.
Le Roi va venir. Il va traverser la ville.

Pages 6-7.

Partout dans les rues règne un grand silence.
On entend seulement le bruit des sabots des chevaux des soldats qui contrôlent si chacun respecte la loi.
Car le règlement est formel :
"Lorsque le Roi vient à passer, tous les sujets doivent être présents le long du cortège mais personne ne peut voir Sa Majesté. Il est obligatoire de se coucher, face contre terre, les mains devant les yeux afin de ne rien apercevoir de la personne royale. Tout contrevenant sera passible de la prison à vie."
Et dans la ville tout est en ordre.
Tout le monde applique méticuleusement la loi et attend, face contre terre, le passage du cortège royal.

Tout le monde ?

Pages 8-9.

Non ! Un homme est resté debout, étranger à tout ce manège.
C’est peut-être un sourd qui n’a pas entendu les ordres, un aveugle qui n’a pas vu les placards affichés aux quatre coins de la ville, ou un simple d’esprit qui n’en fait qu’à sa pauvre tête.

Pages 1O-11.

Un garde s’approche.
"Couchez-vous !" hurle-t-il.
"Chut répond l’homme en faisant un petit geste de la main "J’écoute l’oiseau..."
"Peu importe, le Roi va passer. Couchez-vous..."
"Mais je ne pourrai plus entendre l’oiseau..."
"Couchez-vous ou je vous arrête !"
"Arrêtez-moi si vous voulez, mais moi, je veux écouter l’oiseau..."

Pages 12-13.

Le soldat qui le prend pour un fou l’arrête sans ménagement et l’emmène hors de la ville pour qu’il puisse être jugé.
Au-dessus d’eux, vole un oiseau qui lance à tous les vents son chant que personne n’entend. Ni le Roi, ni le garde. Personne, si ce n’est l’homme qui l’écoute et le comprend.

Pages 14-15.

"Ainsi donc tu as refusé de te prosterner devant le Roi. Qu’as-tu à dire pour ta défense ?"
"J’écoutais l’oiseau..."
"Ce n’est pas un motif pour désobéir à la loi."
"Je sais, mais j’écoutais l’oiseau..."
"Et que te disait l’oiseau de si important..."
"Peu importe ce que disait l’oiseau. C’était important pour moi."
"Écouter l’oiseau..." murmure le juge d’un ton moqueur. Puis, d’une voix forte, il crie la sentence :
"Que cet homme soit enfermé à vie dans la prison de la Haute Tour. Faites la chasse à tous les oiseaux et qu’on les enferme dans des cages prévues à cet effet."
Déjà les gardes emmènent l’homme vers sa prison. Au-dessus d’eux, vole un oiseau qui lance à tous les vents son chant que personne n’entend : ni le Roi, ni le garde, ni le juge.
Personne, si ce n’est l’homme qui l’entend et le comprend.

Pages 16.

Et passe le temps, passent les jours.
Au bout d’un an et un jour, malgré les mauvais traitements et la mauvaise nourriture, le prisonnier vit toujours.

Pages 17.

Ses gardiens disent qu’il passe son temps aux barreaux de l’étroite fenêtre. Un oiseau, malgré la chasse qu’on leur fait, vient régulièrement le visiter. À sa vue, il reprend force et vigueur.

Pages 18 -19.

On le sort de sa cellule et on l’emmène dans une salle où le bourreau l’interroge.
"C’est vrai cette histoire d’oiseau ?"
"Oui, c’est vrai..."
"Et sa vue suffit pour que tu gardes l’envie de vivre ?"
"Oui, le voir me donne de l’espoir. J’aime regarder l’oiseau..."
"Tu es sage ou tu es fou. Peu importe. L’oiseau, tu ne le verras plus..."
Le bourreau arrache alors les yeux du prisonnier pour que plus jamais il ne puisse voir l’oiseau.

Pages 2O-21.

On le reconduit à la prison. Au-dessus de ce triste cortège, vole un oiseau qui lance à tous les vents son chant que personne n’entend : ni le Roi, ni le garde, ni le juge, ni le bourreau. Personne, si ce n’est l’homme qui l’entend et le comprend.

Pages 22-23

Et passe le temps, et passent les jours.
Un an et un jour... Le prisonnier aveugle vit toujours.
Dans sa nuit, il tend l’oreille en souriant. Personne n’entend rien sauf lui. Et ce qu’il entend le réjouit. Malgré tout ce qu’il subit, le prisonnier sourit. Cela intrigue ses geôliers qui lui demandent :
"Pourquoi souris-tu ? Qu’est-ce qui te réjouit ? L’oiseau vient-il encore te visiter ? "
"Je ne sais pas. Je ne le vois pas mais je l’entends encore. C’est la nuit en moi mais je sais que dehors il fait jour puisque l’oiseau chante..."
"Toujours cet oiseau. Cet homme doit être fou..."
On appelle le bourreau qui reçoit ordre de lui arracher les oreilles.
Au-dessus d’eux, vole un oiseau qui lance à tous les vents son chant que personne n’entend : ni le Roi, ni le garde, ni le juge, ni le bourreau, ni le geôlier. Personne, si ce n’est l’homme qui l’a entendu pour la dernière fois.

Pages 24-25.

Sourd et aveugle, l’homme est bien malheureux.
Il n’entend plus l’oiseau. Il tente bien de se souvenir de son chant. Les quelques notes qui lui reviennent en mémoire l’aident à ne pas perdre totalement espoir au fond de sa nuit noire et de son profond silence.

Pages 26.

Et passe le temps, et passent les jours.
Un an et un jour, le prisonnier vit toujours.

Pages 27.

Un beau jour, le Roi, seul au fond de son château, vient à mourir.

Pages 28-29

À l’annonce de sa mort, les hommes et les femmes de ce royaume se sentent soudain libres. Les cloches de tous les clochers du pays se mettent à sonner mais le prisonnier ne les entend pas.
Les grandes cages qui retenaient les oiseaux enfermés sont ouvertes mais le prisonnier ne les voit pas voler par milliers.

Pages 3O-31

Tous les habitants du royaume pénètrent dans le château pour prendre leur revanche. Chacun veut vivre debout, ne plus jamais courber l’échine… Les geôliers, les bourreaux, les juges, les soldats s’enfuient de tous côtés. On ouvre les prisons. Les prisonniers se lèvent et retrouvent la liberté.

Pages 32-33

Au fond d’une cellule, il ne reste qu’un prisonnier.
Il est aveugle et sourd. Il n’entend pas la liesse populaire, il ne voit pas les sourires sur les visages.

Pages 34-35

Quelqu’un s’approche de lui, le prend doucement par le bras et l’emmène au-dehors. Il sent sur sa peau le soleil qui luit. Cette douce chaleur a pour lui le goût de la liberté retrouvée.

Pages 36-37

Soudain mille oiseaux passent près de lui en battant des ailes.
Il ne les voit pas. Il ne les entend pas.
Il sent juste le souffle de leur vol sur sa joue.
Il comprend.
Il peut enfin sourire.

Dédicace : À toutes celles et tous ceux,
qui, de par le monde,
ont le courage d’écouter chanter l’oiseau...

Christian Merveille.

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