I.2.3. Faut-il chercher les causes du « terrorisme ? »

Pour Pascal Bruckner, « la recherche éperdue des causes du terrorisme », même si elle part d’une bonne intention, fait fausse route : la culture de l’excuse, l’explication par le désespoir, l’humiliation exonère l’acte de son horreur et débouche sur la tentation de l’indulgence. (...) Selon l’écrivain, « contrairement à ce qui s’écrit ici ou là, les « attaques terroristes » ne sont nullement la conséquence de la misère ou du sous-développement. Si le « terrorisme » était le fruit de la pauvreté, la dernière arme du déshérité, alors tous les attentats commis depuis trente ans auraient dû l’être par des ressortissants de l’Afrique subsaharienne. Ce qui n’est pas le cas. Les pays arabo-musulmans connaissent d’importantes différences de niveau de vie, mais ils comptent aussi parmi eux les nations les plus riches de la planète. Pas plus qu’il n’est économique, le problème n’est politique : l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien, invoqué jusqu’à la nausée par les uns et les autres, n’est qu’un alibi grossier (même s’il faut évidemment travailler à sa résolution). C’est en 1993, en plein accord d’Oslo, que le World Trade Center avait été la cible d’une première explosion à la bombe. La réconciliation des frères ennemis du Proche-Orient ne ferait qu’exacerber la fureur des extrémistes. Ce qui motive le « terrorisme », ce n’est pas telle ou telle erreur de l’Europe ou de l’Amérique - et Dieu sait si nous en avons commis -, c’est la haine pure et simple. Cette haine est antérieure à toute excuse qu’elle se donne pour frapper, elle commence par haïr, et cherche, ensuite, des raisons. Elle ne s’adresse pas à l’Occident pour ce qu’il a fait mais pour ce qu’il est. Notre crime, à ses yeux, c’est d’exister purement et simplement. »16
La faute aux musulmans ?
Un choc des civilisations ?
Depuis sa publication en 1996, et en particulier depuis les attentats du 11 septembre à New York et à Washington, le livre « Le Choc des civilisations » provoque des débats passionnés. Son auteur, Samuel Huttington, professeur à Harvard, y explique que les affrontements de l’après-guerre froide (après la chute du bloc soviétique) étaient appelés à opposer des systèmes culturels concurrents et non plus des nations, le plus menaçant de ces nouveaux conflits étant le choc islam-Occident.
Ce livre aurait inspiré la politique étrangère du George W. Bush, et a été interprété de plusieurs manières. Après le 11 septembre, certains l’ont qualifié de livre prophétique, interprétant les attaques contre New York et Washington comme une guerre d’islamistes fanatiques contre la culture de l’Occident. Pour les disciples de Huttington, le terrorisme islamiste n’a rien à voir avec un conflit d’intérêts rationnels (comme par exemple la recherche d’une domination économique ou politique). Pour eux, Oussama Ben Laden ne protestait pas contre la prise de contrôle des champs de pétrole saoudiens par les États-Unis, ou contre la profanation des lieux saints de l’islam par une armée étrangère, mais contre les femmes en uniforme de l’armée américaine conduisant des jeeps pendant la guerre du Golfe, « des putains à côté des mosquées », comme Ben Laden les aurait lui-même qualifiées.
Ce livre suscita beaucoup de polémiques. L’une des critiques les plus importantes de l’approche d’Huttington est celle du professeur de Columbia Edward Said, universitaire renommé, dont les articles sont souvent publiés dans la presse palestinienne. Pour Said, il ne s’agit pas d’un conflit de civilisations mais d’un conflit d’intérêts. « Aux États-Unis, on a l’impression que le conflit est entre les Américains et l’islam, mais en réalité, il s’agit d’un conflit avec un nombre limité d’extrémistes, et c’est également l’opinion de l’administration à Washington. »17
Il faut également rappeler à ceux qui voient dans le 11 septembre un conflit entre civilisations que la majorité des victimes des « terroristes » islamistes sont... musulmanes (Algérie, Irak, Maroc, Turquie, Égypte...), que tous les gouvernements des pays musulmans condamnent et poursuivent Al-Qaïda, et que Ben Laden lui-même a désigné certains Etats musulmans comme cible aux « terroristes » (Maroc, Égypte, Arabie saoudite...).
Guy Sorman rejoint en partie la thèse du choc des civilisations, dans cet article publié deux mois après les attaques du 11 septembre 2001 : « La réalité, c’est que le « terrorisme » naît de l’incapacité du monde musulman à trouver sa voie vers la modernité ; il est l’avers de cet échec. Aucune nation musulmane et surtout arabo-musulmane n’est parvenue à se doter d’institutions politiques stables, légitimes et efficaces ; celles qui s’en approchent comme le Maroc et la Jordanie bénéficient de dynasties locales dont le modèle n’est pas reproductible ailleurs. L’échec politique se double d’un échec économique. Là où les ressources naturelles abondent s’est constituée une ploutocratie, de l’Algérie à l’Arabie saoudite ; mais ce n’est pas le développement. En dehors du monde arabe, en Malaisie ou en Indonésie musulmanes, le développement qui s’esquisse est conduit par des minorités non musulmanes. De cette double impasse politique et économique est née une frustration gigantesque face à un Occident quelque peu arrogant et exhibitionniste ; une sous-intelligentsia islamisante en a surgi. (...) Les musulmans sont ainsi pris en étau entre des dictateurs et des sous-penseurs ; certains pourraient trouver là une vraie raison de lancer des bombes, mais les « terroristes » se trompent de cible car le trouble est en eux.
À terme, pourrait-on réconcilier l’islam avec le monde moderne ? Bien des tentatives furent entreprises au vingtième siècle, de la Turquie de Mustafa Kemal à la Tunisie de Bourguiba, du Pakistan de Jinna au parti Baas en Syrie et en Irak, aux monarchies éclairées d’Iran, du Maroc et de Jordanie.
Ce serait une erreur de croire en l’immobilisme du monde musulman ; mais aucune de ces recherches n’a encore permis de définir une insaisissable modernité musulmane. Le Coran serait-il l’origine de cette difficulté ? On observera au contraire, en nous cantonnant à l’économie, que le Coran est plus favorable au développement que ne le sont les Évangiles ; celui-ci sanctifie le marché tandis que celles-là le vilipendent. Mais il n’appartient pas aux Occidentaux non musulmans de se substituer aux musulmans pour entreprendre une lecture révisée du Coran qui légitimerait la démocratie libérale.
Notre première responsabilité est de nous défendre contre la violence avant d’en explorer les causes et avant d’en inventer de fausses ; la seconde est d’appuyer les régimes qui partagent nos valeurs plutôt que ceux qui les méprisent. S’il fallait en trouver une troisième, on avancera ici, encore une fois, qu’il serait préférable de coopérer avec ceux qui dans l’islam s’attachent au progrès. »18
A l’opposé de ce point de vue, le professeur Rik Coolsaet estime que c’est une grande erreur de chercher les causes du « terrorisme » dans l’opposition entre Islam et Occident : « Là où la réthorique a largement cafouillé au cours de ces dernières années, c’est dans l’opposition de l’Occident avec l’Islam. Le docteur Sami Zemni de l’Université de Gand a montré que nous parlions avant des Turcs et des Marocains, mais que nous les regroupons tous désormais sous le même vocable de « musulmans ». Ainsi, nous tombons aveuglément dans le piège tendu par Oussama Ben Laden qui consiste à présenter ses actes comme de terreur comme un conflit mondial entre l’Occident et l’Islam ».19
Jürgen Habermas rejoint cet avis, et suspecte même que « derrière le thème du « choc des civilisations », ce que l’on cache, ce sont les intérêts matériels manifestes de l’Occident (par exemple, celui de continuer à disposer des ressources pétrolières et à garantir son approvisionnement énergétique). »20
Le linguiste américain Noam Chomsky relativise également le choc des civilisations et met en cause la politique étrangère des Etats-Unis : « L’État islamique le plus peuplé est l’Indonésie, un pays qu’adorent les États-Unis depuis que Suharto y a pris le pouvoir en 1965, tandis que des massacres perpétrés par l’armée faisaient des centaines de milliers de victimes, pour la plupart des paysans sans terre, avec l’aide des États-Unis et dans l’enthousiasme de l’Occident (...). L’État islamique le plus extrême et le plus fondamentaliste, en dehors de l’Afghanistan des Talibans, est l’Arabie saoudite, client des États-Unis depuis sa création. (...) Également dans les années 1980, les États-Unis et le Royaume Uni ont apporté un soutien de poids à leur ami et allié Saddam Hussein (...), précisément durant les années où il a accompli ses pires atrocités, en particulier le gazage des Kurdes. Également dans les années 1980, les Américains ont mené une guerre importante en Amérique centrale, qui a laissé derrière elle quelque deux cent mille corps torturés et mutilés, des millions d’orphelins et de réfugiés, et quatre pays dévastés. La cible principale de l’attaque américaine était l’Église catholique, qui avait commis le péché mortel de prendre « le parti des pauvres ». (...) Sans poursuivre cette énumération, nous retrouvons absolument partout une opposition entre « civilisations ». Allons-nous pour autant en conclure qu’il y aurait un « choc des civilisations » avec d’un côté l’Église catholique d’Amérique latine, et de l’autre les États-Unis et le monde musulman, dans lequel entreraient les éléments religieux les plus fanatiques et les plus criminels ? »21
Débat
Présentez les arguments des uns et des autres, et éventuellement classez-les de façon à bien reconnaître les arguments qui s’opposent.
Proposez ensuite à vos élèves de se positionner par rapport aux phrases suivantes ? (Vous pouvez vous servir des arguments en italiques afin d’alimenter le débat).

  L’islam est une religion « terroriste »
Faites la comparaison avec l’IRA (groupe « terroriste » catholique en Irlande du Nord) : ce n’est pas parce qu’un groupe commet des « actes terroriste »s au nom d’une religion qu’on peut accuser l’ensemble des membres de cette religion de « terroristes ».

  La guerre contre le « terrorisme » n’est rien d’autre qu’une réaction de légitime défense face à des gens qui n’ont aucun respect pour la vie humaine. Dans ce cas, la fin justifie les moyens.
Si la fin justifie tous les moyens, ne se met-on pas au rang de ceux qu’on condamne, ceux qui utilisent la violence ?

  Il faut montrer aux « terroristes » qu’on ne se laisse pas faire et il faut les punir pour ce qu’ils ont fait.
Il est normal et même important de chercher à rendre justice, de vouloir arrêter les » terroriste »s et de les punir de leur crimes.
Mais la punition est-elle toujours légitime, apporte-t-elle une solution à long terme si elle engendre une situation encore pire, avec plus de violence et de haine ? Faut-il prendre le risque de tuer à nouveau des innocents pour punir les responsables de la mort d’innocents ? Argumentez votre réponse à la lumière de faits d’actualité dans le monde.
Recherche : trouvez des exemples de représailles injustes, car elles pénalisent tout un peuple à cause de l’attitude de ses dirigeants.


  De par leur organisation secrète, les groupes armés « terroristes » sont souvent très peu démocratiques.
En effet, il s’agit souvent de groupes dans lesquels le chef concentre tous les pouvoirs. Par ailleurs, les groupes armés « terroristes » se rendent également coupables d’autres crimes, liés au trafic de drogue, à la traite des êtres humains, aux prises d’otages,...

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