La douleur morale et physique

Qui dit torture dit douleur. Certaines victimes sont marquées à vie, physiquement et psychologiquement. Il leur est très difficile de se réadapter à la vie quotidienne. En plus de la douleur, il y a la peur de n’être pas cru, de n’être pas compris par les autres. Et parfois un sentiment de culpabilité de s’en être sorti, alors que d’autres y sont restés.

« Deux surveillants m’ont conduit jusqu’à la salle de flagellation. Je tremblais et je transpirais de peur. C’est alors que j’ai entendu la canne. Une fraction de seconde plus tard, j’ai senti qu’elle me déchirait les fesses. J’ai hurlé, en me débattant comme un animal sauvage. (...) Je ne pouvais pas retenir mes cris. Cela a continué. Un coup, une minute, une pause. Certains prisonniers urinent ou même s’évanouissent sous l’effet de la douleur. (...) Mes fesses ont doublé de volume. (...) Longtemps après, la douleur continue de brûler dans mon esprit. Aujourd’hui encore, j’ai des cauchemars... »

Témoignage d’un prisonnier ayant subi un châtiment corporel à Singapour. À Singapour, un certain nombre d’infractions au Code pénal sont, encore aujourd’hui, passibles de coups de canne.

« Il ressentait jusqu’à l’envie de vomir l’humiliation que ressent tout homme devant un homme dont il dépend. »
Malraux

« Et moi, je hais l’indifférence des gens qui justifient ces atrocités. Car c’est une douleur qu’aucune personne ne peut comprendre, sauf celui qui en a souffert dans sa chair et dans ses os. Je te raconte tout cela avec tristesse et douleur, étant donné que pendant dix-sept ans j’ai essayé d’oublier tout ce que j’avais vécu au local de torture et en prison, mais maintenant, je me rends compte que tout ce vécu est là dans mon cœur et chaque fois que je lis quelque chose à ce sujet, je meurs un peu… »
Milena C., Chili

« Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille
Tu réclamais le soir, il descend, le voici. »

Verlaine

Quelle est la responsabilité des médecins ?

La torture est un phénomène qui concerne le monde médical... En effet, certains médecins ne respectent pas le serment d’Hippocrate et deviennent les complices des tortionnaires.

Déjà durant les anciennes dictatures d’Amérique latine, de nombreux médecins ont assisté à des scènes de torture, mais rares sont ceux qui ont été punis pour cette assistance.
Or, pour beaucoup de rescapés qui souffrent souvent de séquelles psychologiques incurables, la condamnation de ces médecins est très importante à leurs yeux.

Les pays qui pratiquent la torture ont également de plus en plus souvent recours à la médecine afin de trouver des techniques de torture qui laissent moins de traces comme, par exemple, l’usage de la matraque électrique, la prise de médicaments... Cela permet également à ces pays d’éviter d’être pointés du doigt par des associations telles que Amnesty International...

En Europe, la Turquie est un des seuls pays où les médecins participent parfois à des scènes de torture. La présence de médecins incite les bourreaux à se déculpabiliser, car les actes des médecins sont considérés comme appartenant au domaine scientifique.

Enfin, pour prendre d’autres exemples, en Iran on a inventé une machine à amputer qui ne fonctionne qu’en présence d’un médecin légiste afin de ne pas mettre en danger la vie des condamnés. Aux Etats-Unis, on exécute la peine capitale en collaboration avec des médecins...

« Le Serment d’Hypocrate » (ou « Serment de Genève »)

Au moment d’être admis au nombre des membres de la profession médicale, je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au service de la personne humaine * je garderai à mes maîtres le respect et la reconnaissance qui leur sont dus * j’exercerai mon art avec conscience et dignité * je considérerai la santé de mon patient comme mon premier souci * je respecterai le secret de celui qui sera confié à moi * je maintiendrai, dans toute la mesure de mes moyens, l’honneur et les nobles traditions de la profession médicale * mes collègues seront mes frères * je ne permettrai pas que des considérations de religion, de nation, de race, de parti ou de classe sociale, viennent s’interposer entre mon devoir et mon patient * je garderai le respect absolu de la vie humaine * même sous la menace, je n’admettrai pas de faire usage de mes connaissances médicales contre les lois de l’humanité * je fais ces promesses solennellement, librement, sur l’honneur.

Activité pédagogique

Quels sont les points du serment qu’un médecin ne respecte pas lorsqu’il participe à une séance de torture ?

La réadaptation des victimes

L’association Exil soigne des victimes de la torture. Monsieur Gobé Imbamba, médecin psychiatre de l’association Exil, a été interviewé par Marie Noël, la rédactrice en chef de Libertés !, la revue mensuelle d’Amnesty. Voici un extrait de cet article :

« Le patient qui a subi la violence organisée doit faire face aux conséquences dues à des traumatismes liés à la douleur extrême, aux dommages corporels, à la perte d’un proche, aux violences sexuelles... Je parle également de la manipulation psychologique qui vise à aliéner la personnalité de la victime. Je parle enfin de l’horreur vécue au quotidien et de la peur continuelle, une arme efficace pour annuler toute possibilité de contestation de l’autorité.

Le but de la torture, c’est la destruction de l’être humain. La torture entraîne chez la victime un sentiment de culpabilité. Si on me fait du mal, c’est que j’ai dû faire du mal moi aussi. Si on me torture, c’est de ma faute. Plus la victime souffre, plus le bourreau est content parce que la victime passe en quelque sorte dans son camp. Au sortir de la torture, la victime doute de tout. Elle a perdu littéralement son identité. Lorsqu’on torture quelqu’un pour ses opinions politiques, il peut encore prendre de la distance et mettre en cause ses idées. Mais lorsqu’on torture quelqu’un pour ce qu’il est (parce qu’il fait partie de la mauvaise ethnie, parce qu’il est homosexuel, parce qu’elle est une femme…), les conséquences de la torture sont plus graves encore. La victime n’accorde plus de valeur à sa vie.

Pour venir à bout des conséquences d’un lavage de cerveau, nous essayons avec le patient de décoder ce qui s’est passé, de voir quels étaient les enjeux de la situation de violence et de décortiquer les techniques utilisées par les tortionnaires pour endommager sa personnalité. Le dernier aspect de la thérapie est la reconstruction d’un tissu social autour du patient et l’aide à l’intégration dans le pays d’accueil.

L’arrivée en Belgique constitue un deuxième traumatisme pour les victimes de la torture ! Ils sont questionnés par des fonctionnaires qui ne sont pas très coopératifs. Un Congolais qui a été torturé mais dont le corps ne portait pas de traces de traumatisme est allé jusqu’à se mutiler pour apporter une preuve des mauvais traitements subis ! Il a mis ses mains dans le feu… D’autres se coupent volontairement. Les femmes musulmanes qui ont été violées n’osent pas le dire. Elles ont peur d’être considérées comme des putains. D’autres réfugiés victimes eux aussi de violence invente une histoire de toutes pièces parce qu’ils ne peuvent pas maîtriser les détails de leur histoire réelle. Il ne faut donc pas s’étonner que certains demandeurs d’asile s’enfoncent dans la psychose !

Lorsqu’Exil a été créé, nos patients étaient majoritairement des réfugiés d’Amérique Latine. C’étaient des opposants politiques universitaires. Aujourd’hui, les réfugiés sont principalement africains et ne sont pas nécessairement des intellectuels, il leur est plus difficile d’expliquer leur histoire et on leur demande des preuves impossibles à obtenir. »

Activité pédagogique

Pourquoi parle-t-on de violence organisée ?
Pour ce qui est de la réhabilitation, quelle est la différence entre une personne qui a été torturée pour ses opinions et une personne qui l’a été pour ce qu’elle est ?
Pourquoi est-il maintenant plus difficile pour une victime de prouver qu’elle a été torturée ? (Tendance à développer des armes de torture ne laissant pas de traces et probable accroissement des tortures par violences sexuelles)

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