La prison

« Nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons. »
Dostoievski

C’est souvent en prison que les crimes de torture ou de mauvais traitements ont lieu, bien que le risque soit encore plus grand durant les gardes à vue (lors de détentions préventives dans les commissariats). Les mauvais traitements ne sont pas uniquement le fait des gardiens, mais sont parfois causés par d’autres prisonniers. La promiscuité qui règne dans les prisons, où les détenus sont entassés à plusieurs dans des cellules minuscules, installe un climat de « loi de la jungle ». Une hiérarchie se crée avec les caïds. C’est l’exploitation des plus faibles, et l’on retrouve dans ce monde fermé, où tout élément prend une grande résonance, les mêmes injustices liées à l’argent que dans le monde libre explique Hélène Dorlhac, ancien secrétaire d’Etat à la condition pénitentiaire en France .

La prison, un lieu à part

La prison est un lieu par essence fermé. Peu de gens savent ce qui s’y passe. Son rôle est d’assurer une sécurité aux citoyens et d’infliger une peine aux responsables de crimes ou de délits, ainsi que de les préparer à une éventuelle réinsertion dans la société. Il me paraît primordial de définir le rôle que notre société veut voir jouer à la prison : veut-on ne lui reconnaître que son rôle immédiat de protection de la société en isolant un individu dangereux, ou bien ne serait-il pas utile de lui donner aussi un rôle thérapeutique et éducatif : traiter le délinquant comme un malade social pour éviter que des conditions de vie archaïques et aliénantes n’en fassent un récidiviste ? On ne refait pas un être social dans un cadre asocial, sans pour autant confondre humanisation et laxisme, analyse Hélène Dorlhac. La prison est un microcosme de notre société dont les tares sont exacerbées. Devant ce constat, je pose une question essentielle : la dignité humaine, première exigence des droits de l’homme, peut-elle être respectée en prison ?

Europe : des prisons de plus en plus critiquées

Après un livre qui a fait scandale en France , d’autres pays européens ont été montrés du doigt pour l’état lamentable de leurs prisons : surpopulation, manque d’hygiène, mauvais traitements, viols, suicides… sont monnaie courante dans beaucoup de pays. Même la Belgique n’est pas épargnée par les critiques : A Forest, certaines cellules ont toujours des seaux pour seules toilettes ! Et quand il y a des sanitaires plus ou moins corrects, ils ne sont pas séparés du reste de la pièce, note la section belge de l’Observatoire des prisons dans son dernier rapport. Le délégué général aux droits de l’enfant, Claude Lelièvre, demande depuis longtemps que la Belgique supprime l’article 53 dans la loi sur la protection de la jeunesse. Cet article, qui sera supprimé en janvier 2002, permet de placer un mineur délinquant en prison pour une période de 15 jours. Interviewé par la Libre Belgique , Claude Lelièvre explique le danger d’une telle loi : « Cet article est responsable de nombreux drames, comme le suicide en prison d’un jeune de 16 ans, à Verviers, en octobre 1999. L’histoire est classique : le jeune homme, victime d’abus sexuels dans un mouvement de jeunesse à 13 ans et qui, depuis ce moment, est à la dérive, a commis un délit avec un adulte. Le juge veut le placer en centre fermé. Pas de place. Il l’envoie à la prison de Verviers. La loi interdit que l’on mêle les mineurs aux adultes. Seulement, la prison est surpeuplée. Alors, le directeur place le mineur dans un cachot. De tendance suicidaire, le jeune ne résiste pas à cet isolement complet. Il se pend avec ses draps de lit. »
« Le jeune qui entre en prison a la trouille. Il en sort comme un caïd, après trois jours, explique Jean-Pol Delfosse, directeur de la prison de Namur. L’effet de sanction est nul. ».
Même son de cloche dans les IPPJ, ces centres fermés pour mineurs délinquants : « Ceux qui ont fait un séjour en prison avant de venir ici se comportent comme des adultes, plus comme des ados, constate J-P Depas, directeur de l’IPPJ de Braine-le-Château. J’ai vu des jeunes très marqués par leur séjour en prison. Même s’ils en parlent peu, on voit que certains en sont sortis traumatisés. »

Qui atterrit en prison ?

La grande majorité des prisonniers sont issus des couches les plus défavorisées de la population. Celles qui ont le moins d’argent pour se payer un bon avocat, celles qui sont habituées à la misère, à l’exclusion. Cela vaut pour les jeunes aussi. J-P Delfosse croit que l’éducation a joué un grand rôle dans le parcours des jeunes qui se retrouvent en prison : « L’école du crime, cela peut aussi être l’école, la famille. Je me pose des questions sur les conditions sociales, culturelles, qui font qu’on se retrouve souvent en prison de père en fils. Il y a des jeunes qui se profilent dès le départ comme des délinquants. » Analyse partagée par J-P Depas : « Certains jeunes ont déjà admis l’idée que leur avenir, c’est la prison. Parce que leur frère, leur père, leur oncle l’ont connue. Ils pensent qu’ils ne pourront pas sortir de la délinquance. Notre but, c’est de les persuader du contraire. Qu’à 16 ou 17 ans, on n’a pas sa vie foutue. »

Comment punir efficacement ?

La prison est-elle un lieu d’où l’on sort encore plus dangereux qu’avant d’y entrer ? Comment concilier le rôle punitif de la peine d’emprisonnement et la valeur pédagogique de la peine ? Est-il possible d’imaginer une prison à visage humain ? Pour illustrer le débat, vous pouvez diffuser quelques images du documentaire « Emeutes, mode d’emploi » .
Voir aussi l’ouvrage « Les ailes de la Liberté » qui contient notamment les témoignages de mineurs placés en prison en Belgique.

Activités pédagogiques

Dans ce témoignage, comment les jeunes considèrent-ils leur peine de prison ?
Quels sont les délits ou crimes pour lesquels des jeunes peuvent être placés en prison ?
La détention de mineurs en prison avec des adultes est-elle en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant ?

Partez de ce témoignage, ou d’autres documents filmés ou d’articles de presse.
Essayez d’inviter en classe un éducateur d’un IPPJ (centre fermé ou semi-fermé pour mineurs) ou un éducateur de rue.

Faut-il mettre des jeunes en prison ?
Quelles sont les alternatives à la prison ?
Qu’entend-on par peine de substitution ou peines alternatives ?

Outils pédagogiques

 « La justice ados », émission « Droit de cité » de septembre 2000, reportage de la RTBF sur les IPPJ, Instituts publics de protection de la jeunesse.
 « Comme une boule de flipper », de Claude Lelièvre et Christian Merveille, éd. Luc Pire, 1999. Histoire d’un enfant complètement déboussolé face à son père vivant d’activités illégales. Lexique et liste des services d’aides à la jeunesse.

Les prisons pour jeunes au Brésil

Les prisons belges sont un « paradis » à côté des prisons brésiliennes. Voici un communiqué de presse publié par Amnesty lors de la publication d’un rapport sur les conditions de détention des mineurs dans l’État de São Paulo :

Le système de détention de mineurs de São Paulo : il s’agit d’une crise des droits humains, et non d’une question de sécurité publique.
Le gouvernement de l’État de São Paulo ne tient pas compte de la législation fédérale qui protège les droits des mineurs délinquants, exposant ainsi des centaines d’adolescents à la torture, à d’autres formes de mauvais traitements et à des conditions de détention cruelles, inhumaines ou dégradantes, indique Amnesty International dans un nouveau rapport.
Le système de détention de mineurs mis en place dans cet État et supervisé par la Fundação do Bem-Estar do Menor (FEBEM, Fondation brésilienne pour la protection des mineurs) a connu une grave crise en octobre dernier : la surpopulation et les mauvais traitements, qui sont le lot des détenus depuis des années, ont provoqué une série de rébellions violentes dans l’un des centres de détention placés sous le contrôle de la FEBEM. Depuis, les réformes promises n’ont pas été mises en œuvre par les autorités.
" Même les gardiens reconnaissent que la violence à l’égard des détenus est la norme, a déclaré Julia Rochester, chercheuse d’Amnesty International sur le Brésil. Toute personne qui se rend dans ces centres de détention – qu’il s’agisse d’avocats, de juges, d’inspecteurs de la santé et de la sécurité, de parlementaires ou de militants des droits humains – peut témoigner des passages à tabac, des humiliations, des maladies non soignées et de l’inactivité totale des détenus ainsi que de la surpopulation et du manque d’hygiène. Le refus du gouvernement de reconnaître les causes profondes de la crise actuelle est aberrant. "
Le gouvernement de São Paulo tient compte de la peur que ressent le grand public à l’égard des crimes violents et tente de détourner son attention de la torture et des autres formes de mauvais traitements pratiqués dans les centres de détention. Bien que des informations fassent presque toutes les semaines état du passage à tabac d’un grand nombre d’adolescents, les autorités continuent de qualifier la crise de simple question de sécurité publique.
Plusieurs millions de reals ont été consacrés à la mise en place d’équipements de sécurité, mais les questions telles que la violence institutionnalisée, le manque chronique de personnel, le manque de formation et d’installations sanitaires de base ne sont pas abordées.
Depuis la crise, le gouvernement de São Paulo a adressé par vagues successives un grand nombre d’adolescents au système carcéral pour adultes et les a transférés à de nouvelles unités construites à la hâte. Au cours de ces transferts, des adolescents ont été victimes de mauvais traitements infligés par des gardiens et des policiers armés de bâtons. Dans le cadre d’une seule affaire, un médecin expert a examiné 80 garçons et découvert des traces et des ecchymoses laissées par les coups. Dans les centres de détention de la FEBEM, qui se caractérisent par la surpopulation et le manque de personnel, les châtiments sont arbitraires et leur but est souvent d’humilier les détenus. Une simple infraction, par exemple le fait de parler au cours d’un repas, peut entraîner un châtiment allant de la confiscation de la brosse à dents – qui est souvent le seul objet personnel que possède le prisonnier – au passage à tabac.
En l’absence de règles et de dispositions claires régissant la discipline, les châtiments sont laissés à l’appréciation des gardiens et souvent infligés à tous les détenus d’une même aile du bâtiment. Plusieurs adolescents sont morts ces dernières années après avoir été battus par des gardiens. Dans un cas, un garçon est mort après que les surveillants eurent mis le feu à un dortoir dans le but de forcer les détenus qui s’y étaient barricadés à en sortir. Il est aussi arrivé que la FEBEM perde le contrôle de certains centres de détention et que des adolescents meurent aux mains d’autres détenus.
Au cours de ces dix dernières années, les commissions d’enquête parlementaires, les commissions des droits humains et les organisations de défense des droits de l’enfant ont mis en avant de nombreux rapports détaillant les violations commises et contenant des propositions concrètes de réforme. Non seulement le gouvernement n’a pas tenu compte de ces propositions, mais les déclarations qu’il a faites aux médias visaient à attribuer la responsabilité de la crise à certains de ces défenseurs des droits de l’enfant, qu’il accusait publiquement d’incitation à la révolte.
La Loi relative aux droits de l’enfant et de l’adolescent, dont l’adoption a été saluée il y a dix ans, précise la manière dont les mineurs délinquants doivent être traités en vertu des normes internationales. Avec le soutien du tribunal pour enfants et adolescents de São Paulo, des procureurs ont, ces huit dernières années, engagé deux actions civiles et déposé neuf requêtes contre le gouvernement de cet État et la FEBEM, demandant que les droits fondamentaux des mineurs délinquants soient garantis et que les unités de détention de mineurs soient mises en conformité avec la loi. Le gouvernement a fait appel dans chacun de ces cas et, à une exception près, la Cour d’appel de l’État s’est rangée aux côtés du gouvernement en accédant à son recours. " Il est évident que la Loi relative aux droits de l’enfant et de l’adolescent n’est pas respectée, et que des centaines de garçons sont torturés et maltraités. Il est révoltant de constater que l’instance supérieure autorise le gouvernement à contourner la loi comme il le fait ", a déclaré Julia Rochester.
Amnesty International exhorte le gouvernement de São Paulo à prendre immédiatement des mesures en vue de résoudre la crise des droits humains au sein de la FEBEM. Ces actions devraient inclure des mesures disciplinaires à l’encontre du personnel de la FEBEM impliqué dans des actes de torture et autres mauvais traitements, le recrutement et la formation d’un nombre suffisant d’employés, ainsi que des investissements immédiats dans les infrastructures qui permettraient de remédier à la surpopulation et au manque d’hygiène.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral devrait réexaminer d’urgence l’application de la Loi relative aux droits de l’enfant et de l’adolescent sur tout le territoire brésilien et adopter des mesures afin que cette Loi protège réellement les droits fondamentaux des mineurs délinquants à l’avenir.

Activité pédagogique

Quels sont les différents acteurs de ce problème ?
Comment le gouvernement brésilien réagit-il à la crise ?
Quelles sont les revendications d’Amnesty International ? Voir dans l’introduction « Les moyens de lutte contre la torture »
Cherchez sur internet ou en bibliothèque des informations sur les prisons du Brésil. Comparez ces informations avec celles contenues dans le communiqué d’Amnesty, le rapport annuel d’Amnesty et le site www.aibf.be.

Chanson : « Betty »

Tu n’as pas sommeil
Tu fumes et tu veilles
T’es toute écorchée
T’es comme un chat triste
Perdu sur la liste
Des objets trouvés
La nuit carcérale
Tombant sur les dalles
Et ce lit glacé
Aller et venir
Soleil et sourire
Sont d’l’autre côté
Ces murs, ces grillages
Ces portes et ces cages
Ces couloirs, ces clés
Cette solitude
Si dure et si rude
Qu’on peut la toucher
Ce rayon de lune
Sur le sol allume
Visage oublié
De celui que t’aimes
Qui tire sur sa chaîne
Comme un loup blessé
Betty faut pas craquer
Betty faut pas plonger
Je sais, ils t’on couchée là
Et puis ils ont fermé leurs barreaux d’acier
Betty faut pas pleurer
Betty faut pas trembler
Je sais, tu vas rester là
T’aimerais plus t’réveiller, plus jamais rêver
Je te dis je t’aime
Dans ce court poème
Dans ce long baiser
Tu es ma frangine
Juste une féminine
Que j’avais rimée
Je te donne ma force
Mes mots et mes notes
Pour te réchauffer
Je hais la morale
Les prisons centrales
Les maisons d’arrêt
Je n’ai pas sommeil
Je fume et je veille
Et j’ai composé
Une chanson d’amour
Une chanson secours
Pour l’autre côté
Pour ceux que l’on jette
Dans les oubliettes
Dans l’obscurité
Pendant qu’les gens dorment
Au fond du conforme
Sans se réveiller
Betty faut pas craquer
Betty faut pas plonger
Je sais, ils t’ont couchée là
Et puis ils ont fermé leurs barreaux d’acier
Betty faut pas pleurer
Betty faut pas trembler
Tu sais, on s’retrouvera, là
Ailleurs, en plein soleil ...

Bernard Lavilliers

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