Une vie contre une autre : une proposition inacceptable
Les exécutions rendent-elles réellement justice aux victimes de crimes violents et à leurs proches ?
« À ceux qui estiment que la société doit prendre une vie contre une autre, nous disons : “Pas en notre nom”. »
Marie Deans, proche d’une victime de meurtre, États-Unis
Nombre de partisans de la peine de mort défendent ce châtiment au nom des « droits de la victime ». Selon eux, les victimes de crimes violents et leurs proches ont le droit de voir l’État ôter la vie de l’auteur de ces actes. Cependant, la colère de ces personnes, bien que compréhensible, ne saurait justifier la violation des droits humains des individus reconnus coupables de ces crimes. Du fait de son caractère irréversible et cruel, la peine de mort est incompatible avec les valeurs du monde moderne et civilisé, et constitue une réponse aussi inappropriée qu’inacceptable aux crimes violents.
Les partisans de la peine capitale qui prétendent agir au nom des victimes laissent entendre que toutes les personnes touchées par des crimes violents sont favorables à ce châtiment, ce qui est loin d’être le cas. De nombreux proches de victimes de meurtre refusent que la peine de mort soit appliquée au nom de leur parent disparu. Aux États-Unis, le groupe militant Murder Victims’ Families for Human Rights est devenu un acteur déterminant de la lutte contre les exécutions :
« Nous estimons que les proches des victimes d’homicides ont un intérêt indéniable dans le débat sur la manière dont les sociétés réagissent face au meurtre, et qu’ils ont le devoir moral de demander que cette réaction s’appuie sur une éthique cohérente en matière de droits humains. Murder Victims’ Families for Human Rights répond à cette demande. »
Marie Deans, dont la belle-mère a été tuée en 1972, exprime ainsi son point de vue :
« Après un meurtre, les familles de victimes sont confrontées à deux choses : un décès et un crime. À ce moment-là, elles ont besoin d’aide pour surmonter la perte de leur proche et leur chagrin, ainsi que pour apaiser leur cœur et reconstruire leur vie. Par expérience, nous savons que la vengeance n’est pas une solution. Il faut réduire la violence, et non donner encore la mort. Il faut aider ceux qui pleurent un être cher, et non provoquer le chagrin de familles supplémentaires [en exécutant un de leurs proches]. Il est temps d’interrompre le cycle de la violence. »
Ceux qui justifient la peine capitale en invoquant les droits des victimes s’intéressent rarement à la souffrance occasionnée à d’autres personnes par les exécutions. Le traumatisme du personnel pénitentiaire et des gardiens de prison qui participent aux exécutions, la douleur morale des proches du condamné exécuté, le sentiment de culpabilité que peuvent ressentir les avocats n’ayant pas réussi à sauver leur client, et les souffrances ressenties par de nombreuses autres personnes face à la cruauté des exécutions, sont purement et simplement ignorés par les dirigeants politiques lorsqu’ils vantent les « avantages » de ce châtiment auprès de leur électorat.
« Les gens n’imaginent pas que la peine de mort a de telles répercussions sur les familles, remarque Jonnie Waner, dont le frère, Larry Griffin, a été exécuté par les autorités de l’État du Missouri, aux États-Unis, en 1995. Ma mère ne s’est jamais remise [de l’exécution de son fils]. Elle a tellement changé depuis ce jour. Tous les enfants ont du mal à comprendre cela. La peine de mort fait tant d’autres victimes. »
Des vies mises à rançon
Certains pays, en particulier l’Iran, le Pakistan, l’Arabie saoudite et le Yémen, ont recours à un mécanisme qui permet aux proches de victimes de meurtre de renoncer à l’application de la peine de mort contre l’auteur présumé de ce crime, soit gracieusement, soit en échange d’une indemnité financière – appelée diya (« le prix du sang ») – ou sous tout autre condition qui leur semble adaptée. La diya est versée à titre de compensation pour la perte d’un être cher et remplace donc l’exécution. Ce type de procédé rend l’application de la peine capitale extrêmement arbitraire et discriminatoire. Arbitraire parce que la peine infligée peut varier d’une personne à l’autre pour un crime similaire. L’accusé reconnu coupable d’avoir tué un membre d’une famille clémente n’est pas exécuté, tandis que l’auteur d’un meurtre dont la victime a des proches moins indulgents est exécuté, même si tous les autres éléments du dossier sont similaires. Et discriminatoire parce que les condamnés fortunés ont plus de chances de pouvoir persuader les proches de la victime d’accepter une forte indemnisation.
Il est tout à fait légitime que les familles de victimes de meurtre espèrent voir les auteurs présumés de tels actes être amenés à rendre des comptes dans le cadre d’une procédure judiciaire équitable, mais le fait de leur permettre d’influencer celle-ci risque d’annihiler l’un des principes fondamentaux de la philosophie du droit moderne : tout le monde est égal devant la loi.