Soudan, Il faut donner sa chance à la mission d’établissement des faits de l’ONU Par Sarah Jackson

Soudan

En octobre 2023, l’organe de défense des droits humains des Nations unies a voté en faveur de la création d’une très attendue mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan [2]. Pourtant, quatre mois plus tard, cette mission manque toujours cruellement de fonds et de personnel et n’est donc pas en mesure de remplir son mandat de manière satisfaisante.

Au cours des quatre derniers mois, la situation au Soudan est passée de désastreuse à catastrophique. Ce qui avait débuté en avril 2023 comme un conflit entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide (RSF) – des forces de sécurité rivales qui se battent pour le butin du coup d’État qu’elles ont lancé ensemble en 2021 – s’est mué en une guerre à l’échelle nationale qui a aspiré les milices [3] et les soutiens internationaux [4]. On recense plus de 13 000 morts [5], notamment lors d’attaques délibérées et aveugles. Environ 10,7 millions de personnes [6] ont été déplacées par le conflit, ce qui constitue la plus grande crise au monde de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Quelque 14 millions d’enfants [7], soit la moitié des enfants du pays, ont besoin d’une aide humanitaire.

Si plus de 100 organisations soudanaises, régionales et internationales ont demandé [8] la création d’une mission internationale d’établissement des faits, il n’était pas certain que le Conseil des droits de l’homme vote en sa faveur. Finalement, une résolution a été adoptée de justesse : 19 membres ont voté pour, 16 contre et, fait essentiel, 12 se sont abstenus.

L’impunité est au cœur de la crise des droits humains qui ravage le Soudan et il est crucial d’y mettre fin pour l’avenir du pays. Ayant pour mandat d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, de préserver les éléments de preuve en vue de futures procédures judiciaires et de se concentrer sur les situations humanitaires et relatives aux droits humains les plus préoccupantes, la mission d’enquête internationale a un rôle essentiel à jouer dans l’exercice de la justice.

Le temps presse, car son mandat s’achève à la fin de l’année, sans garantie de renouvellement. De plus, les violations se poursuivent et des preuves risquent d’être détruites.

Elle devrait déjà être dotée d’un personnel complet et pouvoir fonctionner. Bien qu’elle dispose de trois commissaires [9] en place, elle n’a pu pourvoir aucun de ses 17 postes, y compris d’enquêteurs, en raison du gel des embauches décrété par les Nations unies à la suite de la baisse des liquidités au sein du système onusien dû au retard ou au non-paiement des contributions par certains États. En l’absence d’un nombre suffisant de personnes sur le terrain, la mission internationale aura du mal à mener des enquêtes sérieuses.

Le temps presse, car son mandat s’achève à la fin de l’année, sans garantie de renouvellement. De plus, les violations se poursuivent et des preuves risquent d’être détruites. Les violations commises actuellement ne sont pas forcément synonymes de prolongation du mandat. En effet, les activités de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie (ICHREE), mandatée par le Conseil des droits de l’homme, n’ont pas été prolongées en dépit de l’avertissement de « risque aigu de nouvelles atrocités ».

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, la crise de liquidités [10] de l’ONU s’aggrave. Selon le Secrétaire général de l’ONU, les arriérés [11] s’élevaient à quelque 740 millions d’euros à la fin de l’année 2023, contre environ 300 millions d’euros en 2022 – soit le plus haut niveau jamais atteint. Cela coïncide avec le nombre le plus faible d’États ayant versé l’intégralité de leurs contributions au cours des cinq dernières années. Ce sous-financement empêche de mettre en œuvre des décisions cruciales et des mandats entérinés, ce qui compromet le travail, les valeurs et l’objectif du système des Nations unies dans son ensemble.

Les réponses ternes apportées au conflit soudanais s’enlisent dans ces obstacles au multilatéralisme fondé sur des normes.

Autre obstacle qui entrave la capacité du Conseil de sécurité des Nations unies à prendre des mesures efficaces au sujet de divers conflits, l’utilisation par les membres permanents de leur droit de veto pour protéger leurs alliés au détriment des normes, standards et principes internationaux. Ainsi, la position des États-Unis sur Gaza et celle de la Russie sur l’Ukraine illustrent l’utilisation sélective et l’instrumentalisation des droits humains.

Les réponses ternes apportées au conflit soudanais s’enlisent dans ces obstacles au multilatéralisme fondé sur des normes. L’ambivalence observée face à la situation au Soudan offre un vif contraste avec la réponse apportée au conflit du Darfour qui a débuté en 2003 et a suscité un engagement fort du Conseil de sécurité des Nations unies : une mission de maintien de la paix au titre du chapitre VII de la Charte, un embargo sur les armes à destination du Darfour (toujours en vigueur, mais pas totalement appliqué), la saisine de la Cour pénale internationale sur le Soudan et la création par l’Union africaine d’un groupe de haut niveau dirigé par l’ancien président sud-africain Govan Mbeki.

Cette fois-ci, la mission internationale d’établissement des faits pour le Soudan est l’une des seules mesures concrètes prises pour répondre au conflit qui déchire ce pays et il est d’autant plus important qu’elle puisse fonctionner. Elle peut préserver les preuves et identifier les auteurs présumés, ouvrant ainsi la voie à la justice pour les victimes et leurs familles. Surtout, le rapport de la mission d’enquête peut révéler l’ampleur de la catastrophe en matière de droits humains qui se déroule au Soudan et galvaniser l’élan pour y faire face.

Alors que les mécanismes des droits humains sont de plus en plus malmenés, la création de la mission internationale d’établissement des faits pour le Soudan a été un véritable triomphe, mais faute de personnel, elle a été minée dès le départ. Il faut y remédier avant qu’il ne soit trop tard.

Sarah Jackson est directrice régionale adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

Cet article a initialement été publié dans le quotidien sud-africain Mail and Guardian [12].

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