Écrire Des experts de l’ONU s’inquiètent de l’impunité au Chili

Le 27 novembre 2023, deux rapporteurs spéciaux des Nations unies, l’un sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, l’autre sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ont appelé les autorités chiliennes à « accélérer les poursuites et les sanctions à l’encontre des agents de l’État responsables de crimes commis lors du mouvement de protestation de 2019 et 2020 ».

Dans une déclaration virulente, ils ont exprimé leur préoccupation face à l’absence de procédure pénale visant le moindre cadre de la police et rappelé qu’il « incombe à l’État d’amener les supérieurs hiérarchiques à rendre des comptes ».

Amnesty International demande au procureur de la région métropolitaine du Centre-Nord d’inculper officiellement, s’il existe des preuves suffisantes, les commandants de la police nationale qui pourraient être responsables de ces violations.

Le 18 octobre 2019, des manifestations massives ont éclaté partout au Chili, à la suite de l’annonce d’une hausse du prix des transports publics à Santiago, la capitale. Pour de nombreux Chilien·ne·s, ce fut la goutte d’eau qui fait déborder le vase après des décennies de détérioration de l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels.

Ces manifestations largement pacifiques ont été sévèrement réprimées. Les mesures gouvernementales, sans précédent depuis le régime d’Augusto Pinochet, n’ont pas mis fin aux contestations. Les Carabineros, la force de police chilienne, ont fait un usage constant et inapproprié d’armes à létalité réduite, en tirant à plusieurs reprises des munitions potentiellement mortelles de façon injustifiée, généralisée et sans discernement et, dans de nombreux cas, en visant la tête des personnes.

Plusieurs fois, ils ont utilisé de manière excessive et injustifiée du gaz lacrymogène contre des hôpitaux, des universités, des habitations et même des établissements scolaires, où se trouvaient des enfants et des personnes porteuses de handicap qui ont été gravement atteints par les substances chimiques contenues dans les cartouches. Des milliers de personnes ont été blessées, dont des centaines grièvement touchées aux yeux, à cause des tirs de chevrotine recouverte de caoutchouc et de gaz lacrymogène effectués sans discernement et de manière inappropriée. D’autres violations des droits humains ont été commises, notamment des dizaines de cas de torture, dont des sévices sexuels. La plupart des violations recensées sont imputables aux Carabineros.

Leurs commandants, dont la responsabilité consiste à exercer le contrôle sur leurs unités et à faire en sorte que la force soit utilisée conformément à la législation et aux normes nationales et internationales, n’ont pas empêché ces violations des droits humains – ce qu’illustre le cas emblématique de Gustavo Gatica.

La police chilienne a ouvert une enquête interne sur les événements, mais a conclu que personne au sein de l’institution ne pouvait être tenu pour responsable dans cette affaire. En juin 2020, Amnesty International a dénoncé ce qui ressemblait à une tentative des Carabineros de dissimuler l’implication de l’un de leurs membres, l’agent « G-3 ». Au 29 septembre 2023, cet homme faisait désormais l’objet d’une enquête pénale pour son rôle dans les tirs qui ont touché Gustavo Gatica. Le procureur général a engagé des poursuites contre l’agent « G-3 », mais son procès n’a pas encore eu lieu et aucune procédure n’a pour l’heure été engagée pour déterminer la responsabilité de la chaîne de commandement.

En octobre 2020, Amnesty International a publié un rapport, intitulé Les yeux rivés sur le Chili. Violence policière et responsabilité de commandement pendant la vague de contestation sociale, qui concluait à la possible responsabilité pénale d’au moins trois supérieurs hiérarchiques des Carabineros pour leurs ordres tacites ou leurs omissions délibérées dans la violation généralisée du droit à l’intégrité physique des manifestant·e·s.

L’organisation a lancé une campagne mondiale demandant que le Bureau du procureur général enquête sur ces fonctionnaires. Dans son rapport, elle préconisait également une réforme structurelle des Carabineros, en raison des limites résultant de leur nature militaire et de leur structure organique, et soulignait la nécessité que les autorités civiles contrôlent mieux la police nationale et que des changements soient opérés d’urgence afin de garantir un respect total du droit international relatif aux droits humains.

En septembre 2023, l’impunité pour ces événements restait la norme. Selon l’Institut national chilien pour les droits humains (INDH), à la fin de l’année 2022, le bureau du procureur de la Nation n’avait engagé des poursuites que pour 127 des 10 568 cas signalés de violations des droits humains pendant la vague de contestation sociale. Ces poursuites n’ont débouché que sur 27 condamnations et huit relaxes. À ce jour, aucune poursuite n’a été engagée à l’encontre d’aucun des commandants des Carabineros en charge du maintien de l’ordre pendant cette période.

Dans le cadre de l’enquête actuellement menée sur le haut commandement des Carabineros, le Bureau du procureur général a convoqué leur directeur général à six reprises pour témoigner, mais ce responsable qui occupe la plus haute fonction au sein de la police chargée de la sécurité du pays n’a pas encore donné suite à ses convocations, ce qui bloque l’enquête.

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