Sri-Lanka - Rapport annuel 2023

En raison de la crise économique, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a doublé. Le gouvernement a continué d’utiliser des lois antiterroristes draconiennes et a tenté de mettre en place de nouvelles lois pour réprimer la dissidence et menacer la liberté d’expression, ce qui s’est traduit par des arrestations et des détentions arbitraires. Le droit à la liberté de réunion pacifique a fait l’objet de restrictions, et les autorités ont continué de faire usage d’une force injustifiée et excessive à l’encontre de manifestant·e·s. L’impunité est restée bien ancrée, le gouvernement n’ayant fait aucun progrès pour garantir le droit à la vérité, à la justice et à des réparations pour les personnes touchées par la guerre. Des réformes législatives visant à dépénaliser les relations librement consenties entre personnes de même sexe et à mettre fin aux mariages d’enfants dans la communauté musulmane n’ont pas abouti.

Contexte

La Banque mondiale a signalé que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté avait doublé depuis 2022 et a estimé que plus de 2,2 millions de familles, soit 27,5 % de la population, seraient concernées en 2023. Le Sri Lanka a reçu en mars la première tranche de 330 millions de dollars des États-Unis au titre d’un plan de sauvetage mis en place par le Fonds monétaire international (FMI). Une deuxième tranche, de 337 millions de dollars, a été débloquée en décembre pour aider le pays à faire face à la crise économique.
Dans sa réponse à son EPU, mené en mars, le Sri Lanka s’est contenté de prendre note de la plupart des recommandations lui ayant été faites au sujet de l’obligation de rendre des comptes pour les graves violations des droits humains et du droit humanitaire commises pendant la guerre, mais ne les a pas acceptées.

Droits économiques, sociaux et culturels

La crise économique a particulièrement touché les groupes marginalisés, qui ont dû faire face à une baisse de revenu, à l’inflation galopante et à l’insuffisance des mesures de protection sociales[1]. Selon le rapport du FMI sur le Sri Lanka, publié en mars, seulement 0,6 % du PIB allait être consacré à la protection sociale en 2023.
Malgré la mise en place d’un nouveau système de versement des prestations sociales, appelé « Aswesuma », seules 1,1 million de familles sur les deux millions vivant sous le seuil de pauvreté étaient éligibles pour bénéficier de ce programme très sélectif. Celui-ci risquait en outre d’exclure de nombreuses personnes parmi les plus touchées par la crise économique, notamment celles qui vivaient dans les zones urbaines, travaillaient dans le secteur informel, recevaient une paye journalière ou étaient originaires de la minorité malaiyaha tamil, ainsi que d’autres personnes ayant des revenus faibles ou précaires ou se retrouvant sans revenus après avoir perdu leur emploi.
Les femmes enceintes ou allaitantes étaient touchées de manière disproportionnée par la crise économique. Elles étaient confrontées à une insécurité alimentaire croissante, notamment en raison de l’approvisionnement irrégulier en nourriture et en compléments alimentaires et vitaminés nécessaires à la nutrition maternelle fournis par les pouvoirs publics, et parce que les services essentiels de santé maternelle étaient fortement dégradés[2].

Liberté d’expression, arrestations et détentions arbitraires

Le gouvernement a tenté de remplacer la draconienne Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA) par la Loi antiterrorisme (ATA). Les définitions de certaines infractions données dans le premier projet de loi, publié au Journal officiel en mars, étaient trop larges, vagues et subjectives, et risquaient fortement de donner lieu à une application arbitraire et à des violations. De nouvelles infractions qualifiaient ainsi des actes de désobéissance civile d’actes terroristes. Une nouvelle version de l’ATA a été publiée au Journal officiel en septembre, avec quelques changements mineurs, mais le texte permettait toujours de commettre des violations des droits humains.
La PTA a été utilisée tout au long de l’année 2023. Le délégué syndical de la Fédération interuniversitaire des étudiants, Wasantha Mudalige, a été arrêté en août 2022 pendant la répression d’une manifestation organisée pour protester contre la profonde crise économique et demander des comptes aux responsables. Le président du tribunal de Colombo a jugé en janvier que les accusations liées au terrorisme dont faisait l’objet Wasantha Mudalige au titre de la PTA ne pouvaient être retenues, et celui-ci a été libéré. Les autorités ont assuré à la communauté internationale que la PTA serait abrogée, mais quatre personnes ont été inculpées au titre de cette loi en mai pour leur rôle présumé dans les attentats du 21 avril 2019. En juin, toutes les charges retenues dans cette affaire au titre de la PTA avaient été abandonnées, mais deux des personnes initialement poursuivies ont finalement été inculpées au titre de la législation sri-lankaise relative au PIDCP. Les autorités ont arrêté en novembre neuf personnes au titre de la PTA, pour avoir organisé une veillée de commémoration dans la ville de Batticaloa, à l’est du pays. Le poète et enseignant Ahnaf Jazeem a été mis hors de cause par la haute cour de Puttalam, plus de trois ans et demi après avoir été injustement arrêté en vertu de la PTA.
La Loi sur le PIDCP a encore été instrumentalisée contre la liberté d’expression. En janvier, les autorités ont arrêté Sepal Amarasinghe, créateur de contenu sur les réseaux sociaux, pour ses commentaires publiés sur YouTube, jugés insultants pour le bouddhisme. Il n’a été libéré qu’après avoir présenté en février des excuses publiques inconditionnelles. En mai, la comédienne Nathasha Edirisooriya a été arrêtée pour des propos tenus lors d’un spectacle humoristique, également jugés insultants pour le bouddhisme. Bruno Divakara, animateur d’une chaîne YouTube ayant publié une vidéo de la performance de Nathasha Edirisooriya, a également été arrêté quelques jours après. Ils ont tous deux été libérés sous caution en juillet, mais restaient sous le coup de poursuites à la fin de l’année.
En septembre, le gouvernement a publié au Journal officiel un projet de loi visant à encadrer la communication et la sécurité en ligne. Le HCDH a constaté que « de nombreux articles du projet de loi cont[enaient] des termes et des définitions d’infractions vagues qui laiss[aient] une grande place à l’interprétation arbitraire et subjective, et qui pourraient ériger en infraction presque toutes les formes d’expression légitime, créant ainsi un environnement hostile à la liberté d’expression ».
En décembre, les autorités ont lancé une opération baptisée « Yukthiya », dont l’objectif déclaré était de contrôler la « menace de la drogue ». Des centaines d’arrestations quotidiennes ont été menées dans le cadre de cette opération.

Liberté de réunion pacifique

Après les manifestations de grande ampleur organisées en 2022, qui avaient chassé du pouvoir l’élite du parti au pouvoir, des manifestations ont été réprimées tout au long de l’année 2023, ce qui a restreint le droit de réunion pacifique, notamment pour les syndicats, la société civile et les groupes étudiants.
Amnesty International a révélé que les autorités avaient cherché à obtenir de la part du pouvoir judiciaire des ordonnances interdisant les manifestations, eu systématiquement recours de façon abusive à des armes comme des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des matraques, utilisé l’armée pour encadrer des manifestations, et employé une force injustifiée et excessive, ainsi que des méthodes de surveillance et d’intimidation. En février, un manifestant a été tué et une dizaine de personnes ont été blessées à cause d’une utilisation illégale de canons à eau et de gaz lacrymogènes par la police à Colombo, la capitale.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

En septembre, neuf organisations de défense des droits humains ont critiqué le projet bancal du gouvernement qui visait à instaurer une « commission vérité ». Les commissions d’enquête nationales ayant été incapables de garantir le respect de l’obligation de rendre des comptes, certains groupes de victimes ont catégoriquement rejeté ce projet. D’autres ont souligné la nécessité de mettre en place des mesures favorisant un sentiment de confiance avant d’établir une commission vérité, et ont fait part de leurs préoccupations au sujet de la surveillance permanente et de l’absence d’espaces dédiés à la commémoration[3].
Selon les informations disponibles publiquement, les autres mécanismes nationaux de justice transitionnelle (le Bureau des réparations et le Bureau des personnes disparues) n’ont guère avancé dans leur mission durant l’année. De nombreuses affaires jugées devant des tribunaux nationaux traînaient en longueur sans progrès notables, constituant autant d’exemples caractéristiques de l’impunité pour les violations des droits humains.
L’équipe du Projet d’établissement des responsabilités au Sri Lanka, mis en place par le HCDH en 2021, a indiqué en juin recevoir un nombre croissant de demandes émanant d’autorités compétentes de différents pays ayant ouvert des enquêtes pénales. Ces demandes portaient notamment sur 10 personnes nommément désignées. Le gouvernement sri-lankais a rejeté ce mécanisme.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le député Premnath Dolawatte a présenté un projet de loi visant à modifier le Code pénal afin de protéger les droits des personnes LGBTI, en abrogeant les dispositions qui érigeaient en infraction les relations librement consenties entre personnes de même sexe. Après de nombreuses actions en justice contre ce texte, la Cour suprême a jugé qu’il était conforme à la Constitution. Cependant, le soutien nécessaire à son adoption était encore loin d’être suffisant, et le texte n’avait pas été soumis au Parlement à la fin de l’année.

Droits des femmes et des filles

Le gouvernement n’a fait aucun progrès pour modifier la Loi de 1951 sur le mariage et le divorce des personnes de confession musulmane, qui, entre autres problèmes, autorisait le mariage des enfants dès l’âge de 12 ans. En juin, des parlementaires musulmans ont freiné le processus de réforme, ce qui leur a valu des critiques de plusieurs titulaires de mandats de procédures spéciales des Nations unies. Ces titulaires de mandat ont signalé au gouvernement sri-lankais que « si les recommandations des 17 parlementaires musulmans étaient introduites dans le projet de loi, celui-ci serait contraire aux normes et aux obligations internationales relatives à la protection des droits des femmes ».
Le gouvernement a adopté son premier plan d’action national en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité pour la période 2023-2027, et a annoncé son intention d’établir une Commission nationale des femmes.

[1]Actions Speak Louder than Words : The World Bank Must Promote Universal Social Protection, 10 octobre
[2]Foregoing meals to make do : The Impact of Sri Lanka’s economic crisis on maternal nutrition, 12 juillet
[3]“Sri Lanka’s Flawed Plans for a ‘Truth Commission’”, 4 septembre

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