Les limites à la liberté d’expression

Où placer les limites à la liberté d’expression ? La difficulté vient de ce que les trente droits fondamentaux repris dans la Déclaration ne sont pas hiérarchisés et peuvent entrer en conflit les uns avec les autres. Si certains sont absolus comme le droit à la vie (article 3) et le droit à ne pas être soumis à des traitements inhumains et degradants (article 5), d’autres peuvent être restreints dans certaines circonstances, et c’est le cas de la liberté d’expression.
Les exemples sont nombreux. Il peut s’agir de préserver des valeurs morales, d’interdire toute discrimination, d‘empêcher toute publication mettant en péril la sécurité d’un État ou d’une personne. Il n’y a pas de règle absolue. Chaque pays applique ou restreint la liberté d’expression selon dans son régime politique et son cadre socio — culturel et ces restrictions sont évidemment inscrites dans les lois. Voyons quelques exemples.

Sécurité de l’État

En Grèce en 1992. M. Hadjianastassiou, un ingénieur aéronautique dans l’armée de l’air, avait divulgué des informations sur la technique de production d’armes dangereuses. Il avait été condamné par la Grèce à deux ans et demi d’emprisonnement, mais invoquait pour sa défense son droit à la liberté d’expression. Cependant les informations que M. Hadjianastassiou avait répandues pouvaient, si elles étaient mises entre les mains d’individus mal intentionnés, constituer une menace sérieuse pour la sécurité de l’État grec. La restriction de la liberté d’expression de M. Hadjianastassiou était donc légitime.

Préservation de valeurs morales

En Suisse en 1988, un peintre, M. Muller a vu ses toiles confisquées lors d’une exposition. Celles-ci représentaient des actes sexuels de façon explicite et particulièrement crue. L’exposition était accessible au grand public sans droit d’entrée ni limite d’âge. Les juges ont considéré que ces images étaient de nature à blesser un public non averti. M. Muller a estimé que son droit à la liberté d’expression n’avait pas été respecté. D’autres ont pensé que le but et les moyens mis en œuvre par la Suisse étaient légitimes et proportionnels au but à atteindre.
Bien que la spécificité morale des Etats fait qu’il revient à chacun d’entre eux de déterminer les limites liées à des considérations morales, il y a dans certains cas des interférences avec les droits figurant dans des instances supranationales. L’Irlande a ainsi été condamnée en 1992 pour restriction abusive de la liberté d’expression du fait qu’elle avait empêché le fonctionnement d’une association sur base d’atteinte à la moralité de l’État. Cette association donnait des informations aux femmes enceintes sur les possibilités d’avortement à l’étranger à une époque où l’Irlande en interdisait toute pratique. Rappelons que cette association ne prônait pas l’avortement, mais se contentait de donner des informations non directives aux femmes enceintes sur les possibilités existantes.

Insulte publique

La liberté d’expression n’autorise aucun propos diffamatoire portant atteinte au droit et à la dignité de la personne. Ainsi, la calomnie, l’insulte publique et la diffamation sont exclues de la liberté d’expression.

Propos discriminatoires

Il est interdit de tenir des propos discriminants se rapportant à l’origine, au sexe, à l’orientation sexuelle ou aux croyances religieuses.
En Belgique en 2010 les organisateurs du festival Couleur Café ont ainsi pu interdire la venue du chanteur de reggae Beenie Man, qui tient dans ses chansons des propos fortement homophobes.

Propos négationnistes

Le terme négationnisme désigne, dans sa signification première, la négation de la réalité du génocide pratiqué par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale contre les Juifs. Par extension, le terme est régulièrement employé pour désigner la négation, la contestation ou la minimisation d’autres faits historiques, en particulier ceux qu’on pourrait qualifier de crimes contre l’humanité. Dans quatorze pays d’Europe, la négation de l’holocauste fait l’objet d’une loi dont la transgression est punie par la prison. L’universitaire Robert Faurrisson a, à de nombreuses reprises été condamné par l’État français sur ce motif. Il avait en 1978 distribué à ses étudiants de littérature de l’université de Lyon, un polycopié intitulé « Pour une véridique histoire de la deuxième guerre mondiale » dans lequel il affirmait que les chambres à gaz n’étaient qu’une invention pour la propagande sioniste.

Incitation à la haine raciale

Elle se définit par l’expression de haine avec l’intention d’inciter à la violence. Ce mode d’expression est limité par les États, car ses conséquences peuvent être extrêmement graves. L’utilisation de médias de masse pour promouvoir le génocide ou les attaques à motivation ethnique ou raciste constitue un exemple extrême de ce genre discours. L’exemple tragique de la Radio des Mille Collines et du rôle qu’elle joua dans le génocide rwandais démontre bien toute l’importance de la limitation du discours de haine. En 1994, la radio des milles collines répandit une propagande haineuse contre les Tutsis, les Hutus modérés, les Belges et la mission des Nations unies, elle participa activement a créer une atmosphère hostile qui prépara le terrain au génocide, après le début des hostilités elle incita directement au massacre des Tutsis. Le peuple doit apporter machettes, lances, flèches, houes, pelles, râteaux, clous, bâtons, fers électriques, fils de fer barbelés, pierres, et dans l’amour, dans l’ordre, chers auditeurs, pour tuer les Tutsis rwandais. Bien qu’il soit impossible de chiffrer avec exactitude le nombre de morts l’impacte de la radio des mille collines sur le génocide rwandais, la culpabilité des associés de la radio a été reconnue et plusieurs d’entre eux ont été condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Protection de l’enfance

Les enfants doivent pouvoir être protégés de contenus pornographique ou choquant. Cette protection est encore plus importante aujourd’hui à l’heure d’Internet. L’utilisation des filtres Internet a pour but de garantir un équilibre entre la liberté d’expression et d’information et la protection des enfants contre des contenus de sites qui peuvent leur être préjudiciables.

Divulgation d’informations confidentielles

Le tabloïd ougandais Rolling Stone a, en 2010, été soumis à une interdiction de publication de données personnelles laissant sous-entendre l’orientation sexuelle d’une personne. Depuis fin 2009, le gouvernement ougandais envisage de punir l’homosexualité, qu’il considère comme un délit, par la peine de mort. Le tabloïd avait en octobre 2009 publié une liste d’homosexuels présumés, ces personnes avaient ensuite été la cible de harcèlements, et d’attaques. Les organisations internationales de défense des droits humains s’étaient mobilisées pour qu’il soit interdit au magazine de publier d’autres informations confidentielles.

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