Élections - Droit de manifester

Le droit de manifester est une pierre angulaire de notre démocratie. Il repose à la fois sur le droit à la liberté d’expression et sur le droit de réunion pacifique. Ces deux droits fondamentaux sont consacrés par le droit national et international. [1]
Le respect du droit de manifester doit être une priorité. Cela va de pair avec la création d’un cadre sociétal positif dans lequel les personnes sont en mesure d’exercer leur droit de protester.

L’histoire montre que permettre un espace à la protestation est une condition préalable pour relever les défis et progresser. Il faut donc garantir que cet espace de protestation soit et reste disponible. L’État belge doit prendre des mesures actives pour garantir ce droit à tous et à toutes.

Les partis politiques sont des acteurs importants du débat public et peuvent contribuer à faire en sorte que le droit de manifester puisse être réalisé en l’abordant de manière positive, comme une pierre angulaire d’un débat sociétal sain.

L’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques oblige les États à autoriser et à faciliter, activement et passivement, les manifestations pacifiques. Cela signifie que les autorités ont le devoir positif de faciliter et de protéger les rassemblements pacifiques - y compris les rassemblements spontanés - et de permettre aux personnes d’exercer leur droit de manifester pacifiquement. Cela inclut l’obligation de tolérer les perturbations, de fournir des services adéquats et de communiquer avec les personnes qui organisent ou participent à un rassemblement[2] .

Les manifestations pacifiques qui ne respectent pas les procédures et formalités légales ou administratives relèvent également de la protection prévue par le droit international et doivent être tolérées. Il convient de souligner que si un rassemblement est illégal au regard du droit national, cela ne signifie pas qu’il n’est pas pacifique. Les comportements qui interfèrent temporairement avec les activités de tiers, par exemple en bloquant la circulation, doivent également être tolérés[3].

UNE OBLIGATION DE FACILITER LE DROIT DE MANIFESTER

Les lignes directrices internationales[4] indiquent que le droit à la liberté de manifester est un droit fondamental qui devrait être "exercé autant que possible sans réglementation". Tout ce qui n’est pas expressément interdit par la loi doit être considéré comme autorisé. Les personnes souhaitant se réunir dans des espaces publics ne devraient pas être obligées d’obtenir une autorisation pour le faire. En particulier, une présomption en faveur de cette liberté doit être clairement et explicitement établie par la loi.

C’est une bonne chose que la Belgique l’ait clairement et explicitement inscrit dans la Constitution. Toutefois, même si ce droit s’applique sans autorisation préalable, l’absence de déclaration constitutionnelle sur la liberté de se réunir pacifiquement et sans armes en plein air ne permet pas de se conformer intégralement aux normes internationales mentionnées ci-dessus.

En effet, l’article 26(2) de la Constitution stipule que les "réunions en plein air" restent entièrement soumises aux lois de police. Cela signifie que les gouvernements peuvent imposer des mesures préventives par le biais de règlements de police, comme l’exigence d’une autorisation ou d’une notification préalable. En pratique, ils peuvent donc accorder ou refuser une autorisation préalable sur le territoire belge sous le contrôle du Conseil d’État. Puisqu’il est possible d’invoquer clairement et explicitement une exigence de consentement préalable par le biais d’autres lois - et c’est ce qui se fait effectivement dans la pratique - il y a lieu de s’inquiéter de la conformité de cette disposition avec les réglementations internationales.

Le fait que des personnes puissent être soumises à une obligation de consentement avant de pouvoir exercer leur droit de s’exprimer en public n’est pas conforme aux lignes directrices internationales en la matière. Les normes internationales stipulent effectivement que les États ne doivent pas imposer d’obligation de consentement préalable pour l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique[5].

Bien qu’une procédure de notification puisse être nécessaire pour permettre aux gouvernements de faciliter les manifestations en plein air et de prendre des mesures pour protéger l’ordre public et les droits et libertés d’autrui, la participation à des rassemblements et leur organisation est un droit, et non un privilège ou une faveur. Par conséquent, son exercice ne nécessite pas non plus d’autorisation de l’État[6]. Le fait de ne pas notifier aux autorités l’intention de se rassembler ne devrait pas rendre illégal un rassemblement pacifique et ne devrait pas être utilisé pour justifier la dispersion d’une manifestation.

LA NOTIFICATION DOIT SUFFIRE

  • Le droit de manifester est fondamental et doit être "exercé autant que possible sans réglementation". En Belgique, des mesures préventives et répressives sont souvent prises par le biais d’ordonnances de police qui vont à l’encontre de ce principe et entravent la réalisation du droit de manifester.
  • Les autorités doivent veiller à ce que toutes les dispositions exigeant une autorisation préalable pour l’organisation de rassemblements pacifiques soient abrogées. Une procédure de notification préalable peut être acceptable, à condition qu’elle ne soit pas trop lourde et qu’elle permette une certaine flexibilité et des rassemblements spontanés. Pour ce faire, les communes pourraient être encouragées à mettre en place une procédure de notification uniforme, facilement accessible et conforme aux droits humains.
  • Les manifestant·es pacifiques qui n’ont pas demandé l’autorisation de manifester ne devraient pas être sanctionné·es, arrêté·es ou poursuivi·es. Les sanctions administratives devraient également être exclues dans ce cas.
  • Les autorités doivent prendre toutes les mesures appropriées pour garantir que les personnes qui exercent pacifiquement leur droit de manifester puissent le faire et qu’elles ne soient pas illégalement perturbées - même si la manifestation n’est pas entièrement conforme aux lois policières locales ou à d’autres réglementations.
  • La police et les autorités locales doivent recevoir des lignes directrices suffisamment claires, notamment pour ce qui concerne l’encadrement des manifestations. Une attention particulière doit être accordée à cet aspect dans la formation de la police.

L’ESPACE PUBLIC

Le droit à la liberté de réunion pacifique exige que les manifestant·es aient une réelle possibilité de transmettre pacifiquement leur message aux personnes, groupes ou organisations concernés. Par conséquent, comme le recommande le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, les réunions devraient, en règle générale, être organisées à portée de vue et d’oreille de leur public cible[7].

Toutefois, la loi fédérale du 2 mars 1954 impose une interdiction générale des rassemblements dans les "zones neutres", ce qui signifie que les rassemblements ne sont pas autorisés dans des zones définies à proximité de certains bâtiments gouvernementaux, comme la zone de Bruxelles autour des bâtiments du Parlement fédéral, du Parlement flamand, du Parlement de la Communauté française et du Palais royal, ainsi qu’à Namur dans un périmètre autour du Parlement de Wallonie et à Eupen dans un périmètre autour du Parlement de la Communauté germanophone[8].

Les interdictions générales sur le lieu autorisé d’un rassemblement ou d’une manifestation empêchent inévitablement les autorités d’évaluer les circonstances spécifiques et la proportionnalité de la mesure d’interdiction au cas par cas. En outre, cette interdiction de se rassembler à proximité des parlements et des bâtiments gouvernementaux restreint inutilement la possibilité de faire passer le message en un lieu qui soit accessible au public ciblé.

SUPPRESSION DES ZONES NEUTRES

Les restrictions imposées aux rassemblements pacifiques dans certains lieux doivent être évaluées au cas par cas, conformément aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Les interdictions générales concernant des lieux donnés violent ce principe.

  • Les dispositions de la loi du 2 mars 1954 établissant les "zones neutres" doivent être abrogées.
  • Les "zones neutres" figurant dans les règlements de police et en pratique doivent être supprimées.
  • Les manifestations pacifiques dans les "zones neutres" ne devraient pas donner lieu à des arrestations, des poursuites ou des sanctions administratives.

POLICE ET MANIFESTATIONS

Dans certains cas, il peut être difficile de tracer une ligne de démarcation claire entre les manifestations pacifiques et les manifestations non pacifiques. Néanmoins, le Comité des droits de l’homme des Nations unies estime qu’il existe une présomption en faveur du caractère pacifique des manifestations[9]. Comme indiqué ci-dessus, les décisions éventuelles de dispersion des manifestations doivent respecter les principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité. La décision de procéder à une dispersion doit être prise en dernier recours[10]. En outre, le caractère illégal d’une manifestation ne doit pas conduire à la dispersion ou à l’usage de la force[11]. Tant qu’un rassemblement reste pacifique, les autorités doivent faire preuve de retenue et de tolérance pour respecter le droit à la liberté de réunion pacifique.

Les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’ordre public stipulent clairement que la force ne peut être utilisée que si les moyens non violents ont peu de chances d’être efficaces[12]. Lorsqu’ils recourent à la force, les responsables de l’ordre public doivent s’efforcer de minimiser les dommages et les blessures[13]. Les principes de base stipulent également que la plus grande retenue doit s’appliquer lorsqu’il s’agit de disperser des rassemblements pacifiques illégaux au regard de la législation nationale[14].

En tout état de cause, lorsque la dispersion d’une manifestation est inévitable, la priorité devrait être donnée à une dispersion volontaire sans recours à la force. Si la force doit être utilisée, elle doit être proportionnelle au degré de résistance des manifestant·es. La violence susceptible de causer des dommages ne devrait être dirigée que contre des personnes violentes, et le recours à une violence sans discrimination ne peut être justifié qu’en cas de violence généralisée contre les personnes lorsque, en particulier, il n’est plus possible de contrôler la violence en ciblant uniquement les personnes qui la commettent.

Si le comportement des manifestant·es se limite à une résistance passive, donc qu’ils n’obéissent pas à un ordre de dispersion, il convient d’éviter de recourir à la violence pouvant entraîner un risque de blessure grave. Les moyens à effet indiscriminé et à fort potentiel de dommages, tels que les gaz lacrymogènes ou les canons à eau, ne devraient être utilisés que dans des situations de violence plus générale, à des fins de dispersion, et uniquement lorsque tous les autres moyens n’ont pas permis de contenir la violence. Ils ne doivent être utilisés que lorsque les personnes ont la possibilité de se disperser et pas lorsqu’elles se trouvent dans un espace clos ou lorsque les routes ou d’autres moyens d’évacuation sont bloqués. En outre, les personnes doivent être averties au préalable que ces moyens seront utilisés afin qu’elles aient la possibilité de se disperser[15].

Le recours au "confinement" des manifestant·es par les forces de l’ordre pour les empêcher de quitter une zone donnée comporte un certain nombre de risques pour les personnes piégées et pour le bon déroulement du rassemblement. Cette tactique ne devrait être utilisée que pour une durée aussi courte que possible et, par conséquent, ne devrait être utilisée que pour contenir la violence réelle d’un petit groupe et permettre aux manifestant·es pacifiques de poursuivre le rassemblement. Les personnes ayant besoin d’aide, celles qui ne font pas partie du rassemblement et les participant·es qui ne sont pas impliqué·es dans les violences doivent être autorisé·es à partir. En tout état de cause, le "confinement" ne doit pas être utilisé pour empêcher des personnes de participer pacifiquement à un rassemblement, même si ce dernier est considéré comme illégal.

SURVEILLANCE POLICIÈRE DES MANIFESTATIONS

  • Veiller à ce que la surveillance policière des manifestations soit conforme au droit international des droits humains et aux normes relatives à l’usage de la force, y compris les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables du maintien de l’ordre public.
  • Mettre en place une enquête rapide, approfondie, indépendante et efficace sur toutes les allégations de recours inutile et excessif à la force lors de manifestations.
  • Rendre publics les résultats de cette enquête, y compris (mais sans s’y limiter) les incidents ayant donné lieu à des plaintes officielles.
  • Engager des procédures disciplinaires et/ou pénales à l’encontre de toute personne jugée responsable de violations des droits humains.

[1] Comme le prévoient les articles 19 et 26 de la Constitution belge, les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 11 et 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
[2] Voir par exemple : Derzhavtsev c. Belarus, Comité des droits de l’homme des Nations unies, Doc. CCPR/C/115/D/2076/2011 (2015) para. 8.6 ; Pougatch c. Bélarus, Comité des droits de l’homme des Nations unies, Doc. ONU CCPR/C/114/D/1984/2010 (2015) para. 7.7 ; et Evrezov c. Bélarus, Comité des droits de l’homme des Nations unies, Doc. ONU CCPR/ C/114/D/1988/2010 (2015) para 7.4 ; Djavit An c. Turquie (20652/92), Cour européenne des droits de l’homme, troisième section, (2003) para. 57 ; Oya Ataman c. Turquie, Cour européenne des droits de l’homme, deuxième section (2006), para. 36 ; Deuxième rapport sur la situation des défenseurs des droits de l’homme dans les Amériques, Commission interaméricaine des droits de l’homme (2011), OEA/Ser.L/V/II.Doc. 66, para. 130.
[3] Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, Doc. ONU A/HRC/20/27, (2012), para. 41.
[4] Rapport du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, UN Doc. ONU A/HRC/20/27, (2012), para. 28 ; OSCE/BIDDH et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2010, para. 30. Lignes directrices de l’OSCE et du Conseil de l’Europe sur la liberté de réunion pacifique (2010), para. 30, pg. 26 https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2010)020-e
[5] Ibid. 2
[6] Rapport conjoint au Conseil des droits de l’homme du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires sur la bonne gestion des rassemblements, Doc. ONU A/HRC/31/66, para. 21.
[7] Rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, Doc. Voir également OSCE/BIDDH et Commission de Venise, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique (2010), 3.5 et para.45 ; Rapport conjoint du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires sur la bonne gestion des rassemblements, Doc. ONU A/HRC/31/66, para. 24.
[8] Article 3 de la loi du 2 mars 1954 tendant à prévenir et à réprimer les atteintes au libre exercice des pouvoirs souverains établis par la Constitution, Moniteur belge, 19 mars 1954, p. 2044.
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=1954030230&table_name=loi
[9] Observation générale no. 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique (article 17) : Comité des droits de l’homme https://digitallibrary.un.org/record/3884725
[10] Rapport conjoint au Conseil des droits de l’homme du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires sur la bonne gestion des rassemblements, Doc. ONU A/HRC/31/66, para. 61.
Pour un aperçu plus complet des recommandations d’Amnesty International et des normes de droits humains applicables au droit de réunion pacifique et à l’usage de la force, voir : Amnesty International, Le droit de réunion pacifique, Communication au Comité des droits de l’homme des Nations unies, 11 mars 2019 (Index : IOR 40/0019/2019) https://www.amnesty.org/en/documents/ior40/0019/2019/en/. Amnesty International - Section néerlandaise, Recours à la force - Lignes directrices pour la mise en œuvre des principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.
[11] Bukta et autres c. Hongrie, (25691/04), Cour européenne des droits de l’homme, deuxième section (2007), para. 36 ; Nurettin Aldemir et autres c. Turquie, (32124/02, 32126/02, 32129/02, 32132/02, 32133/02, 32137/02 et 32138/02), Cour européenne des droits de l’homme, deuxième section (2007), para. 46
[12] Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, principe n° 4.
[13] Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, principe n° 5.b.
[14] Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, principe n° 13.
[15] Amnesty International - Section néerlandaise, Recours à la force : lignes directrices pour la mise en œuvre des principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois’, août 2015, ligne directrice numéro 7, p. 37.

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