Amnesty International appelle les autorités de l’Afghanistan, du Royaume-Uni et des États-Unis à rendre public un accord secret régissant le transfert des détenus aux autorités afghanes. Ces détenus ont été forcés de choisir entre leur détention illimitée actuelle et un transfert dont les risques sont inconnus. Cette situation fait suite à la levée par le gouvernement britannique d’un moratoire imposé précédemment en raison du risque de torture et d’autres mauvais traitements qu’implique une détention en Afghanistan.
Le secret entourant ces accords de transfert empêche les détenus concernés de prendre des décisions
Le 28 juin 2013, le gouvernement britannique a repris le transfert de dizaines de personnes détenues par les forces armées britanniques dans la province du Helmand, en Afghanistan. En vertu des nouvelles dispositions, les détenus seront d’abord remis aux forces américaines, puis livrés aux autorités afghanes, dans le centre de détention de Parwan, situé à proximité de la base militaire américaine de Bagram.
Le transfert par les autorités américaines et la détention par les autorités afghanes sont soumis aux dispositions d’un protocole d’accord secret, datant du 25 mars 2013, entre les États-Unis et l’Afghanistan.
Le gouvernement britannique a fait valoir que ces nouveaux accords de transfert protégeront les détenus contre d’éventuels mauvais traitements. Cependant, ces assurances n’ont pas dissipé toutes les inquiétudes d’Amnesty International.
Il existe notamment une réelle préoccupation touchant au fait que les détenus pourraient être déplacés du centre de Parwan vers d’autres établissements, où ils risqueraient fortement d’être torturés ou maltraités. Le gouvernement britannique soutient qu’un tel risque n’existe pas. Cette position semble en grande partie basée sur les termes de l’accord Afghanistan-États-Unis. Le gouvernement britannique a en effet déclaré que des transferts ultérieurs « iraient contre la raison d’être du centre de Parwan, et plus fondamentalement encore, seraient contraires à l’accord passé entre les États-Unis et l’Afghanistan ». Il est toutefois impossible, pour les détenus ou quiconque, d’évaluer le protocole d’accord, le respect de ses termes et les risques de transfert ultérieur s’il n’y a pas divulgation ni examen public de ce protocole et d’autres informations relatives aux transferts.
Par ailleurs, même après divulgation complète du protocole, il doit être clair que les interdictions de transferts ultérieurs depuis le centre de Parwan seront pleinement respectées. D’après les informations accessibles au public, les préoccupations entourant la possibilité d’un transfert ultérieur vers d’autres centres de détention, où les détenus seraient exposés à un risque réel de torture et d’autres mauvais traitements, paraissent fondées, étant donné que le gouvernement afghan refuse d’accepter cette condition dans ses négociations avec le Royaume-Uni. Il existe en outre des rumeurs persistantes de transferts internes entre les établissements de détention afghans, y compris le centre de Parwan.
On demande de surcroît aux personnes détenues par les forces britanniques de consentir à être transférées et, dans certains cas, de refuser la possibilité de consulter un avocat indépendant pour les informer sur les risques, et ce malgré le secret entourant les conditions de transfert. Les doutes relatifs au consentement libre et éclairé des détenus au Royaume-Uni se trouvent renforcés par leur situation actuelle. Après des mois d’emprisonnement sans inculpation, ils risquent d’être maintenus en détention illimitée s’ils refusent le transfert. Leur « choix » n’en est donc pas vraiment un : soit ils acceptent d’être remis aux autorités afghanes, avec un risque non évaluable de transfert ultérieur, soit ils encourent une détention illimitée au Royaume-Uni.
Il s’agit là d’une évolution dangereuse, qui affaiblit l’interdiction légale concernant les transferts vers des lieux où les détenus risquent d’être torturés et soumis à d’autres mauvais traitements, ainsi qu’à des procès inéquitables. Ce genre de « choix » ne doit pas être imposé aux détenus. Il ne doit pas non plus, à l’avenir, être proposé à des prisonniers se trouvant dans des situations similaires.
Les préoccupations relatives à ces affaires sont légitimées par la crainte que les détenus risquent des procès inéquitables, des tortures et d’autres mauvais traitements s’ils sont transférés. Toutefois, ce problème n’est guère nouveau. Concernant l’Afghanistan, les Nations unies, Amnesty International, d’autres organisations de défense des droits humains, ainsi que des experts juridiques, expriment depuis de nombreuses années des inquiétudes quant à la manière dont sont traités les détenus, à la justice pénale et au non-respect des normes internationales d’équité en matière de procès.
Les autorités afghanes et la communauté internationale ont donc eu largement le temps de mettre en œuvre les réformes institutionnelles nécessaires à l’apaisement de ces préoccupations. De fait, Les efforts internationaux visant à reconstruire le système judiciaire afghan et à réformer la justice pénale dans le pays ont été un échec notable de ces 12 dernières années. Compenser cet échec va prendre du temps, mais les détenus n’ont pas à en subir les conséquences pour autant. Plus généralement, le gouvernement afghan et la communauté internationale doivent désormais tenir leurs engagements politiques en matière de réforme judiciaire, et allouer les ressources nécessaires à la poursuite des réformes après 2014, lorsque la plupart des troupes de combat auront quitté l’Afghanistan.
Le gouvernement afghan doit également réformer son système carcéral afin de prévenir la torture et d’autres mauvais traitements. Il doit notamment instaurer des garanties en matière de droits humains et de procédures pour toutes les personnes détenues et suspectées dans les affaires pénales. Il doit également veiller à ce que toutes les plaintes pour torture et autres mauvais traitements fassent sans délai l’objet d’une enquête approfondie, efficace, indépendante et impartiale, et à ce que les responsables des actes en question, indépendamment de leur fonction officielle ou de leur rang, soient déférés à la justice, dans le respect des règles d’équité en matière de procès. Le gouvernement doit également fournir des réparations aux victimes et prendre toutes les autres mesures juridiques, administratives et pratiques destinées à éradiquer la torture et les autres mauvais traitements.
Les victimes d’atteintes aux droits humains commises par les groupes armés ont également droit à la vérité, à la justice et à des réparations. Les allégations de crimes relevant du droit international, notamment celles concernant les détenus du centre de Parwan ou d’aux personnes sous la garde des forces internationales en Afghanistan, doivent être examinées, et les responsables traduits en justice dans le cadre de procès équitables excluant le recours à la peine de mort.