« Le système actuel de gestion de l’asile ne satisfait personne. En faisant perdurer un système défaillant qui place les demandeurs d’asile dans une situation incertaine et en fait des sans-papiers, le gouvernement avive des tensions clivantes entre les citoyens sud-africains et les Africains qui vivent dans le pays, a déclaré Shenilla Mohamed, directrice d’Amnesty International Afrique du Sud.
« Au lieu de reconnaître ses lacunes, le gouvernement entretient l’idée que la forte demande de personnes tentant d’obtenir l’asile dans les centres d’accueil pour réfugiés est due aux migrants économiques qui abusent du système. Cela donne lieu à une rhétorique toxique hostile aux demandeurs d’asile propagée par les détenteurs du pouvoir. »
D’après le rapport d’Amnesty International, le piètre processus de décision, notamment les faits erronés et l’absence de raisonnement solide, donne lieu à un taux de rejet des demandes d’asile de 96 % et à un retard énorme dans le traitement des appels et des recours – que l’on estime à 190 000 environ. Certains demandeurs d’asile se retrouvent par conséquent enlisés dans le système, sans obtenir de décision finale sur leur dossier, dans certains cas pendant 19 longues années.
« Le gouvernement avive des tensions clivantes entre les citoyens sud-africains et les Africains qui vivent dans le pays »
Pendant que leur demande est traitée, ils sont censés recevoir des papiers officiels indiquant que leur demande est en cours d’examen et confirmant qu’ils sont officiellement enregistrés dans le système. Ces documents sont essentiels pour se faire soigner dans les hôpitaux publics, s’inscrire dans les écoles et avoir accès à des emplois formels. Cependant, Amnesty International a constaté que, trop souvent, ils n’obtiennent pas les papiers requis.
« Sans statut officiel ni papiers adéquats, ils ne peuvent pas travailler légalement, ni accéder aux services de santé et d’éducation. Ils se retrouvent alors sans ressources et exposés aux actes de harcèlement, aux arrestations et aux détentions.
« La protection des droits devrait constituer le socle de tout système d’asile ; pourtant, les droits des demandeurs d’asile sont bafoués car ils se retrouvent dans un flou total, parfois pendant des années. Cette situation bat en brèche les intentions de la loi sur les réfugiés et la Constitution sud-africaine, qui protège les droits de chaque personne dans le pays, a déclaré Shenilla Mohamed.
« Il est choquant qu’un pays tel que l’Afrique du Sud banalise la vulnérabilité de ceux qui fuient des situations désespérées. »
Autres conclusions importantes du rapport :
• La procédure d’asile n’est pas dûment expliquée aux demandeurs lorsqu’ils arrivent dans les bureaux d’accueil des réfugiés et la traduction, lorsqu’elle existe, est de piètre qualité. Les demandeurs ont récemment fui leurs pays d’origine et beaucoup ne parlent pas et ne comprennent pas l’anglais, ce qui compromet leur capacité à faire valoir leur statut de réfugié sans préjudice.
• En outre, la plupart des demandeurs d’asile n’ont pas de représentation juridique pour les aider dans leurs démarches lorsque leurs demandes sont rejetées – 10 % seulement bénéficient des services d’un avocat.
• Changement législatif majeur et inquiétant, il est proposé de créer des centres de traitement aux postes frontières dans le nord du pays, où les demandeurs d’asile seront « installés » pendant la durée de l’examen de leur dossier. Contrairement à la loi sur les réfugiés en vigueur en Afrique du Sud, les demandeurs d’asile détenus dans ces centres n’auront pas automatiquement le droit de travailler, de tenir des commerces ni d’étudier dans l’attente de la détermination de leur statut. Par ailleurs, le silence entoure la manière dont ces centres de traitement seront financés, c’est-à-dire la manière dont les demandeurs d’asile et les personnes à leur charge auront accès à l’éducation, au logement, à l’alimentation et aux soins médicaux. Le système actuel coûte moins cher que les camps proposés.
• Outre l’énorme retard dans le traitement des appels et des recours, la fermeture de trois bureaux d’accueil des réfugiés dans les villes de Johannesburg, Port Elizabeth et Le Cap ralentit encore le processus de gestion de l’asile et a des conséquences désastreuses pour de nombreux demandeurs qui doivent parcourir de grandes distances jusqu’au bureau d’accueil le plus proche, sans pour autant obtenir des papiers. La fermeture des bureaux d’accueil des réfugiés à Port Elizabeth et au Cap fait l’objet d’un recours en justice depuis leur fermeture en 2011 et 2012. Une longue procédure judiciaire a permis la réouverture du centre de Port Elizabeth en octobre 2018, mais celui du Cap demeure fermé, en dépit d’un arrêt de la Cour suprême d’appel ordonnant sa réouverture avant le 31 mars 2018.
Amnesty International demande au gouvernement sud-africain, en particulier au ministère de l’Intérieur, de garantir un système de gestion de l’asile sûr, équitable et efficace, et de façonner une Afrique du Sud unie qui accueille les personnes en quête de sécurité. Elle l’invite également à se conformer aux arrêts de la cour et à rouvrir le bureau d’accueil des réfugiés du Cap, à financer dûment tous les bureaux d’accueil et à faire en sorte que la procédure de détermination du statut de réfugié soit juste et équitable sur le plan administratif et procédural.
« Les mots et les actes de nos dirigeants ont de l’importance. Nous leur demandons de cesser de mettre en avant des discours politiques clivants et de s’atteler à rassembler les citoyens autour de valeurs communes qui cimentent une société plus ouverte. Les leaders politiques et culturels doivent rendre des comptes pour leurs discours irresponsables, qui divisent et favorisent les violences xénophobes », a déclaré Shenilla Mohamed.
Complément d’information
Amnesty International Afrique du Sud a entamé des recherches en 2018 pour recueillir ses propres données sur le parcours des demandeurs d’asile qui tentent d’exercer leurs droits de demander l’asile et de séjourner en toute légalité en Afrique du Sud durant l’examen de leurs demandes. Elle s’est entretenue avec 88 personnes dans le cadre de groupes de discussion spécifiques et d’entretiens en tête à tête organisés dans quatre villes : Le Cap, Port Elizabeth, Johannesburg et Durban.