ASEAN. Les droits de la personne dans la Charte et au-delà

Déclaration publique

ASA 01/009/2007 (Public)

Amnesty International a pris note de la signature de la Charte de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) par les dirigeants de l’ASEAN qui tiennent actuellement leur 13ème sommet à Singapour. Amnesty International salue l’inclusion dans la Charte d’un engagement en faveur de la promotion, de la protection et du respect des droits humains et de la création d’une agence régionale des droits de l’homme.
Toutefois, l’organisation est profondément préoccupée par le fait que jusqu’à présent le processus d’élaboration de la Charte de l’ASEAN est resté très opaque et non participatif. En dépit de l’existence d’une société civile très active et très engagée qui n’a pas ménagé ses efforts pour que les droits humains figurent en bonne place dans la Charte de l’ASEAN, les consultations avec des membres de la société civile sur le contenu de la Charte ont été très limités.

L’organisation craint que les engagements inscrits dans la Charte existante en faveur de la protection des droits humains ne restent vides de sens s’ils ne sont pas suivis d’actes concrets dans un délai raisonnable. Il serait nécessaire d’aborder dès à présent la question des atteintes aux droits humains dans les États membres de l’ASEAN et de mettre en place un organisme efficace de défense des droits humains. Cet organisme devrait avoir la capacité de traiter des violations des droits humains, fréquemment observées dans certains pays de l’ASEAN et devrait veiller à ce que la revendication de l’ASEAN de répondre aux besoins de la population se traduisent aussi par le respect des droits humains au sein des États membres de l’ASEAN.

Les droits humains au sein de l’ASEAN

Au fil des ans, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages faisant état de toute une série d’atteintes graves aux droits humains – civils et politiques, sociaux-économiques et culturels – dans les pays de l’ASEAN. L’organisation a relevé des atteintes au plan national et d’autres qui, par nature, dépassent les frontières.

La crise actuelle au Myanmar, qui s’inscrit dans la prolongement de dizaines d’années d’atteintes graves aux droits humains, dont certaines constituent des crimes contre l’humanité, en est un exemple. L’ASEAN n’a pas réussi jusqu’à présent à mettre un terme à ces violations, bien que le Myanmar soit un État membre. Comment le gouvernement militaire de cet État a pu – et a été autorisé à – signer la Charte de l’ASEAN reste source d’interrogation pour Amnesty International, d’autant que ce gouvernement se situe déjà clairement dans le cadre de ce que la Charte nomme « une violation grave » de ses dispositions en matière de respect des droits humains. Amnesty International craint que la Charte de l’ASEAN n’ait perdu toute crédibilité dès le départ. L’organisation considère toutefois encourageant le fait que, selon diverses sources, plusieurs dirigeants de l’ASEAN partagent ces inquiétudes.

La circulation transfrontalière des personnes dans la région a donné lieu à de graves violations des droits humains, qu’il s’agisse de l’exploitation de victimes du trafic d’êtres humains, de réfugiés et demandeurs d’asile cherchant à fuir les persécutions, ou de l’entrave à la libre circulation des travailleurs migrants à la recherche d’un emploi dans les pays les plus prospères de l’ASEAN, où ils sont souvent victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux, droits syndicaux notamment.

L’ASEAN a récemment affirmé vouloir se préoccuper de ces problèmes, mais sur le terrain aucune amélioration concrète n’est encore visible. Parmi les autres atteintes aux droits humains fréquemment rencontrées dans la région, on peut citer les actes de torture et autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants, les exécutions extrajudiciaires, les violations généralisées du droit international humanitaire et relatif aux droits humains dans les conflits armés internes, la violence à l’égard des femmes, les restrictions à la liberté d’expression, de réunion et d’association et le mépris pour les droits économiques, sociaux et culturels des minorités marginalisées. Amnesty International appelle l’ASEAN à relever le défi et à traiter de toutes ces questions relatives aux droits humains dans leur ensemble.

Agence régionale des droits de l’homme

Amnesty International demande instamment à l’ASEAN d’adopter une approche transparente et participative pour la mise en place de l’organisme qui sera chargé de veiller au respect des droits humains. Les organisations de la société civile, notamment les ONG, les syndicats, les organisations sociales, les organisations de femmes, les groupes minoritaires et la population en général doivent jouer un rôle prédominant à la fois pour déterminer les contours du mandat de cet organisme de défense des droits humains et pour établir son fonctionnement. La société civile peut renforcer de manière substantielle la capacité de cet organisme de défense des droits humains à faire respecter les normes du droit international relatif aux droits humains, tant au niveau national que régional et fournir un travail de réflexion essentiel sur l’action de cet organisme.

Amnesty International appelle l’ASEAN à fixer un délai raisonnable pour la mise en place de cet organisme de défense des droits humains. L’organisation appelle également l’ASEAN, au moment de déterminer le mandat de cet organisme, à veiller à ce que la priorité soit donnée au respect des normes du droit international relatif aux droits humains lors de toute action entreprise par cet organisme, en accord avec d’autres organismes régionaux de surveillance chargés de veiller au respect des droits humains.

L’organisme de défense des droits humains de l’ASEAN doit être lui-même – ou, s’il représente des gouvernements, doit avoir le pouvoir de nommer – un organisme de défense des droits humains indépendant, impartial, compétent, professionnel, disposant de ressources suffisantes, dont la composition reflète la diversité des populations et des cultures de la région et respecte l’égalité des genres. Ses membres devront être proposés à la nomination et élus au cours d’un processus transparent impliquant la société civile à toutes les étapes de la procédure. Au minimum, cet organisme de défense des droits humains devra :

  œuvrer et fournir des conseils pour la ratification et l’application des traités relatifs aux droits humains et au droit international humanitaire, notamment en mettant en place des formations effectives ;

  encourager et soutenir les États parties pour qu’ils soumettent en temps voulu des rapports adéquats aux instances de surveillance des traités des Nations unies ;

  inciter les États membres à inviter les mécanismes des procédures spéciales des Nations unies à se rendre sur place et leur fournir toute l’assistance requise et le libre accès à toutes les zones ;

  encourager les États à appliquer les recommandations des procédures spéciales et des organes de surveillance des traités des Nations unies et leur prodiguer des conseils concernant leur application ;

  encourager la mise en place et le bon fonctionnement d’institutions nationales de défense des droits humains, conformément aux Principes des Nations unies concernant le statut des institutions nationales (les « Principes de Paris ») ;

  enquêter sur le respect des droits humains dans des situations spécifiques à la demande de personnes individuelles, d’organisations ou des États, ou de sa propre initiative ;

  élaborer des outils et des matériaux pour enseigner le respect des droits humains et aider les États membres à fournir un enseignement et une formation aux droits humains, à la fois aux fonctionnaires et au grand public et

  travailler avec les défenseurs des droits humains au niveau national et régional, leur prodiguer des conseils et veiller à ce que les États ne fassent pas obstacle à leur action.

L’agence des droits de l’homme devra disposer de l’autorité et des ressources suffisantes pour mener à bien ces tâches de manière efficace.

Enfin, Amnesty International recommande vivement que le mandat initial de cet organisme de défense des droits humains autorise le développement, l’expansion et l’élaboration de mécanismes aptes à prévenir les violations des droits humains et à assurer la protection, le respect et la promotion des droits humains dans tous les États de l’ASEAN. Amnesty International demande instamment aux dirigeants de l’ASEAN de veiller à ce que la mise en place de cet organisme de défense des droits humains permette à des groupes de la société civile de s’engager de manière efficace et transparente en faveur des droits humains de sorte que les droits fondamentaux des personnes soient au cœur de cet organisme.

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