Lors d’une mission à Taizz ce mois-ci, des délégués de l’organisation se sont entretenus avec 15 médecins, ainsi qu’avec d’autres professionnels de la santé, qui ont expliqué que les forces armées anti-Houthis les ont régulièrement harcelés, arrêtés, voire menacés de mort ces six derniers mois.
« Certains éléments convaincants montrent que les forces anti-Houthis mènent une campagne de peur et d’intimidation contre les professionnels de la santé à Taizz. En postant des combattants et en établissant des positions militaires près de centres médicaux, elles compromettent la sécurité d’hôpitaux et font fi de l’obligation qui leur est faite, aux termes du droit international, de protéger les civils », a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
En postant des combattants et en établissant des positions militaires près de centres médicaux, elles compromettent la sécurité d’hôpitaux
« Il est impossible de justifier le fait de harceler des professionnels de la santé ou d’empêcher des médecins d’accomplir leur travail vital. Prendre pour cible des établissements médicaux ou des professionnels de la santé est interdit par le droit international, et ces agissements pourrait constituer des crimes de guerre. »
Les forces anti-Houthis, aussi connues sous le nom de forces de la Résistance populaire, sont alliées au président Abd Rabbu Mansour Hadi et à la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.
Fermeture d’hôpitaux
Dans au moins trois cas, des hôpitaux ont été fermés à cause de menaces proférées contre leurs personnels. Dans le cas le plus récent, lundi 21 novembre, une faction des forces anti-Houthis a effectué une descente à l’hôpital al Thawra, le plus grand hôpital public de Taizz, en représailles semble-t-il contre le fait que des membres du personnel hospitalier aient prodigué des soins d’urgence à trois combattants houthis blessés.
Selon les témoins, trois hommes armés ont fait irruption dans un bureau de l’hôpital et menacé de tuer le personnel médical si l’établissement ne fermait pas immédiatement. Ils ont aussi essayé de traîner les deux combattants houthis ayant survécu hors de l’unité des soins intensifs et de la salle de réveil, mais en ont été empêchés par le personnel. Le troisième combattant houthi avait succombé alors qu’il recevait des soins. Cet hôpital ne fonctionne plus que partiellement à l’heure actuelle, ne fournissant que des services d’urgence et de dialyse, malgré la reprise de combats nourris depuis la première semaine de novembre.
Ils ont aussi essayé de traîner les deux combattants houthis ayant survécu hors de l’unité des soins intensifs et de la salle de réveil, mais en ont été empêchés par le personnel.
« La possibilité pour les blessés - civils ou combattants - d’être secourus et soignés est un principe fondamental du droit international humanitaire. Il est choquant et inacceptable que les forces anti-Houthis s’en prennent au personnel médical parce qu’il fait son travail », a déclaré Philip Luther.
Les personnels médicaux menacés
Plusieurs des médecins ont déclaré à Amnesty International que le chaos qui s’est emparé de Taizz a créé un vide sécuritaire les exposant à un danger accru face aux forces anti-Houthis, qui essaient d’exercer le contrôle dans les hôpitaux.
Un membre du personnel administratif a décrit les forces anti-Houthis comme « l’autorité de fait ». Il a déclaré qu’elles viennent souvent à l’hôpital pour demander que des combattants présentant des blessures de guerre soient soignés. Des médecins ont signalé à Amnesty International que si des combattants anti-Houthis ne sont pas acceptés à l’hôpital en raison d’un manque de place, ils deviennent violents ou insultants. Dans d’autres cas, des professionnels de santé ont indiqué que des médecins ont été forcés à faire leur travail sous la menace d’une arme.
si des combattants anti-Houthis ne sont pas acceptés à l’hôpital en raison d’un manque de place, ils deviennent violents ou insultants
Selon un docteur de l’hôpital al Jamhouri ayant parlé à Amnesty International, un homme a ouvert le feu à l’intérieur de l’hôpital après avoir appris que son fils, un combattant anti-Houthis présentant une blessure mineure à la jambe, n’avait pas besoin de recevoir de soins d’urgence et qu’un infirmier pouvait s’occuper de lui. Il a blessé des professionnels de santé et tué un patient.
Des membres du personnel hospitalier ont également indiqué que les hommes armés refusaient de laisser leurs armes dehors et causaient généralement des problèmes à l’intérieur, en insultant les médecins et en ayant des altercations physiques avec le personnel.
« À des centaines de reprises, [des combattants anti-Houthis] nous ont menacés et ont entravé le fonctionnement de l’hôpital et notre prise de décisions. Lorsque nous nous élevons contre eux, ils menacent de nous tuer », a déclaré un employé administratif placé en détention avec un médecin par des hommes armés après avoir essayé de les empêcher de s’ingérer dans les affaires de l’hôpital.
Lorsque nous nous élevons contre eux, ils menacent de nous tuer
Le personnel de l’hôpital al Thawra a par ailleurs déclaré que les forces anti-Houthis ont détourné leur alimentation électrique pour leur utilisation personnelle, perturbant l’approvisionnement en électricité de certains services essentiels.
Dans d’autres cas, des combattants ont exigé des médicaments et des fournitures, et confisqué certains équipements dans les hôpitaux.
Des positions militaires proches d’hôpitaux
Le personnel de l’hôpital al Thawra a déclaré à Amnesty International que des combattants ont établi des positions défensives, notamment en garant des tanks autour de l’établissement, ignorant les demandes du personnel et des autorités locales visant à les en dissuader. Tout cela expose des bâtiments hospitaliers, des professionnels de la santé et des patients à un risque grave d’attaques en représailles de la part des Houthis.
Le directeur d’al Thawra a déclaré que les agents de sécurité de l’hôpital n’étaient pas en mesure de s’opposer aux membres des forces armés :
« On compte des dizaines d’hommes armés à l’intérieur de l’hôpital. Est-ce que je dirige un hôpital ou un bataillon ? [...] Ces hommes armés vous créent toutes sortes d’ennuis en dehors de l’hôpital si vous refusez de les laisser entrer. »
Un médecin qui vivait et travaillait à l’hôpital jusqu’au mois de juillet a déclaré que des combattants lançaient des attaques depuis une zone située juste à côté de l’établissement au moins deux fois par semaine en moyenne. Cela se soldait en retour par de féroces attaques contre l’hôpital et ses alentours par les Houthis.
Le 28 septembre, un mortier tiré par des combattants houthis a atteint l’hôpital, endommageant ses panneaux solaires, réservoirs d’eau et canalisations, ce qui a amené l’établissement à suspendre temporairement les interventions chirurgicales.
Un médecin de l’hôpital al Jamhouri a déclaré à Amnesty International :
« Aucun projectile n’a été tiré depuis [l’intérieur] [...] Il y a trois portails avant d’atteindre l’hôpital - des hommes armés y tiennent la garde. À l’intérieur de l’hôpital, ils ont des hommes mais ils ne sont pas armés [...] Les hommes qui sont dehors ont des armes et des grenades. »
Il a également déclaré que début novembre une attaque au mortier avait endommagé le toit de l’hôpital et traversé un des étages.
« À peine 12 mètres séparaient l’endroit où il est tombé du secteur où nous travaillons », a-t-il indiqué, ajoutant qu’une cinquantaine de membres du personnel étaient présents dans la zone à ce moment-là.
« En postant des combattants et des véhicules militaires à l’intérieur et aux alentours des centres médicaux de Taizz, les forces anti-Houthis mettent en danger civils et personnels hospitaliers, portant ainsi atteinte à un principe fondamental du droit international humanitaire », a déclaré Philip Luther.
« Les parties au conflit doivent mettre un terme aux attaques ne faisant pas de distinction entre civils et cibles militaires. Elles doivent cesser d’employer de l’artillerie et des mortiers aux alentours des zones civiles, et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de positionner des objectifs militaires près de zones densément peuplées, et en particulier des hôpitaux et des centres médicaux. »
Elles doivent cesser d’employer de l’artillerie et des mortiers aux alentours des zones civiles
Amnesty International a demandé à plusieurs reprises un embargo total sur les transferts d’armes susceptibles d’être utilisées par l’une des parties au conflit au Yémen. Les forces anti-Houthis sont soutenues par la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite, qui est armée par les États-Unis et le Royaume-Uni.
L’organisation demande aussi aux autorités yéménites de renforcer la sécurité des établissements médicaux et de protéger le personnel et les patients contre les attaques.
Complément d’information
Le manquement au devoir de protéger les hôpitaux et les infrastructures civiles s’avère systématique dans le cadre du conflit au Yémen. En 2015, Amnesty International a vu des combattants des deux camps lancer des attaques depuis l’intérieur ou les alentours d’hôpitaux, et lors d’une mission en juillet 2015 a pu constater les dégâts causés à l’hôpital al Thawra par les bombardements des combattants houthis.
Aux termes du droit international humanitaire, les centres médicaux doivent bénéficier d’une protection spéciale contre les attaques, et ne doivent pas servir à des fins militaires ni être pris pour cible par les parties au conflit. Ils ne perdent leur droit à cette protection que s’ils sont utilisés à des fins autres qu’humanitaires, pour commettre des actes nuisibles à l’ennemi.
Soigner des soldats ou combattants blessés correspond au rôle humanitaire que doivent remplir les hôpitaux, et les établissements médicaux ne doivent jamais être attaqués pour cela. Même si un hôpital est utilisé à mauvais escient pour mener des attaques contre l’ennemi, il convient d’émettre une mise en garde préalable, accordant un délai raisonnable, et l’attaque ne peut avoir lieu que si l’avertissement n’a pas été pris en considération.
Amnesty International a recueilli des informations sur des attaques illégales, y compris des crimes de guerre, commises par toutes les parties au conflit. Lors de leur mission dans l’est de Taizz en novembre 2016, des délégués de l’organisation ont parlé à des témoins - notamment à des professionnels de la santé - et à des victimes d’une attaque lancée par les forces anti-Houthis début octobre ayant visé un marché local connu sous le nom de Sofitel, dans une zone contrôlée par les Houthis. L’attaque a fait au moins trois morts et quatre blessés parmi la population civile.