Déclaration publique
Index AI : EUR 55/009/2009 -
ÉFAI -
12 novembre 2009
Le 11 novembre 2009, un tribunal de Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, a condamné deux jeunes militants bien connus, Emin Abdoullaïev (Emin Milli de son nom d’internaute) et Adnan Hajizade, à des peines respectives de deux ans et demi et deux ans d’emprisonnement pour houliganisme et coups et blessures légers. Amnesty International estime que les charges retenues contre eux ont été forgées de toutes pièces dans le but d’étouffer leurs voix dissidentes non violentes, dans le cadre d’une répression soutenue qui touche les détracteurs du gouvernement en Azerbaïdjan. L’organisation les considère comme des prisonniers d’opinion qui doivent être libérés immédiatement et sans condition.
Emin Abdoullaïev, trente ans, et Adnan Hajizade, vingt-six ans, utilisent des réseaux de socialisation sur Internet comme Youtube, Facebook et Twitter, afin de faire circuler des informations sur la situation socio-politique en Azerbaïdjan. Emin Abdoullaïev est également cofondateur d’un mouvement jeunesse, Alumni Network, tandis qu’Adnan Hajizade est coordinateur d’un mouvement de jeunes appelé OL ! qui préconise la non-violence et la tolérance. Par ailleurs, Emin Abdoullaïev a ouvertement critiqué les modifications de la Constitution azerbaïdjanaise proposées lors d’un référendum le 18 mars 2009, qui ont aboli la limitation du nombre de mandats présidentiels, permettant à l’actuel président Ilham Aliyev comme à ses successeurs de se représenter indéfiniment à ce scrutin.
Le 8 juillet 2009, Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade dînaient en compagnie de cinq amis dans un restaurant libanais de Bakou. Selon des témoins interrogés par Amnesty International, alors que le groupe débattait de politique et du militantisme des jeunes, deux hommes à forte carrure se sont approchés, les ont insultés et ont demandé agressivement de quoi ils s’entretenaient. Lorsque Emin Abdoullaïev a rétorqué que leur conversation ne les regardait pas, l’un des deux hommes lui a asséné un coup de tête et Emin Abdoullaïev s’est effondré. Adnan Hajizade se serait alors avancé pour le protéger et aurait été frappé et assommé à son tour. Selon des témoins, le deuxième homme s’est alors emparé de la table pour faire barrage aux autres convives tentant de porter secours à leurs deux amis, qui, à terre, recevaient force coups de pied et de poing de la part de son complice. Tout cela n’a duré que quelques minutes, avant que les employés du restaurant ne s’interposent.
Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade se sont ensuite rendus au commissariat de police du district de Sabaïl, 39e division, pour signaler l’agression et porter plainte en tant que victimes. Ils se sont pris en photo devant le bâtiment et sur ces clichés, on distingue nettement leurs blessures. Après être entrés dans ce commissariat, ils ont été renvoyés vers celui de la 9e division, où les policiers, au lieu d’enregistrer leurs plaintes et de leur prodiguer les soins médicaux demandés, les auraient interrogés en tant que suspects cinq heures durant, sans qu’ils puissent consulter un avocat de leur choix. Les deux autres hommes impliqués dans la bagarre au restaurant ont été relâchés après avoir été amenés au poste pour un bref interrogatoire. Quant à Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade, ils ont été arrêtés, inculpés de « houliganisme » et placés en détention provisoire. Le 21 août, le chef d’inculpation de « coups et blessures légers » a été ajouté aux charges retenues contre eux.
D’après les documents examinés par Amnesty International, au cours de leur enquête, les policiers et les représentants du ministère public n’ont pas interrogé les témoins et ont omis de se procurer l’enregistrement vidéo d’une caméra de sécurité située devant le restaurant et susceptible d’avoir enregistré les événements. En outre, des documents erronés présentés au tribunal prétendaient qu’Adnan Hajizade se trouvait au chômage, alors qu’il était employé de British Petroleum, et avait un casier judiciaire, alors qu’il n’en était rien.
Les audiences du procès se sont tenues devant le tribunal de district de Sabaïl, à Bakou, les 4, 16, 18 et 29 septembre, ainsi que les 1er, 7, 9, 13 et 28 octobre, et les 5 et 11 novembre. Durant ces audiences, Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade auraient été placés dans une cage à barreaux et menottés lors de leurs transferts en salle d’audience.
Selon la défense, durant le procès, le juge a refusé de prendre en compte les photographies montrant les blessures infligées à Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade. Il a également refusé de retenir les éléments de preuve filmés à l’aide de téléphones portables et d’une caméra de sécurité, sans aucune explication quant au rejet de ces éléments.
Lors de l’audience du 16 septembre, six personnes venues soutenir les blogueurs auraient été placées en détention pour une courte durée, sous prétexte qu’elles arboraient des T-shirts où l’on pouvait lire « Moi aussi je suis un houligan ». Elles auraient été retenues jusqu’à douze heures avant d’être relâchées. D’après les militants azerbaïdjanais, les autorités ont ainsi tenté de décourager toute marque de soutien visible aux deux jeunes hommes.
Amnesty International croit savoir qu’ils ont l’intention de faire appel du jugement.
Quelques jours avant l’agression, Adnan Hajizade avait diffusé sur Internet une vidéo satirique sur des ânes, achetés à l’Allemagne par l’Azerbaïdjan à l’aide de fonds publics, qui posait la question « Et qu’en est-il des droits humains ? » Cette satire s’inspirait d’un article dénonçant le fait que le gouvernement aurait dépensé des centaines de milliers de dollars pour importer une dizaine d’ânes, dans le cadre d’une transaction sans doute destinée à dissimuler des faits de corruption ou de détournement de fonds publics.
Ayant étudié cette affaire en détail, Amnesty International est préoccupée à la fois par l’absence d’enquête approfondie et impartiale sur les événements du 8 juillet au restaurant qui ont conduit à l’arrestation d’Emin Abdoullaïev et d’Adnan Hajizade, et par le non-respect des normes d’équité lors de leur procès.
En outre, il semble qu’aucune investigation n’ait été menée concernant la plainte d’Emin Abdoullaïev et d’Adnan Hajizade, qui ont déclaré avoir été agressés, sans les avoir aucunement provoqués, par les deux hommes au restaurant.
Selon Amnesty International, l’incarcération des deux militants s’inscrit dans le cadre d’une répression soutenue visant les voix dissidentes en Azerbaïdjan. Ils ont été pris pour cibles parce qu’ils ont exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et non parce qu’ils étaient accusés d’un véritable crime dont ils pouvaient être les auteurs.
C’est pourquoi Amnesty International considère Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade comme des prisonniers d’opinion et demande leur libération immédiate et inconditionnelle.
Complément d’information
Amnesty International a fait part à maintes reprises de ses préoccupations concernant l’espace de plus en plus restreint accordé à la liberté d’expression en Azerbaïdjan et le recours aux inculpations pénales pour faire taire les voix dissidentes. Elle a notamment publié en 2009 un rapport intitulé Azerbaijan : Independent journalists under siege (index AI : EUR 55/004/2009). Elle cite le prisonnier d’opinion Qanimat Zahid, rédacteur en chef du journal d’opposition Azadliq, condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour houliganisme et agression en mars 2008. Plusieurs journalistes ont également été incarcérés sur la base d’accusations fallacieuses au cours des dernières années.
La communauté internationale a fait part de ses préoccupations quant à l’affaire Emin Abdoullaïev et Adnan Hajizade. Le 23 juillet 2009, la présidence suédoise de l’Union européenne (UE) a publié une déclaration au nom de l’UE soulignant ses inquiétudes face à l’arrestation des deux militants.
Dans ses observations finales sur l’Azerbaïdjan, publiées le 13 août 2009 après examen des rapports sur ce pays lors de sa 96e session en juillet, le Comité des droits de l’homme s’est inquiété de la « récente arrestation et mise en détention provisoire de personnes qui avaient exprimé leur opinion par l’intermédiaire de médias non conventionnels, surtout qu’aucune explication n’a été donnée quant au motif de leur arrestation ? alors qu’elles étaient venues se plaindre auprès de la police d’agressions qu’elles avaient subies ? et quant à la raison pour laquelle les procédures judiciaires auxquelles elles ont été soumises pour hooliganisme n’ont pas été publiques ». Le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état d’agressions de journalistes, la fermeture de journaux indépendants, le retrait des autorisations d’émettre localement de plusieurs stations de radio étrangères et les accusations systématiques de houliganisme dont font l’objet les journalistes. Il a demandé instamment à l’Azerbaïdjan de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux restrictions directes et indirectes à la liberté d’expression
Publications d’Amnesty International :
Déclaration publique, Azerbaïdjan. Deux jeunes militants ont été arrêtés, 17 juillet 2009 (index AI : EUR 55/006/2009) ;
Rapport, Azerbaijan : Independent journalists under siege (index AI : EUR 55/004/2009).