DÉCLARATION PUBLIQUE
ÉFAI - 5 mars 2010
Cette semaine, des défenseurs du journalisme indépendant en Azerbaïdjan se sont réunis sur la tombe d’Elmar Housseïnov afin de rendre hommage à cet éminent journaliste et rédacteur en chef azerbaïdjanais, tué par balle le 2 mars 2005 en raison, semble-t-il, de ses critiques à l’égard du gouvernement. À ce jour, personne n’a été inculpé de cet homicide.
Au cours des cinq années qui se sont écoulées depuis la mort d’Elmar Housseïnov, les autorités azerbaïdjanaises n’ont cessé de démontrer par leurs actes leur détermination à faire taire toute contestation. Amnesty International craint que la répression des dissidents en Azerbaïdjan ne se soit durcie en 2010.
Les jeunes militants et blogueurs Adnan Hajizade et Emin Milli sont toujours derrière les barreaux pour des accusations qui, selon Amnesty International, ont été forgées de toutes pièces. Leur audience d’appel a été reportée pour la sixième fois à l’issue d’une audience de procédure qui s’est tenue le 3 mars. Ces blogueurs ont été arrêtés une semaine après la mise en ligne, sur le site de partage YouTube, d’une vidéo réalisée par Adnan Hajizade. Il s’agit d’une parodie de conférence de presse dont le protagoniste est un âne. Elle a été diffusée après la parution d’un article qui s’intéressait au fait que le gouvernement d’Azerbaïdjan aurait dépensé des centaines de milliers de dollars pour importer d’Allemagne une dizaine d’ânes, dans le cadre d’une transaction sans doute destinée à dissimuler des faits de corruption ou de détournement de fonds publics. Elle dénonce l’achat de ces animaux, l’instauration d’une législation restrictive visant les ONG et le fait que les droits humains ne figurent pas dans les priorités du gouvernement.
Le 1er mars, le rédacteur en chef d’un journal indépendant, Eynoulla Fatoullaïev, a vu sa période de détention provisoire allongée. Cet homme, qui critique ouvertement le gouvernement, est un ancien collègue d’Elmar Housseïnov. Il doit répondre d’accusations de possession de drogues illicites. Amnesty International pense que ces charges ont été retenues contre Eynoulla Fatoullaïev, déjà incarcéré pour diffamation, terrorisme, incitation à la haine à l’égard d’une ethnie et évasion fiscale, pour tenter de le discréditer encore davantage, au moment où son affaire est examinée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Depuis la publication des rapports qu’Amnesty International a consacrés à la liberté d’expression en Azerbaïdjan en février 2008 et juin 2009, les restrictions en la matière se sont durcies et la contestation continue à être systématiquement muselée, quelle que soit la manière dont elle s’exprime. Des journalistes indépendants et des militants de la société civile sont toujours harcelés et incarcérés pour diffamation et d’autres accusations forgées de toutes pièces – notamment le « hooliganisme » – puis jugés lors de procès qui ne respectent pas les normes internationales d’équité. La diffusion de radios étrangères sur les ondes nationales est interdite depuis le 1er janvier 2009.
À l’occasion du cinquième anniversaire de la mort d’Elmar Housseïnov, Amnesty International appelle les autorités azerbaïdjanaises à se conformer à leurs obligations internationales – qui leur enjoignent de garantir la liberté d’expression et de réunion – et à veiller à ce que les journalistes et les défenseurs des droits humains puissent exercer librement leur droit à la liberté d’expression, sans craindre d’être harcelés. Les prisonniers d’opinion doivent être libérés et des enquêtes indépendantes et approfondies doivent être menées sans délai sur les attaques dont ont été victimes des journalistes et des militants de la société civile, afin que les responsables présumés soient traduits en justice.
Elmar Housseïnov
Le 2 mars est la date anniversaire de l’assassinat de l’éminent journaliste et rédacteur en chef azerbaïdjanais Elmar Housseïnov, tué par balle devant son appartement de Bakou en 2005. Selon des articles de presse, le président Ilham Aliyev a affirmé le lendemain de cet homicide qu’il avait ordonné aux organes chargés de l’application des lois d’enquêter « sérieusement » sur le meurtre de cet homme et de « traduire en justice tous les responsables présumés ».
Cinq ans après l’assassinat de ce journaliste, les autorités azerbaïdjanaises n’ont pas encore ouvert d’enquête effective sur cet homicide et aucun des auteurs présumés de ces faits n’a été poursuivi. Elles auraient déclaré à l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters, basé à Bakou, qu’un mandat d’arrêt international avait été décerné à l’encontre de deux ressortissants géorgiens soupçonnés d’avoir commis ce meurtre. Cependant, les autorités géorgiennes auraient nié avoir reçu une requête officielle leur demandant d’engager des poursuites judiciaires à l’égard de ces suspects.
Les personnes qui ont tenté de faire la lumière sur le meurtre d’Elmar Housseïnov ont été harcelées et persécutées. Sa veuve, Rushana Housseïnova, aurait reçu des menaces de mort et a été contrainte à fuir le pays après avoir déclaré qu’elle soupçonnait les autorités d’être impliquées dans le meurtre de son mari. Elle vit actuellement au Norvège, où elle bénéficie du statut de réfugiée. Eynoulla Fatoullaïev a diligenté une enquête privée sur l’homicide de son ami et collègue Elmar Housseïnov. Il est persécuté sans relâche par les autorités depuis la publication, en 2007, d’un article prétendant que le meurtre d’Elmar Housseïnov avait peut-être été commandité par un haut fonctionnaire.
Eynoulla Fatoullaïev
Le 30 décembre 2009, de nouvelles charges ont été retenues contre Eynoulla Fatoullaïev, initialement incarcéré pour diffamation depuis avril 2007. Plus tard dans l’année, il a été condamné pour terrorisme, incitation à la haine à l’égard d’une ethnie et évasion fiscale. Amnesty International estime que ces accusations ont été forgées de toutes pièces et considère cet homme comme un prisonnier d’opinion.
Selon un porte-parole des services pénitentiaires d’Azerbaïdjan, le 29 décembre 2009, des gardiens ont trouvé 0,22 g d’héroïne dans les chaussures et une manche de la veste d’Eynoulla Fatoullaïev après l’avoir fouillé dans sa cellule. Celui-ci a indiqué à son père qu’une fois entrés dans la cellule les gardiens n’avaient fouillé que sa veste et ses chaussures, et non l’ensemble de la pièce. Les gardiens ont déclaré qu’ils avaient reçu une dénonciation anonyme. Eynoulla Fatoullaïev, qui n’a jamais fait usage de stupéfiants, nie fermement ces accusations et affirme que la drogue a été dissimulée dans ses affaires. Le 30 décembre, un échantillon de sang lui a été prélevé afin de détecter la présence éventuelle de drogue.
Le jour même, il a été inculpé de possession de drogues illicites et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié un communiqué de presse condamnant les persécutions incessantes dont cet homme était victime. Le représentant pour la liberté des médias, Miklos Haraszti, a déclaré qu’il avait « rendu visite deux fois à Eynoulla Fatoullaïev dans sa prison de haute sécurité et trouvait les allégations de trafic ou de possession de drogue très improbables ».
À l’issue d’une audience qui s’est tenue le 31 décembre, un juge du tribunal du district de Garadag a ordonné le placement à l’isolement d’Eynoulla Fatoullaïev pendant deux mois, en attendant son procès. Selon son père, il a été transféré en unité sécurisée dans le village de Kyurdakhany, à environ 16 kilomètres de Bakou.
Le 2 février, les autorités ont rendu public le résultat de l’examen de sang d’Eynoulla Fatoullaïev, mais pas l’analyse détaillée. Selon elles, de faibles traces de métabolites trahissant l’usage d’héroïne ont été trouvées dans son sang, mais pas en quantité suffisante pour démontrer qu’il devait entamer une cure de désintoxication.
Eynoulla Fatoullaïev dément ces résultats et pense qu’ils ont été truqués car l’examen a été pratiqué dans une structure médicale gérée par l’État. Les requêtes déposées par l’avocat qui assure sa défense pour demander un examen indépendant ont été rejetées par le tribunal. Les autres centres d’analyses médicales, contactés par Amnesty International pour pratiquer un examen de sang en toute indépendance, ont refusé car il s’agit d’une affaire trop sensible sur le plan politique.
Les nouvelles allégations formulées contre Eynoulla Fatoullaïev pourraient allonger de trois ans sa peine actuelle, qui doit s’achever en 2016.
Amnesty International pense que l’incarcération de cet homme a pour objectif de le réduire au silence car ses articles critiquaient le gouvernement. Elle le considère comme un prisonnier d’opinion. Par conséquent, l’organisation pense que les nouvelles charges retenues relèvent d’une tentative des autorités visant à le discréditer encore davantage, à l’heure où son cas est examiné par la Cour européenne des droits de l’homme.
Adnan Hajizade et Emine Milli
Le 8 juillet 2009, les jeunes militants et blogueurs Adnan Hajizade et Emine Milli ont été attaqués dans un restaurant par deux inconnus. Ils ont tenté de porter plainte à la police immédiatement après l’agression mais ils ont été arrêtés pour hooliganisme. Ils sont détenus depuis lors. Le 11 novembre 2009, Adnan Hajizade et Emine Milli ont été reconnus coupables de « hooliganisme » et de « coups et blessures légers » ; ils ont été condamnés respectivement à 24 et 30 mois d’emprisonnement. Selon des observateurs nationaux et internationaux spécialisés dans les droits humains, ces charges ont été forgées de toutes pièces car ces blogueurs se montraient ouvertement critiques à l’égard du gouvernement azerbaïdjanais.
Emine Milli et Adnan Hajizade utilisent des outils de mise en réseau du Web, dont YouTube, Facebook et Twitter, afin de faire circuler des informations sur la situation sociopolitique en Azerbaïdjan. Emine Milli est le co-fondateur d’une communauté en ligne appelée Alumni Network, qui débat des questions politiques, tandis qu’Adnan Hajizade est le co-fondateur d’un mouvement de jeunes appelé OL !, qui prône la non-violence et la tolérance. Par ailleurs, Emine Milli a ouvertement critiqué les modifications de la Constitution azerbaïdjanaise, qui ont aboli la limitation du nombre de mandats présidentiels, permettant à l’actuel président Ilham Aliyev comme à ses successeurs de se représenter indéfiniment.
Les documents examinés par Amnesty International démontrent qu’au cours de leur enquête la police et le ministère public n’ont pas interrogé de témoins et n’ont pas réussi à se procurer les enregistrements d’une caméra de sécurité qui auraient pu montrer le déroulement des faits au restaurant. Ces services ont également soumis au tribunal des documents contenant des erreurs quant à la situation d’Adnan Hajizade. Ces documents indiquaient, à tort, qu’il était sans emploi et qu’il avait des antécédents judiciaires. Par ailleurs, selon la défense, le tribunal a refusé de prendre en compte lors du procès des photographies montrant les blessures infligées à Emine Milli et Adnan Hajizade, ainsi que des vidéos des faits enregistrées sur des téléphones portables, mais il ne s’en est pas expliqué. Adnan Hajizade et Emine Milli ont été reconnus coupables et condamnés respectivement à des peines d’emprisonnement de 24 et 30 mois.
Ces deux militants ont interjeté appel de cette décision le 23 novembre 2009 et sont actuellement en détention provisoire à Bakou. La nouvelle audience a été maintes fois reportée depuis cette date et doit désormais se tenir le 10 mars 2010.
Documents d’Amnesty International
Pour consulter le document Azerbaïdjan : Independent journalists under siege (index AI : EUR 55/004/2009, juin 2009), cliquez ici
Pour consulter l’action urgente Azerbaïdjan. Des blogueurs emprisonnés à l’issue d’un procès inique,cliquez ici.
Pour consulter l’action urgente Azerbaïdjan. Audience d’appel prévue pour deux blogueurs, cliquez ici.
Azerbaïdjan : Amnesty International adopte des blogueurs incarcérés comme prisonniers d’opinion, cliquez ici
Pour consulter Azerbaïdjan. Deux blogueurs sont condamnés à des peines d’emprisonnement, cliquez ici
Pour consulter Azerbaïdjan : Mixed messages on freedom of expression (index AI : EUR 55/002/2008, février 2008), cliquez ici.