Cela fait plus d’un mois que le ministère de l’Information a suspendu ce journal pour une durée indéterminée, et la répression que les autorités exercent sur toutes les formes de critique pacifique va en s’intensifiant. L’organisation appelle également les autorités à revenir sur leur décision arbitraire de ne pas renouveler l’accréditation de la célèbre journaliste Nazeeha Saeed et d’autres journalistes, et à annuler la condamnation prononcée contre Nazeeha Saeed pour avoir exercé son activité professionnelle sans autorisation.
Le 4 juin, le ministère de l’Information a appelé Al Wasat et l’a informé qu’il avait décidé de suspendre immédiatement sa publication, tant sur papier qu’en ligne, et ce jusqu’à nouvel ordre. Le ministère a indiqué que cette suspension était liée à un article, publié le jour même, qui portait sur les manifestations organisées à Al Hoceima, au Maroc. Peu après cet appel téléphonique, l’agence de presse de Bahreïn a publié une déclaration selon laquelle Al Wasat avait été suspendu « après avoir enfreint la législation de façon récurrente et diffusé [des informations de nature à] susciter des divisions au sein de la population et compromettre les relations du Royaume de Bahreïn avec d’autres pays. » Elle indiquait qu’Al Wasat avait « publié à la page 19 un article [sur les manifestations d’Al Hoceima] qui était diffamatoire à l’égard d’un pays arabe frère ».
Ce jour-là, le journal a reçu une lettre dans laquelle le ministère l’informait de sa décision de le suspendre jusqu’à nouvel ordre. Al Wasat a tenté, à maintes reprises, d’entrer en contact avec ce ministère et avec d’autres ministères et représentants de l’État, y compris les vice-premiers ministres, mais le journal n’a reçu aucune réponse.
Le 24 juin, le conseil d’administration d’Al Wasat a informé les membres de son personnel, soit quelque 185 employés à plein temps et à temps partiel et d’autres collaborateurs, qu’il avait pris la décision de résilier leurs contrats, le journal étant contraint de mettre fin à ses activités en raison de sa suspension.
L’éditorial d’Al Wasat portait sur le mouvement de protestation au Maroc depuis le Printemps arabe et sur les raisons pour lesquelles des manifestations avaient eu lieu quelques jours plus tôt à Al Hoceima, dans le nord du Maroc. Rien, dans cet article, ne justifiait la suspension du journal.
Cette mesure arbitraire est contraire à l’obligation qui incombe à Bahreïn de respecter et faire respecter le droit à la liberté d’expression. Les autorités doivent mettre immédiatement fin à la suspension d’Al Wasat et veiller à ce que ce journal puisse poursuivre ses activités sans faire l’objet d’autres ingérences arbitraires.
Cette attaque éhontée contre la liberté de la presse intervient alors qu’une répression accrue s’abat sur toutes les formes de critique pacifique, prenant notamment pour cible les défenseurs des droits humains, les groupes et les militants de l’opposition politique et les autres personnes exprimant des critiques sans recourir à la violence ni prôner son usage, y compris les journalistes.
Le ministère de l’Information, qui gère l’octroi des accréditations aux correspondants étrangers et locaux, n’a pas renouvelé celle de plusieurs journalistes et photojournalistes en 2016. Pour justifier ses décisions, le ministère a tantôt avancé des explications formulées en des termes vagues, tantôt invoqué les opinions du journaliste concerné. Ces refus arbitraires d’accorder des accréditations à des journalistes s’inscrivent dans le cadre du renforcement des actions menées par les autorités contre les personnes qui expriment des critiques pacifiques, et bafouent le droit à la liberté d’expression. À cela vient s’ajouter le fait qu’une journaliste a été condamnée pour des raisons liées à son activité professionnelle et un journaliste a été placé en détention arbitrairement.
La célèbre journaliste Nazeeha Saeed a fait l’objet d’une interdiction arbitraire de voyager entre juin et août 2016, comme un très grand nombre d’autres militants. En juillet 2016, elle a été traduite en justice après avoir été inculpée de « pratiquer un travail d’information sans avoir fait renouveler l’autorisation délivrée par l’autorité chargée des questions d’information », en application de l’article 88 de la Loi sur la réglementation de la presse, de l’imprimerie et des publications, qui dispose que les correspondants des agences de presse étrangères ne peuvent exercer à Bahreïn sans autorisation du ministère. Le 25 mai 2017, le tribunal l’a déclarée coupable et condamnée à une amende de 1 000 dinars de Bahreïn (2 300 euros environ).
Nazeeha Saeed avait travaillé comme journaliste auprès d’agences de presse internationales pendant 12 ans avec l’accréditation requise. Avant que son autorisation ne parvienne à expiration, le 31 mars 2016, elle avait fait une demande de renouvellement et avait continué à travailler en tant que journaliste, pensant que son accréditation serait renouvelée, comme les années précédentes. Elle a compris que ce n’était pas le cas uniquement lorsqu’elle a reçu une lettre du ministère, le 20 juin 2016, indiquant que sa licence n’avait pas été renouvelée au motif que Nazeeha Saeed n’avait pas couvert 10 % d’événements à Bahreïn – ce qu’elle dément. Le jour même où la lettre lui est parvenue, elle a cessé toute activité de journaliste. Selon les documents judiciaires qu’Amnesty International a pu consulter, les faits qui lui étaient reprochés étaient liés au travail qu’elle a effectué en tant que correspondante de France 24 les 28 et 30 mai et le 1er juin 2016, avant d’avoir reçu la lettre du ministère. D’après ces documents, l’accréditation de Nazeeha Saeed n’a pas été renouvelée en raison de « sa performance insatisfaisante en ce qui concerne la couverture des événements et l’exécution globale des tâches y afférentes », accusation formulée en des termes vagues, que Nazeeha Saeed conteste. Le procès en appel de Nazeeha Saeed débutera le 18 juillet.
Le célèbre photojournaliste Mohamed al Sheikh a été arrêté à son arrivée à l’aéroport international de Bahreïn le 21 mars 2017. Il a été détenu arbitrairement pendant plus de 24 heures, sans être autorisé à consulter son avocat, puis libéré sans inculpation le 23 mars. Le ministère de l’Information avait révoqué arbitrairement son accréditation le 22 septembre 2016, affirmant qu’il couvrait les événements de façon « partisane ».
Complément d’information
Ce n’est pas la première fois qu’Al Wasat est suspendu ou pris pour cible. Ainsi, en janvier 2017, la publication en ligne d’Al Wasat a été suspendue pendant trois jours après que le ministère de l’Information l’eut ordonné, le 16 janvier, en raison de la « diffusion répétée de messages incitant à la discorde au sein de la société, à l’esprit de sédition et à la perturbation de l’unité nationale, qui affectent la paix publique ». Cette suspension est intervenue sur fond de répression accrue dans le pays, après que des manifestations de grande ampleur eurent été organisées pour protester contre l’exécution de trois hommes – les premières exécutions à avoir lieu depuis près de sept ans. Al Wasat avait également été suspendu en août 2015 pendant deux jours pour « infraction à la législation et diffusion répétée d’informations portant atteinte à l’unité nationale et aux relations du Royaume avec d’autres pays ». Il avait aussi été suspendu pendant une journée en 2011.
Le cofondateur d’Al Wasat, Abdelkarim Al Fakhrawi est mort après un passage à tabac le 11 avril 2011 alors qu’il se trouvait sous la responsabilité de l’Agence nationale de sécurité. Deux membres de l’Agence nationale de sécurité ont été reconnus coupables de sa mort et condamnés à une peine de sept ans d’emprisonnement, mais celle-ci a été ramenée à trois ans en appel.