Les autorités bangladaises doivent immédiatement mettre fin à la hausse inquiétante des disparitions forcées observée depuis deux ans, cesser de recourir à la torture et faire cesser la répression de la liberté d’expression, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique mardi 2 septembre.
Dans ce document, l’organisation présente certaines des questions essentielles qui se posent au Bangladesh en matière de droits humains depuis les élections de janvier 2014, et adresse des recommandations au gouvernement sur les aspects nécessitant une attention urgente.
« Le Bangladesh a accompli des progrès en ce qui concerne la réduction de la pauvreté et d’autres indicateurs de développement mais pas pour ce qui est du respect des droits humains, comme l’arrêt de la torture ou la levée des restrictions entravant la liberté d’expression », a déclaré Abbas Faiz, spécialiste du Bangladesh à Amnesty International.
« Par ailleurs, nous avons recueilli des informations qui mettent en évidence la tendance inquiétante des forces de sécurité à procéder à des « disparitions », malgré leurs dénégations. Les pouvoirs publics doivent se pencher longuement et fermement sur l’attitude de leurs forces de sécurité, et mettre fin à l’absence presque totale d’obligation de rendre des comptes qui prévaut dans ce type d’affaires. »
Disparitions forcées
Amnesty International a enquêté sur au moins 20 disparitions orchestrées par les forces de sécurité bangladaises depuis 2012. Toutefois, ce nombre est probablement bien en-deçà de la réalité. Sur les 20 hommes concernés, neuf ont été retrouvés morts et six sont rentrés chez eux après une période de captivité qui a duré jusqu’à deux mois. On est toujours sans nouvelles des cinq autres.
Il semble que nombre d’enlèvements soient sous-tendus par des motifs politiques, les personnes visées étant des membres de premier plan de l’opposition. Dans plusieurs cas, des témoins mettent en cause la police ou son Bataillon d’action rapide, une unité spéciale, mais les forces de sécurité n’ont pratiquement pas été amenées à rendre des comptes pour leur rôle présumé.
Un cas très en vue concerne l’enlèvement et l’homicide de sept personnes, perpétrés en avril 2014 à Narayanganj par des hommes identifiés par la suite comme des agents du Bataillon d’action rapide. Au vu du tollé déclenché dans l’opinion publique, la police a arrêté trois agents du Bataillon dans le cadre de l’affaire mais ceux-ci n’ont pas encore été inculpés.
« L’affaire de Narayanganj est une mise à l’épreuve pour la justice du Bangladesh. Le fait que les trois agents du Bataillon suspectés aient été arrêtés constitue évidemment un élément positif, mais la police doit désormais aller plus loin en menant une enquête approfondie et en traduisant les responsables présumés en justice », a déclaré Abbas Faiz.
Torture et autres formes de mauvais traitements
Dans sa synthèse, Amnesty International rassemble des informations sur la torture, qui demeure répandue dans les lieux de détention du Bangladesh. Ces dernières années, l’organisation s’est entretenue avec plus d’une centaine d’anciens détenus. Ils avaient tous subi des actes de torture ou d’autres mauvais traitements, ce qui donne une idée de l’ampleur du problème. Cela démontre aussi que les pouvoirs publics ne prennent pas de mesures décisives contre les violations des droits humains.
Les méthodes de torture les plus fréquentes sont les coups, la suspension au plafond ou les décharges électriques appliquées sur les organes génitaux. Dans au moins deux affaires dont il est question dans le document d’Amnesty, les détenus ont déclaré que des policiers leur avaient tiré dans les jambes, ce qui avait conduit à une amputation pour l’un d’eux.
« Le gouvernement bangladais doit répondre aux appels lancés de longue date par des organisations nationales et internationales de défense des droits humains et faire cesser la torture », a déclaré Abbas Faiz.
Liberté d’expression
Ces deux dernières années, les autorités bangladaises ont intensifié la répression de la liberté d’expression, en particulier au moyen de lois draconiennes régissant l’utilisation d’Internet.
Au moins quatre blogueurs et deux défenseurs des droits humains ont été inculpés en vertu de la Loi relative aux technologies de l’information et de la communication, dont les dispositions à la formulation floue donnent aux autorités une grande marge de manœuvre pour inculper des personnes de diffusion d’« informations diffamatoires ».
Quatre blogueurs ont été arrêtés en avril 2014 pour avoir fait des commentaires jugés désobligeants sur l’islam. Bien qu’ils aient été libérés sous caution depuis lors, les charges retenues contre eux n’ont pas été abandonnées.
Par ailleurs, les rédacteurs et les journalistes avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont signalé que des formes de répression plus subtiles s’étaient développées : des appels téléphoniques de menace jusqu’aux pressions exercées par les forces de sécurité sur les rédacteurs, en passant par la privation d’espace médiatique pour les détracteurs du gouvernement.
L’organisation a tenté de recueillir les observations du gouvernement sur les questions de droits humains soulevées dans son rapport. Sans fournir de détails, les autorités ont soutenu que les cas de disparitions forcées avaient fait l’objet d’enquêtes et que des accusations de torture avaient été portées « contre un certain nombre de membres des forces de l’ordre [en vertu de la Loi de 2013 relative à (l’interdiction de) la torture et aux décès en détention] ». Elles ont ajouté que « toute loi [concernant une nouvelle politique relative aux médias] serait formulée en consultation avec l’ensemble des intéressés, y compris des représentants des médias électroniques ». Aucun détail n’a été fourni quant à la forme que pourrait prendre une telle consultation.
« Amnesty International suivra l’évolution des affaires évoquées dans son rapport, ce qui permettra d’évaluer dans quelle mesure le gouvernement est déterminé à régler les problèmes concernant les droits humains que nous avons mis en évidence, a déclaré Abbas Faiz. Nous demandons aux autorités de s’engager à suivre les recommandations que nous formulons ».