Bélarus : La liberté de la presse est au plus bas

Au Bélarus, le droit à la liberté d’expression a subi une série de sérieux revers ces dernières semaines, alors que la croisade entreprise par les autorités contre les journalistes et la presse indépendante se poursuit.

Les dernières mesures prises par les pouvoirs publics bélarussiens traduisent leur volonté d’éliminer toutes les voix critiques dans le pays et de priver la population de toute possibilité d’avoir librement accès à l’information et aux idées, de les partager et de les diffuser.

Le pouvoir a bloqué en début d’année l’accès à l’un des principaux sites Internet de l’opposition, Charter’97. Depuis, sa rédactrice en chef, Natallia Radzina, qui vit en exil en Pologne, a reçu des menaces de mort émanant, selon elle, de personnes se trouvant au Bélarus. En juin, plusieurs amendements à la législation ont eu pour effet de renforcer les restrictions pesant sur les médias en ligne. Cette initiative a été très largement critiquée par la communauté internationale. Plus récemment, au moins 18 journalistes ont été arrêtés, entre le 7 et le 10 août, pour avoir, selon les pouvoirs publics, consulté illégalement des informations appartenant à l’agence de presse d’État BelTA.

Selon l’organisation Reporters sans frontières, la situation au Bélarus pour la presse indépendante reste l’une des plus répressives au monde. L’État harcèle régulièrement les journalistes indépendants et les blogueurs qui critiquent le pouvoir. Il n’hésite pas à appliquer dans toute sa rigueur une législation de plus en plus répressive, pour limiter abusivement les activités des organes de presse indépendants, en contravention avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit la liberté d’expression et l’accès à l’information, et auquel le Bélarus est partie.

Selon l’organisation Reporters sans frontières, la situation au Bélarus pour la presse indépendante reste l’une des plus répressives au monde. L’État harcèle régulièrement les journalistes indépendants et les blogueurs qui critiquent le pouvoir.

Les autorités bélarussiennes doivent mettre un terme à toutes les restrictions indues qui pèsent actuellement sur les médias en ligne ou classiques. Elles doivent également s’abstenir de s’en prendre arbitrairement à des journalistes en engageant à leur encontre des poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques, et doivent rétablir l’accès sans restrictions au site Charter’97. Elles doivent également veiller à ce que les internautes et les commentateurs puissent consulter et partager librement des informations sur Internet, sans avoir à craindre de subir des représailles pour avoir simplement échangé des idées.

Les journalistes qui travaillent pour des organes de presse indépendants sont la cible de perquisitions et d’arrestations à grande échelle

Le 7 août, dans la matinée, des agents du Comité d’enquête du Bélarus (Sledstvennyi Komitet – SK, un organisme d’État autonome chargé d’enquêter sur les crimes graves) ont perquisitionné les locaux de la rédaction de Tut.by, l’un des principaux sites d’actualités indépendants du pays. Dans le cadre de la même enquête, ce service a également procédé entre le 7 et le 10 août à la perquisition des locaux d’autres organes de presse indépendants, dont ceux de l’agence de presse privée du Bélarus (BelaPAN), de realty.by, de Belaruskaya Navuka et de Kultura. Des poursuites judiciaires ont été entamées au titre de l’article 349(2) du Code pénal du Bélarus (« accès non autorisé à des informations numériques ») contre au moins sept journalistes et autres collaborateurs d’organes de presse.

Les autorités ont justifié les perquisitions en expliquant que certains membres du personnel de plusieurs organes de presse avaient consulté sans autorisation des informations figurant sur le site de l’agence de presse officielle BelTA et uniquement destinées aux abonnés payants disposant d’un compte. Maryna Zolatava, la rédactrice en chef de Tut.by, est également poursuivie au titre de l’article 425, alinéa 2, du Code pénal du Bélarus (« Inaction d’une personne exerçant des fonctions officielles ») pour n’avoir rien fait pour empêcher ses collaborateurs de consulter lesdites informations, alors que, selon l’accusation, elle était au courant.

Dans le cadre de l’enquête judiciaire, les autorités ont arrêté et placé en détention au moins 18 journalistes. Tous ont été relâchés au plus tard le 10 août, mais les poursuites engagées contre eux suivent leur cours. S’ils sont reconnus coupables, ces journalistes risquent une amende, l’interdiction d’exercer leur métier ou une peine d’emprisonnement pouvant atteindre deux ans.

Maryna Zolatava est quant à elle passible de cinq années d’emprisonnement. Les personnes arrêtées ont été de nouveau convoquées le 27 août pour être interrogées. Sept d’entre elles ont été informées qu’elles n’avaient pas le droit de quitter le pays tant que l’enquête ne serait pas terminée.

Plusieurs organisations de la société civile se sont émues de l’ampleur sans précédent de cette vague de perquisitions et d’arrestations, déplorant que les pouvoirs publics aient décidé d’enclencher une procédure judiciaire confiée au Comité d’enquête et notant que toutes les personnes visées par des poursuites étaient des journalistes travaillant pour des organes de presse indépendants. Dans le cadre de la procédure judiciaire engagée, les autorités ont pu saisir et consulter des documents et du matériel informatique appartenant à des collaborateurs de la presse susceptibles de contenir des informations professionnelles, telles que coordonnées des sources ou notes de travail. Le recours à l’appareil judiciaire dans cette affaire apparaît bien comme une manière d’intimider et de harceler les personnes concernées.

Ces événements ont été largement commentés par la presse nationale d’État, qui a accusé nommément certaines personnes de s’être livrées à des « activités criminelles », en violation de leur droit à bénéficier d’un procès équitable, et notamment d’être présumées innocentes. Hanna Kaltyhina, journaliste pour Tut.by, a fait remarquer dans une lettre ouverte adressée au service de presse du Comité d’enquête que celui-ci l’avait publiquement citée comme faisant partie des suspects au centre de l’information judiciaire, plusieurs heures avant qu’elle soit officiellement informée des charges pesant contre elle.

La rédactrice en chef de Charter’97 victime de menaces de mort après le blocage du site

Le 23 juillet dernier, Natallia Radzina a reçu dans sa boîte aux lettres électronique personnelle, ainsi qu’à l’adresse officielle du site de Charter’97, plusieurs courriels anonymes contenant des menaces de mort. L’auteur indiquait à Natallia Radzina qu’elle était suivie et qu’elle n’en avait plus « que pour quelques jours ».

Charter’97 est l’un des sites Internet d’actualités les plus anciens et les plus fréquentés du Bélarus. Il propose un vaste panorama de l’actualité et des commentaires sur des sujets souvent négligés par les grands médias, qui appartiennent à l’État. Natallia Radzina avait déjà été arrêtée en 2011 au Bélarus en raison de ses activités professionnelles, sous prétexte qu’elle aurait participé à l’organisation de troubles de grande ampleur. Remise en liberté dans l’attente de son procès, elle avait préféré se réfugier à l’étranger. Elle vit depuis en exil, mais continue de travailler à distance pour le site Chater’97.

Natallia Radzina a reçu dans sa boîte aux lettres électronique personnelle, ainsi qu’à l’adresse officielle du site de Charter’97, plusieurs courriels anonymes contenant des menaces de mort. L’auteur indiquait à Natallia Radzina qu’elle était suivie et qu’elle n’en avait plus « que pour quelques jours ».

Les autorités bélarussiennes ont bloqué sans avertissement ce dernier le 24 janvier 2018. Cette décision a été confirmée dans un entretien accordé par le ministre adjoint de l’Information, Ihar Lutski, qui n’a cependant pas précisé pourquoi le site avait été bloqué ni de quelle manière cette mesure pouvait éventuellement être contestée.

En février, Pavel Levinau, un défenseur des droits humains habitant Vitebsk, a tenté de contester le blocage devant les tribunaux, en portant plainte contre le ministère de l’Information. Dans sa plainte, Pavel Levinau exigeait des autorités qu’elles rétablissent l’accès au site, estimant que le blocage portait atteinte à ses droits à la liberté d’expression et au libre accès à l’information. Le 8 février, le tribunal du district central de Minsk a refusé d’examiner cette plainte, considérant qu’elle ne relevait pas de sa compétence. Pavel Levinau a fait appel de cette décision devant une instance supérieure, le tribunal de la ville de Minsk, qui a rendu le 29 mars un avis similaire, refusant lui aussi de se saisir de l’affaire. Il n’existe manifestement aucun autre recours permettant de contester le blocage du site.

Selon Natallia Radzina, dans les mois qui ont suivi le blocage, le nombre d’internautes du Bélarus se connectant à Charter’97 a baissé de 70 %.

Restrictions abusives du droit d’association et violations du droit à la vie privée des journalistes et des auteurs de commentaires en ligne

Adoptés en juin dernier, les derniers amendements à la Loi sur les grands médias soulignent les conditions de plus en plus répressives dans lesquelles les journalistes et, plus généralement, les collaborateurs de la presse sont contraints de travailler. Ces amendements, qui doivent entrer en vigueur le 1er décembre 2018, entravent lourdement le travail au Bélarus des organes de presse totalement ou partiellement financés par l’étranger. Le ministère de l’Information a désormais la possibilité d’exercer un contrôle strict sur toutes les ressources en ligne, en dehors de toute supervision du pouvoir judiciaire. Les changements apportés à la législation créent des obstacles bureaucratiques supplémentaires pour les sites Internet qui souhaitent se faire reconnaître en tant qu’organes de presse en ligne officiels. Pour être reconnus, les sites doivent dépendre d’une société officiellement reconnue, disposer de bureaux et avoir à leur tête un rédacteur en chef de nationalité bélarussienne et ayant au moins cinq ans d’expérience dans le domaine des médias. Les sites qui décident de ne pas s’enregistrer en tant qu’organes de presse en ligne officiels ou qui ne satisfont pas les nouveaux critères ne peuvent pas déposer de demande d’accréditation auprès des institutions gouvernementales, ce qui leur interdit de fait de couvrir les activités des pouvoirs publics.

Qu’ils soient ou non reconnus officiellement, les organes de presse en ligne sont également tous tenus d’enregistrer les noms des personnes qui soumettent des commentaires, y compris dans la presse écrite et dans le cadre de forums sur Internet, privant ainsi ces personnes de la possibilité de rester anonymes. Ces informations doivent ensuite être communiquées aux autorités, ce qui expose les journalistes indépendants et les personnes critiques à l’égard du gouvernement à des risques accrus de représailles. Les propriétaires des organes de presse en ligne reconnus peuvent en outre être tenus responsables du contenu des commentaires affichés sur leurs sites, quel qu’en soit l’auteur, et même faire l’objet de poursuites judiciaires.

De telles mesures auront probablement un effet dissuasif et ne feront qu’aggraver le climat d’autocensure qui règne au Bélarus, limitant encore davantage le débat et le droit à la liberté d’expression dans ce pays.

Les autorités bélarussiennes doivent immédiatement abroger les amendements répressifs apportés à la Loi sur les grands médias et mettre la législation nationale en conformité avec le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en ce domaine. Le site de Charter’97 doit sans délai redevenir intégralement accessible, sans la moindre entrave. Les autorités doivent arrêter de s’en prendre aux voix dissidentes et veiller à ce que les poursuites engagées contre des journalistes et d’autres professionnels des médias parce qu’ils avaient tout simplement fait leur travail soient abandonnées. Plutôt que d’étouffer le pluralisme et le débat, les autorités doivent, conformément aux obligations contractées par le Bélarus aux termes du droit international relatif aux droits humains, favoriser l’émergence d’un environnement dans lequel le droit à la liberté d’expression est respecté, les journalistes sont à même de faire leur travail sans avoir à crainte de représailles et les habitants du Bélarus peuvent chercher, recevoir et partager des informations et des idées.

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