Depuis les élections municipales du 4 juin 2017, le gouvernement a utilisé des mesures réglementaires et le droit pénal pour agir de manière agressive contre le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), des médias indépendants et des groupes locaux et internationaux de la société civile. La 36e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui a lieu en septembre, doit être l’occasion pour la communauté internationale de réagir fermement et efficacement, en rappelant les principes inaliénables.
Le dimanche 3 septembre à l’aube, Kem Sokha, le dirigeant du PSNC, a été arrêté à son domicile à Phnom Penh. Il a été accusé de « conspiration avec une puissance étrangère » au titre de l’article 443 du Code pénal cambodgien.
Une déclaration et une vidéo – partiellement sous-titrée en anglais – mises en ligne par l’Unité de presse et de réaction rapide du gouvernement lient cette arrestation à un discours dans lequel Kem Sokha parlait d’un conseil reçu d’interlocuteurs des États-Unis, qu’il n’a pas nommés, au sujet du processus de démocratisation et de stratégies locales pour réussir le changement démocratique. Dans une déclaration gouvernementale distincte, également datée du 3 septembre, il est indiqué que le Premier ministre Hun Sen a demandé des éclaircissements aux États-Unis au sujet de leur implication supposée dans une « conspiration visant à renverser le gouvernement légal du Cambodge ».
L’accusation forgée de toutes pièces pesant contre Kem Sokha est le dernier épisode d’une campagne de plus en plus offensive du gouvernement, qui restreint également les informations et analyses en provenance de sources indépendantes à l’approche des élections de 2018.
Le 4 juillet 2017, le ministère de l’Intérieur a ordonné à la coalition d’associations et d’organisations non gouvernementales cambodgiennes « Situation Room », qui avait analysé l’organisation et l’équité des élections, de cesser ses activités. Le gouvernement a allégué que la coalition avait enfreint la Loi de 2015 sur les associations et les organisations non gouvernementales en ne s’enregistrant pas comme une entité indépendante et en ne restant pas neutre politiquement.
À la mi-août, trois organisations importantes de défense des droits humains et d’observation des scrutins – la Ligue cambodgienne des droits de l’homme (LICADHO) ; l’Association pour les droits de l’Homme et le développement au Cambodge (ADHOC) ; le Comité pour des élections libres et justes au Cambodge (COMFREL) - qui ont été toutes trois membres de la coalition « Situation Room » – ont été convoquées par le Service général des impôts pour être interrogées sur leurs situations fiscales. On ignore si d’autres mesures suivront.
Pendant la semaine du 21 août, plusieurs stations de radio ont dû arrêter d’émettre, car le ministère de l’Information les soupçonnait d’avoir enfreint leurs contrats en ne l’informant pas des détails de leur programmation. Les stations de radio touchées auraient vendu du temps d’émission aux stations Radio Free Asia et Voice of America, basées aux États-Unis, et émis des contenus qui critiquaient parfois le gouvernement. De ce fait, l’accès à des informations et à des analyses indépendantes à l’approche des élections générales de 2018 est restreint.
Le 23 août, le ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale (MFA) a annoncé subitement qu’il mettait fin aux activités au Cambodge de l’Institut national démocratique (NDI), basé à Washington D.C., car l’Institut avait continué à agir en attendant son enregistrement au titre de la LANGO et qu’il ne s’était pas enregistré auprès du Service général des impôts. Les employés étrangers ont eu sept jours pour quitter le pays. Le NDI a indiqué que le MFA avait reçu leurs documents d’enregistrement le 21 septembre 2016 mais n’en avait rien fait.
Le 4 septembre, les directeurs du Cambodia Daily ont annoncé dans une déclaration qu’ils mettaient fin à la publication du journal et qu’ils allaient dissoudre la société détentrice de cette publication, après avoir reçu le 4 août une amende de 6,3 millions de dollars pour les dix dernières années. Les directeurs du journal ont indiqué qu’ils avaient contesté cette amende et proposé au Service des impôts un audit officiel et des négociations pour régler tout impôt légitime mais que cela avait été refusé à de nombreuses reprises. Amnesty International est préoccupée par ces procédures, compte tenu des autres mesures qui ont été prises récemment pour restreindre les médias et les organisations de la société civile.
Les mesures prises simultanément ces dernières semaines par plusieurs ministères, en s’appuyant sur différentes lois, ont été caractérisées par des annonces subites et le non-respect des procédures régulières. Il semble qu’il y ait eu peu de tentatives pour régler les infractions présumées, et que les autorités aient plutôt, dans la plupart des cas, eu pour objectif la cessation complète et immédiate des activités, ce qui dans aucun de ces cas ne semblait être une réponse nécessaire et appropriée. Amnesty International craint donc que ces actions ne constituent des violations du droit à la liberté d’expression et d’association.
Une session du Conseil des droits de l’homme déterminante
Du 8 au 18 août 2017, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, Rhona Smith, a effectué sa quatrième visite officielle au Cambodge. À la fin de son compte rendu de mission aux médias, la rapporteuse spéciale a déclaré : « La situation générale dans le pays reste tendue. Le Cambodge semble s’approcher d’un précipice ». Elle a noté que la situation actuelle - notamment une série d’actions en justice contre des membres de la classe politique ; des allégations selon lesquelles des organisations non gouvernementales (ONG) auraient un caractère politique ; l’intimidation et la peur - n’était « pas compatible avec un environnement propice à des élections libres ».
La rapporteuse spéciale doit faire un rapport lors de la 36e session du Conseil des droits de l’homme, fin septembre 2017, le Conseil continuant d’examiner la situation des droits humains au Cambodge en application d’une résolution adoptée le 2 octobre 2015 (A/HRC/RES/30/23).
Amnesty International demande aux membres du Conseil des droits de l’homme, et notamment à plusieurs pays donateurs qui ont investi de manière significative dans le développement au Cambodge – l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni – de reconnaître l’importance et la gravité de la récente détérioration de la situation des droits humains au Cambodge, et de réagir en conséquence. La résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme doit garantir une surveillance suffisante de la situation, accompagnée de rapports, à l’approche des élections générales de 2018. Elle doit rappeler clairement au gouvernement cambodgien que les restrictions arbitraires du droit à la liberté d’expression, de rassemblement et d’association ne sont pas compatibles avec les obligations qui sont les siennes au titre des traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels l’État cambodgien est partie.
L’année dernière a marqué le 25e anniversaire de la signature des Accords de paix de Paris, le 23 octobre 1991. Ces accords ont conduit à une nouvelle ère d’ouverture au Cambodge, durant laquelle le pays a choisi de ratifier les traités internationaux relatifs aux droits humains et d’être lié par ceux-ci. The Cambodia Daily et le NDI ont commencé leur action au Cambodge à cette période. En signant les Accords de paix de Paris et en ratifiant des traités relatifs aux droits humains, le Cambodge s’est engagé à veiller au respect des droits fondamentaux et des libertés fondamentales. Les autres signataires des Accords de paix de Paris se sont également engagés à promouvoir et à encourager le respect des droits humains au Cambodge.
Après s’être autant investie au Cambodge ces 25 dernières années, la communauté internationale ne devrait pas lui tourner le dos maintenant, alors que le gouvernement cambodgien menace de faire volte-face et d’utiliser le droit comme un outil pour restreindre et réduire au silence les médias indépendants et la société civile dans le pays.