La campagne pour la libération des détenu·e·s du Xinjiang présente les cas de 126 femmes et hommes qui seraient maintenus en détention arbitraire.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit mettre fin à ses années d’inaction et établir un mécanisme international indépendant afin d’enquêter sur les crimes au regard du droit international commis dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine, a déclaré Amnesty International mardi 20 septembre.
La session du Conseil qui s’est ouverte le 12 septembre est la première depuis le récent rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies sur les atrocités perpétrées par le gouvernement dans le Xinjiang. Cette évaluation, attendue de longue date, confirme les nombreux éléments selon lesquels de graves violations des droits humains ont été commises contre les Ouïghour·e·s et d’autres minorités ethniques majoritairement musulmanes, recueillis par Amnesty International et d’autres organisations crédibles.
Des personnes ayant récemment fui le Xinjiang et des proches de détenu·e·s répètent à Amnesty International que des personnes de la région continuent à être persécutées et détenues arbitrairement uniquement en raison de leur religion et de leur appartenance ethnique.
« Le Conseil des droits de l’homme n’a jamais protégé les droits fondamentaux de millions de musulman·e·s du Xinjiang qui ont subi d’innombrables atrocités ces cinq dernières années. De nombreux États membres du Conseil ont utilisé le long silence de la précédente haute-commissaire afin de justifier le leur », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« L’heure n’est plus aux demi-mesures, maintenant que le Haut-Commissariat a confirmé qu’il était possible que les atrocités constatées constituent des crimes contre l’humanité, et qu’il convient de se pencher sur la question immédiatement. Le Conseil doit apporter une réponse à la mesure de l’ampleur et de la gravité de ces violations. »
Amnesty International demande aux membres du Conseil de prendre des mesures concrètes afin de mettre un terme aux abus des autorités chinoises et de garantir l’obligation de rendre des comptes. La Conseil doit adopter une résolution durant cette session, et charger un mécanisme international indépendant d’enquêter sur les crimes de droit international et d’autres graves violations des droits humains dans le Xinjiang, de sorte que des comptes soient rendus pour les actes commis, notamment grâce à l’identification des auteurs présumés.
Les États membres doivent également demander immédiatement et explicitement que le gouvernement chinois remette en liberté toutes les personnes arbitrairement maintenues en détention dans des camps d’internement, des prisons et d’autres établissements, et s’engager à ne pas renvoyer en Chine la moindre personne risquant d’être victime de persécutions ou d’autres graves violations des droits humains sur place.
Le dossier du Xinjiang étouffé par la Chine
Les autorités ont tenté de bloquer les enquêtes effectuées par la haute-commissaire aux droits de l’homme et d’autres acteurs, et ont fait pression sur les États membres des Nations unies afin de les inciter à ignorer les éléments de preuve disponibles, ou à minimiser leur importance. Par conséquent, les enquêteurs des Nations unies n’ont pas été autorisés à se rendre dans le Xinjiang et la portée de l’enquête de la haute-commissaire a été restreinte.
En parlant aux Nations unies ou à d’autres enquêteurs ou journalistes, des personnes vivant au Xinjiang ou y ayant des liens familiaux ont pris des risques importants - détention, arrestation, emprisonnement, torture et disparition forcée - pour elles-mêmes et pour leurs proches.
« Sur son territoire, la Chine continue à employer une grande violence, des restrictions illégales et des actes d’intimidation, tout en exerçant des pressions diplomatiques sur la scène internationale afin de couvrir les atrocités commises au Xinjiang. Les membres du Conseil doivent voir les efforts déployés par la Chine afin de discréditer les conclusions du rapport pour ce qu’ils sont - rien de moins que des tentatives de cacher des crimes contre l’humanité et de dissuader les critiques », a déclaré Agnès Callamard.
« Si les membres du Conseil n’agissent pas dès maintenant, ils deviendront complices des dissimulations du gouvernement chinois. S’en abstenir enverrait aux autorités chinoises le message dangereux qu’il est possible de forcer la main des États membres pour qu’ils ignorent des éléments crédibles faisant état de violations graves des droits humains, et que les États puissants ont la capacité de se soustraire à un examen scrupuleux.
« Il s’agirait d’une trahison impardonnable vis-à-vis des millions de victimes et parents de victimes. Cela inclut les centaines de milliers de personnes qui se trouvent selon certaines informations toujours en détention arbitraire. »
Fuir le Xinjiang
Entre janvier et juin 2022, Amnesty International s’est rendue en Asie centrale et en Turquie afin de recueillir les propos de personnes ayant récemment fui le Xinjiang, ainsi que de parents de personnes maintenues en détention arbitraire.
La grande majorité des personnes ayant fui récemment étaient trop effrayées pour parler ouvertement de ce qu’elles ont vécu, craignant que les membres de leur famille se trouvant toujours au Xinjiang ne soient victimes de représailles.
Six personnes ayant fui le Xinjiang entre la fin 2020 et la fin 2021 ont toutefois accepté de parler à Amnesty International sous le couvert de l’anonymat. Elles ont décrit une vie d’oppression constante au Xinjiang, résultant de politiques chinoises visant à restreindre fortement les libertés des groupes ethniques majoritairement musulmans.
Ces politiques prennent la forme de graves violations du droit à la liberté et à la sécurité, du droit au respect de la vie privée, du droit de circuler librement, du droit à la liberté d’opinion et d’expression, du droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de croyance, du droit de participer à la vie culturelle ainsi que du droit à l’égalité, du droit de ne pas être discriminé·e, et du droit de ne pas être soumis·e au travail forcé.
Un Kazakh ayant quitté le Xinjiang début 2021 a expliqué à Amnesty International que les résident·e·s de sa ville ne pouvaient toujours pas pratiquer leur religion. « Les restrictions religieuses sont maintenues [en 2021] [...] Il y avait cinq mosquées [dans ma ville] - quatre ont été détruites [...] La dernière est gardée et surveillée [...] Personne n’y va ! [...] Peut-être [que les gens prient] en pleine nuit la fenêtre fermée, en silence », a-t-il dit.
Amnesty International a rencontré la mère d’Erbolat Mukametkali, un membre de la communauté kazakhe. Erbolat a été arrêté en mars 2017, a passé un an dans des camps d’internement, puis a été condamné à une peine de 17 ans de prison. Sa mère pense qu’il a été arrêté uniquement à cause de ses pratiques religieuses. « Mon fils me manque [...] Je suis vieille, mon rêve c’est de mourir quand mon fils sera près de moi », a-t-elle déclaré.
Amnesty International a aussi recueilli les propos d’un parent de Berzat Bolatkhanm, un Kazakh ayant été arrêté en avril 2017 après avoir été accusé d’être un « traitre à l’État ». Ce proche pense que Berzat a été arrêté en raison de ses origines ethniques et parce qu’il prévoyait d’aller vivre au Kazakhstan. Au bout d’un an dans un camp d’internement, Berzat Bolatkhanm a été condamné à 17 ans de prison.
« Il faisait seulement son travail. Il était fermier. Soudainement, parce qu’il voulait aller vivre au Kazakhstan [...] la police l’a arrêté [...] Ce n’est pas un extrémiste, ni un terroriste », a déclaré cet homme à Amnesty International.
Parmi les personnes avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue le plus récemment figure une femme qui vit désormais en Turquie. Sa sœur Muherrem Muhammed Tursun, enseignante du primaire, a disparu en août 2021 après avoir publié sur son profil WeChat une vidéo de sa famille célébrant l’Aïd. Sa famille pense qu’elle a été arrêtée en raison de son appartenance à la minorité ouïghoure et parce que son fils s’était rendu en Turquie pour y étudier la religion, avant de revenir à Ürümqi pour y suivre une formation de dentiste.
Il a été emmené début 2017, tandis que la mère de Muherrem, Tajinisa Emin, a été envoyée dans un camp d’internement en 2020. Lorsque des membres de leur famille en Turquie ont essayé d’en savoir plus, un parent qui se trouvait toujours dans la région a simplement répondu : « Ne posez pas de questions, ils sont partis. »
Ces individus ne représentent qu’une fraction des centaines de milliers de personnes se trouvant certainement en détention arbitraire au Xinjiang ; Amnesty International a présenté les cas de 126 de ces personnes dans le cadre de sa campagne pour la libération des détenu·e·s du Xinjiang. Ne pas agir dans les meilleurs délais reviendrait pour le Conseil à abandonner les victimes et familles de victimes, dont la sécurité est menacée parce qu’elle se sont exprimées.
« En 2022, les groupes musulmans continuent à faire l’objet de persécutions systématiques de grande ampleur au Xinjiang. Les crimes contre l’humanité et autres graves atteintes aux droits humains commis par la Chine violent les droits les plus fondamentaux de ces personnes et menacent d’effacer leurs identités religieuses et culturelles », a déclaré Agnès Callamard.
« La réticence de la communauté internationale à adopter des mesures efficaces n’a fait qu’encourager la Chine à continuer à commettre des violations et à organiser leur dissimulation. Le Conseil doit mandater sans délai un mécanisme international d’enquête, afin de mettre un terme à l’impunité persistante des autorités chinoises. »