COLOMBIE : La politique de « sécurité démocratique » n’est pas une politique des droits humains

Index AI : AMR 23/142/02

À l’issue d’une visite d’une semaine en Colombie, une délégation d’Amnesty International a déclaré que celle-ci n’avait fait que confirmer la profonde inquiétude qui était la sienne concernant la politique de sécurité du président Álvaro Uribe.

Cette délégation a rencontré le vice-président de la République et le ministre de l’Intérieur colombiens, ainsi qu’un certain nombre de parlementaires, des membres de la Cour constitutionnelle et des représentants du corps diplomatique et de différents secteurs de la société civile, en particulier des défenseurs des droits humains.

Amnesty International a répété que le gouvernement avait certes le droit et le devoir de rétablir l’ordre public. L’organisation considère toutefois que l’impunité dont bénéficient les auteurs de la grande majorité des atteintes graves aux droits humains et au droit humanitaire international commises par les forces armées, leurs alliés paramilitaires et les groupes rebelles armés constitue un facteur déterminant, expliquant en partie que de nouvelles atrocités continuent d’être perpétrées.

« C’est pourquoi nous faisons part aux autorités de la grande inquiétude que suscite en nous le projet de loi accordant des pouvoirs de police judiciaire aux forces de sécurité », a déclaré Javier Zúñiga, directeur de la stratégie d’Amnesty International et chef de la délégation.

« L’octroi de tels pouvoirs est tout simplement contraire aux principes les plus élémentaires du droit, a-t-il poursuivi, quelles que soient les garanties qui puissent lui être associées. Ce projet doit par conséquent être retiré. »

La politique de « sécurité démocratique », telle qu’elle apparaît à la lumière des projets de loi actuellement examinés par le Parlement, ne constitue pas une politique des droits humains. Bien au contraire, elle risque de conduire, si ces textes sont approuvés dans leur forme actuelle, à une aggravation des problèmes de protection des droits humains que connaît la Colombie. Amnesty International considère néanmoins comme positive l’assurance que lui ont donnée les autorités qu’un programme national d’action en faveur des droits humains allait être mis en préparation. La délégation de l’organisation a pour sa part insisté sur la nécessité d’impliquer sérieusement la société civile dans cette préparation et d’intégrer dans le futur programme les recommandations formulées pat la communauté internationale.

Il ne peut y avoir de « sécurité démocratique » qui ne reposerait pas sur la défense des droits humains. Elle ne passe certainement pas par l’affaiblissement d’institutions aussi essentielles que le bureau du Fiscal General de la Nación (qui chapeaute le système judiciaire), la Cour constitutionnelle ou le bureau du Defensor del Pueblo (médiateur).

Qui plus est, la défense des droits humains ne peut se concevoir sans que soit pris à bras le corps le problème de l’impunité passée, présente et future.
« Ainsi, les négociations récemment ouvertes avec les groupes paramilitaires, les allusions à d’éventuelles mesures de grâce ou d’amnistie et la réservation formulée par la Colombie lors de la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ne doivent pas se solder par l’octroi de certificats d’impunité aux membres tant des groupes paramilitaires que des forces armées ou de la guérilla responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres atteintes au droit international », a indiqué Javier Zúñiga.

« Dans le contexte créé par le projet de loi sur les armes, la mise en place de réseaux d’informateurs et de groupes de paysans-soldats, cela pourrait revenir à tenter de masquer le phénomène paramilitaire en l’affublant de nouveaux habits légaux. »

Amnesty International a rappelé dans le même temps que, alors que se multipliaient les perquisitions arbitraires, notamment dans les sièges de divers groupes de défense des droits humains, et les interpellations d’un grand nombre de citoyens, les autorités ne semblaient avoir fait aucun effort sérieux pour donner suite aux centaines de mandats d’arrêt lancés contre des dirigeants paramilitaires ou des membres de la guérilla, ainsi que contre des agents de la force publique impliqués dans des violations des droits humains ou du droit humanitaire international.

Face à ce qui apparaît manifestement comme la mise en place progressive d’un cadre institutionnel garantissant l’impunité, Amnesty International a rappelé que, si l’État colombien ne pouvait ou ne voulait pas juger les responsables d’atteintes aux droits humains, il ne resterait d’autre recours que de saisir la justice internationale.

« Même s’ils jouissent de l’impunité en Colombie, les responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, qu’ils soient guérilleros, militaires ou paramilitaires, pourront être poursuivis par la justice de n’importe quel autre pays ou traduits devant la Cour pénale internationale », a fait remarquer Javier Zúñiga.

« Comme nous l’avons vu dans le cas d’Augusto Pinochet, des victimes, dont le droit inaliénable à la justice et à la vérité a été bafoué pendant un quart de siècle, ont pu s’adresser à la justice internationale et, si l’état de santé de l’ex-dirigeant chilien l’avait permis, cette procédure aurait débouché sur son jugement en Espagne, voire au Chili. »

Amnesty International a conclu en affirmant qu’on ne pouvait pas imposer de véritable paix et de véritable réconciliation en sacrifiant le droit à la justice, à la vérité et à la réparation intégrale, auquel peuvent prétendre tous ceux et toutes celles dont les droits fondamentaux ont été violés.
« La solution du conflit passe par la négociation, mais les termes de cette négociation ne peuvent êtres imposés aux victimes d’atteintes aux droits humains et au droit humanitaire international par ceux-là mêmes qui les ont commises », a déclaré Amnesty International.

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