Communiqué de presse

Comme des « poissons hors de l’eau » : le sort des Palestiniens de Syrie réfugiés en Égypte

Par Neil Sammonds, chercheur sur la Syrie pour Amnesty International

Bahaa, un réfugié palestinien venant de Syrie, a brièvement interrompu son précieux travail de décorateur pour me présenter à sa famille dans la Ville du 6 octobre, en banlieue du Caire, la capitale de l’Égypte.

Bahaa fait partie des quelque 10 000 réfugiés palestiniens qui ont fui la Syrie pour s’installer en Égypte. Alors que les Syriens sont reconnus en tant que réfugiés par le gouvernement égyptien, et ont donc accès aux services de santé de base subventionnés par l’État et à d’autres services, ce n’est pas le cas des réfugiés palestiniens, qui ont pourtant fui la Syrie pour les mêmes raisons.

La famille de Bahaa partage un appartement avec une autre famille de réfugiés palestiniens venue de Syrie. Bahaa est la seule personne qui possède un emploi. Bien qu’il travaille tous les jours, son salaire ne suffit même pas à payer le loyer, et il est contraint de travailler « illégalement » puisque les réfugiés de Syrie, qu’ils soient Syriens ou Palestiniens, n’ont pas le droit de travailler en Égypte.

Les réfugiés syriens bénéficient des mêmes services publics de santé de base et d’urgence que la population égyptienne. Mais pour les réfugiés palestiniens venant de Syrie, la situation est différente. À la suite de manifestations organisées devant son siège par des Palestiniens de Syrie, la mission diplomatique palestinienne en Égypte s’est engagée en avril dernier à fournir à tous ces réfugiés un accès à des services de santé par le biais du syndicat des médecins égyptiens, et notamment semble-t-il à accueillir tous les Palestiniens de Syrie dans les hôpitaux et centres de soins gérés par ce syndicat.

Mais d’après Bahaa et d’autres réfugiés dans son cas avec qui je me suis entretenu récemment, ces engagements n’ont pas été suivis d’effet pour la plupart des réfugiés palestiniens de Syrie. Par exemple, il y a quelques semaines, Bahaa s’est blessé au travail et s’est rendu à l’hôpital pour passer une radio. Comme il ne pouvait pas payer les 100 livres égyptiennes (environ 14 dollars américains) que coûtait l’examen, il a dû resté alité pendant plusieurs jours jusqu’à ce qu’il puisse retourner travailler. Khaled, un autre réfugié palestinien de Syrie, m’a confié que le syndicat des médecins égyptiens ne disposait pas des ressources suffisantes pour faire face à la situation, et que la majorité des demandes de soins restaient infructueuses.

Le visa d’une semaine qu’a obtenu Bahaa lors de son arrivée en Égypte a expiré il y a deux mois. Les réfugiés palestiniens de Syrie ont peur de demander une prolongation de visa car en cas de refus, ils seraient contraints de quitter l’Égypte. Les réfugiés syriens se voient généralement accorder des visas de trois ou six mois à leur arrivée sur le territoire égyptien. Ils peuvent ensuite s’enregistrer auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour être autorisés à rester dans le pays en bénéficiant d’une protection temporaire.

Bahaa a une fille âgée de sept ans, Kholoud, qui n’est pas scolarisée en Égypte. Pourtant, elle aimait bien aller à l’école quand elle était en Syrie. La loi égyptienne garantit le droit à l’éduction primaire pour tous, et certains enfants palestiniens venus de Syrie parviennent à trouver de la place dans les établissements scolaires égyptiens. Mais Kholoud ne peut pas aller à l’école car sa famille n’a pas les papiers qui lui permettraient de s’inscrire.

Maryam, une réfugiée palestinienne qui habitait près de Damas, a pu scolariser ses enfants dans une école privée, dont les frais s’élèvent à plusieurs milliers de dollars par an. Mais elle ne sait pas ce qu’il en adviendra à long terme : le visa de son passeport porte la mention « à ne pas renouveler ».

Dans un café, je rencontre Abu Ammar, un retraité palestinien qui vivait dans la ville de Deraa, au sud de la Syrie. Il affirme que comme d’autres réfugiés palestiniens, il n’avait pas été autorisé à se rendre en Jordanie, à quelques kilomètres de chez lui. Sa fille avait essuyé le même refus, tandis que la demande de son mari, de nationalité syrienne, avait été acceptée.

Abu Ammar s’est alors rendu au Liban puis en Égypte, où les autorités lui ont permis d’entrer dans le pays sans problème en raison de son grand âge. Mais son fils, qui a pu obtenir l’autorisation de quitter la Syrie, n’a pas été autorisé à entrer en Égypte et a été renvoyé par avion à Damas.

On estime qu’au moins plusieurs dizaines de personnes ont été refoulées à la frontière égyptienne et renvoyées de l’aéroport du Caire. Si elles sont expulsées vers le Liban et qu’elles n’ont pas de permis de résidence dans ce pays, les autorités libanaises peuvent leur donner un préavis de 48 heures pour quitter le territoire.

Si elles doivent prendre l’avion pour Damas à partir du Caire ou tenter de retourner en Syrie à partir du Liban (par des voies officielles ou non), ces personnes risquent de se faire arrêter, voire pire. On m’a donné le nom de plusieurs personnes dans ce cas détenues en Syrie.

D’autres personnes non autorisées à entrer en Égypte sont maintenues en détention dans la zone de transit de l’aéroport du Caire, et certaines sont transférées à la prison d’El Kanater où elles peuvent être incarcérées aux côtés de condamnés de droit commun. Un proche de deux personnes détenues dans cet établissement m’a affirmé avoir dû payer des personnes au sein de la prison pour garantir qu’elles ne seraient pas battues.

Zakariya, un réfugié palestinien de Syrie possédant un bon niveau d’études, m’a avoué avoir dû soudoyer des fonctionnaires syriens pour quitter la Syrie et se rendre en Égypte. Il m’a expliqué que le conflit avait contraint des milliers de Palestiniens à fuir les camps de réfugiés où ils s’étaient installés en Syrie, et à devenir ainsi des « poissons sans eau », privés de la protection minimale des forces de sécurité et des groupes d’opposition armés.

Après avoir pris des risques pour se rendre à Damas ou à Beyrouth, ils se retrouvent une fois de plus comme des « poissons hors de l’eau » en Égypte. Au moindre incident, comme un petit accident de la circulation, ils risquent d’être arrêtés, placés en détention ou renvoyés vers le danger parce que leurs papiers ne sont pas en règle, alors qu’ils ne sont pas responsables de cette situation.

Plusieurs raisons expliqueraient les mesures discriminatoires prises par l’Égypte à l’encontre des Palestiniens, notamment des réfugiés palestiniens de Syrie. L’une d’entre elles remonte à 1950 lorsque, à l’Assemblée générale des Nations Unies, l’Égypte, le Liban et l’Arabie saoudite avaient refusé d’inclure les Palestiniens dans la définition générale des réfugiés. Les États arabes justifiaient leur position par deux arguments : ils voulaient, d’une part, garantir la prise en charge des réfugiés palestiniens par les Nations unies plutôt que par les pays d’accueil, car ils estimaient que c’était l’ONU qui les avait séparés de leurs terres et, d’autre part, légitimer les revendications à long terme des Palestiniens concernant leur territoire et la création de leur propre État.

Récemment, l’Égypte a renforcé ses mesures de sécurité contre les Palestiniens en raison des problèmes de sécurité liés aux tunnels sous la frontière entre l’Égypte et Gaza. De plus, le gouvernement égyptien ne veut pas se charger de fournir des services sociaux aux palestiniens réfugiés sur son territoire au motif que le conflit palestinien n’est pas temporaire.

Quelles que soient les raisons invoquées, la situation de Bahaa et d’autres réfugiés palestiniens de Syrie dans la Ville du 6 octobre et dans l’ensemble de l’Égypte doit être améliorée dès que possible.

Pour des raisons de sécurité, les noms des personnes citées ont tous été modifiés et certaines informations permettant de les identifier n’ont pas été divulguées.

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