Comment le Conseil de sécurité peut venir en aide aux Syriens


Par José Luis Díaz, représentant d’Amnesty International auprès des Nations unies à New York

Le Conseil de sécurité de l’ONU est une nouvelle fois confronté à des visions contradictoires sur ce qu’il faudrait faire en Syrie.

Cela n’augure rien de bon, sachant que la dernière fois qu’il s’est trouvé dans cette situation remonte au mois d’avril. Un compromis avait alors été laborieusement adopté, qui s’est révélé en grande partie inefficace.

Depuis lors, plus de 4 000 personnes ont été tuées, des milliers d’autres sont maintenues en détention, dans un contexte de torture généralisée, et le nombre de personnes déplacées et de réfugiés s’accroît chaque jour.

Aussi le pessimisme est-il de mise quant à l’adoption d’une nouvelle résolution cette semaine. Toutefois, si le Conseil, divisé, parvenait à surmonter ses différends politiques, il pourrait prendre des mesures judicieuses et concrètes afin d’atténuer les violations des droits humains commises en Syrie.

Le mandat de la mission de l’ONU

Le Conseil pourrait commencer par décider de renforcer le mandat de la Mission de supervision des Nations Unies déployée en Syrie (MISNUS), afin de lui permettre d’enquêter pleinement sur les violations des droits humains.

Sous sa configuration actuelle, il est difficile à la MISNUS ne serait-ce que d’observer les éléments spécifiques relatifs aux droits humains exposés dans le plan en six points de Kofi Annan.

En conséquence, la situation des droits humains en Syrie ne cesse de se dégrader – en témoignent les massacres perpétrés à Houla et Qubair –, les auteurs des violences étant persuadés qu’ils peuvent agir en toute impunité.

Des enquêtes sur les atteintes aux droits humains

La résolution qui porte le renouvellement de la MISNUS doit inclure de manière explicite une composante forte dans le domaine des droits humains, dotée des ressources humaines requises, et conférer à la mission un mandat clair pour se rendre sur les sites où auraient été perpétrés des atteintes aux droits humains, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Tout en permettant de se concentrer sur toutes les questions de droits humains qui fondent le plan en six points, un tel renforcement permettrait d’apporter une certaine protection à la population civile syrienne, la MISNUS devenant « les yeux et les oreilles » impartiaux de la communauté internationale.

Le potentiel de la mission à jouer ce rôle a émergé à la suite du massacre d’Houla : les observations de la MISNUS ont alors servi de source d’information crédible à la communauté internationale, évitant ainsi les rapports contradictoires et l’escalade dans les accusations lancées par les différentes parties au conflit.

Cependant, la MISNUS a rencontré d’importantes difficultés pour se rendre à Houla, et n’a pas encore pleinement rendu compte de ses conclusions.

En outre, la mission a peiné à établir tous les faits relatifs à la récente attaque de Treimseh, et n’a pu confirmer que les combats, l’utilisation d’artillerie lourde et d’hélicoptères par les forces syriennes et l’identité de certaines victimes.

Pour mener à bien leur mission, les observateurs dévoués chargés de veiller au respect des droits humains doivent obtenir l’assurance de la part des autorités syriennes qu’ils pourront circuler librement dans tout le pays et qu’ils bénéficieront d’une protection et d’un soutien adéquats, tant au niveau international que local. Ils doivent également avoir la capacité de réagir rapidement pour enquêter sur des événements précis et établir une présence permanente dans quelques villes en dehors de Damas.

Si les auteurs de violations des droits humains savent que leurs actes seront observés en temps réel par des témoins indépendants, cela aura sans doute un effet dissuasif.

Les centres de détention

La mission de l’ONU doit être habilitée à se rendre dans les centres de détention, ce que la MISNUS n’a quasiment pas pu faire dans le cadre de son organisation actuelle.

Anas al Shoghre, étudiant de 23 ans, qui serait maintenu en détention dans un lieu inconnu depuis le jour de son arrestation, le 14 mai 2011, semble-t-il pour avoir appelé à manifester et pris la tête de manifestations à Baniyas, compte parmi les milliers de personnes détenues dans tout le pays, pour beaucoup au secret et dans des lieux inconnus. Selon certaines informations, il est en mauvaise santé et a subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements.

La famille d’Anas al Shoghre cherche désespérément à savoir où il se trouve et s’il est en sécurité ; cependant, tant que des observateurs indépendants n’auront pas accès au réseau de centres de détention, officiels et non officiels, afin de vérifier qui sont les prisonniers et de rendre compte du recours à la torture et aux mauvais traitements, les disparitions forcées et les tortures systématiques continueront de faire des ravages en Syrie.

L’obligation de rendre des comptes

Enfin, nous comptons sur le Conseil de sécurité pour qu’il assume sa responsabilité et saisisse le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Syrie.

Amnesty International, tout comme la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, estime qu’il existe des preuves crédibles en nombre significatif que des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des violations flagrantes des droits humains ont été perpétrés en Syrie – et se poursuivent.

Le cas de Yousef, Bilal et Talal Haj Hussein, ouvriers du bâtiment tués lors d’un raid contre leur village de Sermin en mars 2012, est édifiant à bien des égards.

Ces frères, tous trois âgés d’une vingtaine d’années, qui avaient participé à des manifestations mais qui, selon leur famille, n’étaient pas des combattants, ont été tirés de leur domicile au petit matin par des soldats, avant d’être abattus d’une balle dans la tête, dans la rue, devant chez eux. Les soldats ont ensuite mis le feu à leurs cadavres et les ont laissés se consumer.

La famille Hussein attend toujours d’obtenir justice, vérité et réparation.

De tels crimes exigent que la communauté internationale prenne ses responsabilités, tant il est actuellement impossible d’engager des poursuites en Syrie.

Les exactions imputables aux groupes armés d’opposition, notamment la torture ou l’homicide de soldats capturés et de membres de milices progouvernementales appelées chabiha, doivent également faire l’objet d’investigations, en vue d’engager des poursuites contre toute personne présumée responsable de ces crimes.

En portant le dossier syrien devant la CPI, le Conseil ferait savoir à toutes les parties au conflit que les commanditaires ou les auteurs de crimes relevant du droit international n’échapperont pas à la justice. S’il exigeait que les autorités syriennes accordent à la Commission d’enquête internationale indépendante l’autorisation de se rendre immédiatement en Syrie, dans toutes les régions, il ouvrirait la voie à d’éventuelles poursuites.

Les membres du Conseil de sécurité doivent montrer leur vrai visage
Un véritable engagement en faveur de la justice, de l’obligation de rendre des comptes, des droits humains et de la protection de la population civile doit balayer les divergences politiques qui divisent le Conseil au sujet de l’évolution du conflit qui dévaste la Syrie.

L’issue des discussions qui se tiendront au Conseil de sécurité cette semaine dévoilera dans quelle mesure ses membres partagent cet engagement.

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