Ce que la Cour européenne des droits de l’homme signifie pour moi

Au cours de ses 50 années d’existence, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu quelque 10 000 arrêts concluant à la violation par un État de ses obligations au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cinq des personnes dont les dossiers ont été portés avec succès devant la Cour ont expliqué à Amnesty International ce que ces arrêts représentaient pour elles.

Kevin Gillan et Pennie Quinton avaient été interpellés à proximité d’une manifestation contre la tenue d’un salon de l’armement à Londres, en 2003, par des policiers opérant en vertu de la Loi de 2000 relative au terrorisme. Ce texte permet aux officiers supérieurs de police d’autoriser des procédures d’interpellation et de fouille des personnes dans un périmètre donné, en l’absence de tout motif raisonnable de soupçonner une infraction, dans le but de rechercher des objets de nature à être utilisés à des fins terroristes. En janvier 2010 , la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’en recourant à ces procédures, le Royaume-Uni bafouait le droit au respect de la vie privée et familiale.
Kevin Gillan a déclaré :

« Nous sommes passés par les tribunaux britanniques et cela a pris un certain nombre d’années. Le problème était que les tribunaux britanniques ne pouvaient pas juste faire volte-face et dire que ce texte de loi, la Loi de 2000 relative au terrorisme, était mal écrit et avait été appliqué à tort de façon répétée à toutes sortes de gens. La Cour européenne des droits de l’homme était la seule instance vers laquelle nous tourner parce qu’il n’était pas dans les pouvoirs des tribunaux britanniques de déclarer que c’était une mauvaise loi.
Je pense qu’une vue extérieure venant d’Europe et une application sérieuse de la Convention européenne des droits de l’homme étaient absolument essentielles dans notre cas pour obtenir un jugement raisonnable. Le point principal de cette affaire n’a jamais été notre ulcération personnelle face au recours à la Loi relative au terrorisme – nous avons tous deux été arrêtés et fouillés par la police lors de manifestations. Nous avons été agacés de cette interpellation et de cette fouille dans la rue mais nous avons porté notre cas devant la Cour parce qu’il était manifeste qu’il y avait un recours systématique à ces pouvoirs contre les manifestants. L’affaire est importante parce qu’elle concerne le droit de manifester, le droit de se rassembler dans un lieu public et de dire que nous ne sommes pas d’accord avec ce que fait le gouvernement. C’est un droit démocratique essentiel, inscrit dans la législation relative aux droits humains pour une très bonne raison. La seule manière de le défendre était d’aller devant la Cour européenne des droits de l’homme et fort heureusement le résultat a été positif à ce niveau.
Au fur et à mesure que l’Europe s’agrandit et que les pays qui en font partie sont de plus en plus divers, de nouvelles structures juridiques différentes apparaissent et certaines de ces structures n’offrent pas toutes les garanties que nous attendons au Royaume-Uni. Un des points importants concernant les arrêts rendus par la Cour européenne est qu’ils établissent des précédents qui pourront être utilisés comme arguments par d’autres personnes vis-à-vis de leur propre gouvernement. Nous avons attaqué le Royaume-Uni en justice pour un texte de loi britannique. Nous avons gagné et le gouvernement va devoir réviser la loi. Mais cet arrêt va faire jurisprudence en droit international et devenir un outil potentiel pour les peuples d’Europe.
 »

Igor Koktych, militant et musicien biélorusse, a été libéré le 1er février 2010 après deux années et demie de détention en Ukraine. Les autorités ukrainiennes avaient envisagé de l’extrader en Biélorussie où il était recherché pour des accusations dont il avait été précédemment acquitté. L’Ukraine a libéré Igor Koktych, la Cour européenne des droits de l’homme ayant jugé que son extradition vers la Biélorussie violerait la Convention européenne des droits de l’homme en faisant courir à cet homme un risque grave de torture et de mauvais traitements.
Igor Koktych a déclaré à Amnesty International :

«  Sans la Cour européenne des droits de l’homme, j’aurais été extradé et personne ne se serait intéressé à mon dossier. L’arrêt de la Cour était la seule issue équitable possible et m’a sauvé la vie. Si j’avais dû être extradé en Biélorussie, je risquais au mieux la torture et au pire, d’être assassiné.
La Cour européenne est la seule institution objective vers laquelle on peut se tourner lorsque toutes les autres possibilités pour obtenir justice ont été épuisées.
Je pense que cet arrêt sera très utile pour d’autres dossiers semblables au mien parce qu’ici, en Ukraine, les autorités judiciaires n’ont même pas essayé de comprendre mon dossier. Personne ne m’a écouté lorsque je disais que j’étais persécuté pour des motifs politiques. La Cour européenne est la seule institution qui puisse faire pression sur les autorités ici. Son arrêt ne va pas seulement m’aider moi, mais d’autres personnes dans la même situation. Il aurait été préférable que l’Ukraine se conforme à des obligations au titre de la Convention européenne des droits de l’homme.
 »

Natalia Estemirova du Centre russe « Mémorial » de défense des droits humains, une organisation non gouvernementale, avait expliqué à Amnesty International à Londres en 2008 comment elle aidait des personnes victimes d’atteintes aux droits humains en Tchétchénie à déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 15 juillet 2009, elle a été enlevée à Grozny, la capitale tchétchène. Son corps a été retrouvé le même jour, criblé de balles, dans l’Ingouchie voisine.

«  Nous avons expliqué aux gens pour la première fois en 2000 qu’ils pouvaient aller devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les premiers à se présenter ont été des gens qui avaient souffert des bombardements... Des réfugiés pris dans un bombardement près de Shami-Yurt, d’autres pris pour cible dans le district de Staropromyslovski à Grozny, au moment où les troupes russes étaient entrées. D’autres encore touchés par des « bombardements du lendemain » déclenchés quand les militants traversaient des villages après avoir quitté Grozny... C’était comme cela ... Les militants quittent le village – ensuite il est bombardé. C’étaient nos premiers dossiers. Un autre dossier parmi les tout premiers concernait le meurtre de civils à Novye Aldy.
Je me souviens des visages de ceux auxquels la Cour a donné raison. Ils n’y avait aucune joie dans leur regard. On leur a dit que le gouvernement serait puni. Financièrement. Cela ne les a pas rendus heureux. Ce qu’ils voulaient surtout, c’était qu’on punisse les criminels.
Mais il y avait de l’espoir dans leurs yeux. Ils espèrent encore aujourd’hui que le gouvernement devra trouver ceux qui ont tué , ceux qui sont coupables et qu’ils pourront enfin regarder dans les yeux ceux qui les ont humiliés alors.
À ce jour, la Cour a tranché en notre faveur dans plus de 30 dossiers. Et c’est très important pour les gens. La Cour donne espoir que des enquêtes vont être menées sur les crimes commis. Et aussi, et c’est le point le plus important – que cela ne se reproduira plus. La Cour européenne des droits de l’homme est très importante pour la population de Tchétchénie.
 »

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu plus de 120 arrêts dans des dossiers en rapport avec la Tchétchénie jusqu’en février 2010.

Marzet Imakaeva a intenté un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre la Fédération de Russie à propos de la disparition forcée en Tchétchénie de son fils Said Khusein et de son mari Said Magomed Imakaev, les autorités ne lui ayant communiqué aucune information sur leur sort.

La Cour a jugé en novembre 2006 que les autorités russes avaient violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de Said Khusein et Said Magomed Imakaev et n’avaient pas mené d’enquête adéquate sur leur disparition forcée. Après avoir entendu l’arrêt de la Cour, Marzet Imakaeva a déclaré :

«  Je suis heureuse qu’il y ait une justice. Mais ce que je voulais et ce que j’espérais, c’était que les autorités russes me rendent mon fils et mon mari vivants. Pour moi, l’arrêt d’aujourd’hui ne me donne aucune occasion de me réjouir – c’est la preuve que mon fils et mon mari sont morts.  »

La Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie par deux citoyens bosniaques, Jakob Finci et Dervo Sejdic, l’un Juif, l’autre Rom, qui n’avaient pas été autorisés, en raison de leur origine ethnique, à se porter candidats à la présidence de la République et au Parlement. La Cour a jugé en décembre 2009 que cette interdiction bafouait leurs droits électoraux et s’apparentait à de la discrimination.

« Dans une situation dans laquelle la justice nationale n’est pas capable de surmonter un problème, la dernière chance offerte aux personnes est la Cour de Strasbourg et il faut remercier Dieu qu’une telle institution existe. Espérons qu’au cours des 50 prochaines années, les succès dépasseront ceux des 50 premières années d’activités de la Cour, ce n’est qu’en travaillant de concert que nous pourrons venir à bout de l’injustice dans le domaine des droits de l’homme, au moins en Europe. »

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