Cour pénale internationale. Clarifier la portée du crime de viol

Synthèse

Index AI : IOR 53/001/2009 -
13 janvier 2009

Au lendemain d’une audience de la Cour pénale internationale (CPI) qui permettra de confirmer ou non les chefs d’accusation de viol en tant que crime contre l’humanité et crime de guerre, Amnesty International espère que la Chambre préliminaire confirmera dans ses jugements une définition vigoureuse du viol qui permettra de poursuivre les responsables de ce crime caractérisant aujourd’hui de très nombreux conflits.

Lundi 12 janvier 2009, la Chambre préliminaire III a débuté une audience de quatre jours liée à l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo. Sénateur, leader et président du Mouvement de Libération du Congo (MLC), parti d’opposition politique, il était commandant en chef du MLC lorsque celui-ci était un groupe politique armé. Il a été vice-président de la République démocratique du Congo (RDC).

La Chambre siège pour confirmer ou non les accusations de viols qui auraient été commis sur le territoire de la République centrafricaine entre le 25 octobre 2002 et le 15 mars 2003[1]. Selon Amnesty International, si les charges sont confirmées et si l’affaire est jugée, des évolutions majeures pourraient permettre de clarifier l’interprétation de la réalité du crime de viol et de ses profondes implications en termes de droits humains.

Au cours des vingt dernières années, le droit international relatif aux droits humains et le droit pénal international ont donné de nouvelles interprétations de l’agression sexuelle, qui ont supplanté les conceptions dépassées du viol comme facette regrettable mais inévitable d’un conflit :

· Le viol constitue une atteinte grave à l’intégrité physique et mentale de la victime – avancée majeure par rapport à la conception archaïque qui prévalait dans les Protocoles additionnels de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, selon laquelle le viol de femmes et de fillettes au cours des conflits armés n’était qu’un crime contre l’« honneur », la « dignité » ou les droits de propriété des membres masculins de la famille.

· En fonction des circonstances factuelles dans lesquelles le crime a été commis, le viol peut constituer un crime de guerre ou un crime contre l’humanité (Statut de Rome de la Cour pénale internationale), un acte de génocide (Le procureur c. Akayesu, Tribunal pénal international pour le Rwanda, 1998) ou un acte de torture (Mejía c. Pérou, Commission interaméricaine des droits de l’homme, 1996 ; Aydin c.Turquie, Cour européenne des droits de l’homme, 1997).

· Un acte de pénétration orale peut également constituer un viol (Le procureur c. Furundzija, Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, 1998).

· Une pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par un objet ou toute partie du corps, comme les doigts ou les mains, peut constituer un viol (Statut de Rome, Éléments des crimes, 2002).

· Le viol n’est pas uniquement perpétré lorsqu’il y a emploi de la force physique (M.C c. Bulgarie, Cour européenne des droits de l’homme, 2003). Le viol est défini comme tout acte de pénétration commis par l’auteur sous l’empire de la coercition ou à la faveur d’un environnement coercitif (Le procureur c. Akayesu, Tribunal pénal international pour le Rwanda, 1998 ; Statut de Rome, Éléments des crimes, 2002).

Selon Amnesty International, l’examen du crime de viol par la CPI dans cette affaire offre une occasion décisive de confirmer la définition donnée dans les Éléments des crimes et, par le biais de l’étude des preuves, de mieux comprendre la manière dont les auteurs usent de la coercition.

Cette définition rend compte avec précision de la brutalité du viol, qui est souvent commis à l’aide de bâtons, fusils, bouteilles ou d’autres objets dans le but de blesser la victime. Elle ne mentionne pas le genre, reconnaissant par là même que les hommes comme les femmes, les garçons comme les filles, sont violés. Si les viols de femmes, de jeunes filles et de fillettes sont plus fréquemment recensés – dans des proportions souvent choquantes –, les hommes et les garçons en sont eux aussi victimes, mais la honte et la réprobation sociale les empêchent généralement d’en faire part et de demander une aide médicale.

La définition donnée dans les Éléments des crimes reconnaît que ce crime est fréquemment commis, non seulement par la force, mais aussi en usant de la menace de la force ou de la coercition,
« telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou encore en profitant de l’incapacité de ladite personne de donner son libre consentement ».

Cette définition exhaustive et précise affirme que la seule force physique n’est pas l’unique moyen de contrôler une personne en vue de la violer et de lui infliger d’autres formes de violences sexuelles. Amnesty International et d’autres défenseurs des droits humains font état de viols en détention, au cours des conflits armés, au sein de familles abusives et dans le cadre de relations intimes, toutes situations où l’auteur peut abuser de son pouvoir sur la victime, dans le but d’avoir un contact sexuel non consenti. Amnesty International estime que la Chambre préliminaire doit avaliser la définition donnée dans les Éléments des crimes, instrument qui vise aux termes de l’article 9-1 du Statut de Rome à aider « la Cour à interpréter et appliquer » l’article 7 (Crimes contre l’humanité).

Bien que cette seule définition représente une avancée majeure en droit international, il semble possible d’en élaborer une encore plus précise et complexe dans le cadre des règles de la CPI. Aux termes de l’article 21-3 du Statut de Rome :

« L’application et l’interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations telles que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe […], l’âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la conviction, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre qualité. »

Cette disposition cruciale, qui régit l’interprétation de toutes les dispositions du Statut de Rome, invite la CPI à prendre note du droit relatif aux droits humains et à l’intégrer dans sa jurisprudence. L’intégration des principes relatifs aux droits humains dans la loi et la pratique de la CPI doit être un catalyseur de changement pour les systèmes nationaux de droit pénal – tant elle fait défaut dans les législations nationales du globe lorsqu’il s’agit de traiter une affaire de viol. Rapport après rapport, Amnesty International, les organisations de défense des droits humains et les militantes des droits des femmes témoignent de ce que les femmes victimes de viol sont couramment privées de la possibilité de dénoncer le viol, maltraitées par les médecins légistes, interrogées sur leur passé en matière de sexualité, soumises à des interrogatoires abusifs par les policiers, les procureurs, les avocats et les juges, et généralement rendues responsables des violences subies. Les hommes et les garçons victimes de viol redoutent tellement la condamnation sociale qu’ils tentent rarement d’obtenir justice.

En continuant d’étoffer et d’appliquer cette définition ouverte et vigoureuse du viol, tout en appliquant les règles d’administration de la preuve et la procédure conformément aux normes internationales d’équité, la CPI montrera qu’il est possible d’engager des poursuites énergiques pour des crimes de violences sexuelles et de rendre justice aux victimes, sans reproduire la victimisation secondaire à laquelle les plaignants sont souvent confrontés.

Amnesty International salue également la récente nomination d’un conseiller spécial du procureur chargé des crimes liés au genre – un nouveau pas en avant vers le recrutement au sein de la CPI de professionnels à même de faire aboutir et de mettre en œuvre la justice pour les femmes et les fillettes.


Complément d’information

Amnesty International se félicite de ces accusations de viol, qui témoignent de la volonté politique de poursuivre les responsables de tels crimes et offre l’occasion d’étoffer la loi. Cependant, elle ne prend pas position quant à la culpabilité ou à l’innocence de Jean-Pierre Bemba Gombo, lui reconnaissant le droit d’être présumé innocent de toutes les charges retenues contre lui jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie au-delà de tout doute raisonnable.
L’audience de confirmation, publique, se tient en présence du procureur, de la personne inculpée, de son avocat et des avocats des victimes. Cette étape de la procédure pénale devant la CPI vise à garantir qu’une affaire ne soit jugée par la Cour que si les éléments de preuve fournissent des motifs raisonnables de croire que la personne a commis le crime dont elle est accusée.
Au terme de cette audience, la Chambre préliminaire III décidera de confirmer ou non les charges retenues par le procureur contre Jean-Pierre Bemba Gombo et, le cas échéant, de le juger. Une Chambre de première instance fixera alors la date de son procès.

[1] Voir le rapport d’Amnesty International intitulé République centrafricaine. Cinq mois de guerre contre les femmes, index AI : AFR 19/001/2004, publié le 10 novembre 2004.

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