Communiqué de presse

Davos et la situation globale

Par Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International

Alors que les chefs de gouvernement et les grands patrons se réunissent comme chaque année dans le cadre du Forum économique mondial à Davos, du 23 au 27 janvier, nul ne saurait passer sous silence la question de l’inégalité mondiale – y compris du point de vue des droits humains.

Dans des pays comme la Chine, qui connaissent une forte croissance économique, les disparités en termes de richesses ne cessent de se creuser. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans les pays les plus riches, le revenu moyen des 10 % les plus riches de la population est neuf fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. C’est sept fois plus qu’il y a 25 ans. Peu de pays résistent à cette tendance.

Tandis que des millions de personnes sont en butte à la hausse du coût de la vie et aux réductions des dépenses sociales, les révélations sur la capacité des très riches et des grandes entreprises à protéger leurs biens, en période de prospérité comme en temps de crise, suscitent protestations et demandes d’évolution au niveau législatif.

S’agit-il d’une question de droits humains ? De mon point de vue, cela ne fait aucun doute.

Depuis fort longtemps, les défenseurs des droits humains remettent en cause l’inégalité fondée sur l’identité ou la situation d’une personne – l’inégalité entre hommes et femmes, le traitement inégal en raison de la race, de la religion ou de tout autre motif.

Cette question s’inscrit également dans un cadre plus large. Si vous êtes une femme, si vous appartenez à un groupe ethnique marginalisé, si vous êtes originaire d’une région défavorisée d’un pays, il y a de très fortes probabilités que vous soyez pauvre. Si vous êtes tout en bas de la pyramide sociale, il y a de grandes chances que vous vous trouviez également au bas de la pyramide économique. Il est évident que les droits civils et politiques sont inextricablement liés aux droits économiques et sociaux.

Soyons clair : le droit à l’égalité de richesse n’existe pas, et n’existera jamais.

Cependant, le droit relatif aux droits humains garantit pour tous le droit à un niveau de vie suffisant, qui inclut le droit à une nourriture suffisante, à l’eau et à un logement convenable. Tous les enfants ont droit à l’éducation. Toute personne a le droit de bénéficier des services dispensant les soins élémentaires et d’urgence. Chacun a le droit à la protection de la loi, ce qui suppose des systèmes d’application des lois qui fonctionnent efficacement. Et il revient aux gouvernements d’œuvrer à renforcer l’accès à ces biens et services, essentiels pour jouir pleinement de ses droits, et d’en améliorer la qualité.

Si le droit international n’exige pas des gouvernements qu’ils fournissent tous les biens et services nécessaires à la réalisation des droits fondamentaux, il leur incombe de veiller à ce qu’un cadre permette aux citoyens de les mettre en œuvre.

Lorsqu’on analyse ces questions, nous avons tendance à mettre l’accent sur la façon dont les gouvernements utilisent leurs ressources.

Or, il faut aussi étudier les fondements structurels de l’accroissement de l’inégalité mondiale – y compris le détournement des ressources censées servir l’intérêt public.

En Grèce, la colère du peuple a explosé lorsqu’il a appris que le ministre des Finances savait que des Grecs aisés avaient déposé leur argent sur des comptes bancaires suisses afin d’échapper aux impôts, mais n’avait pris aucune mesure. Au Royaume-Uni, il a été révélé que les entreprises multinationales payaient peu voire pas d’impôts. Dans les deux cas, la colère de la population a été avivée par le fait que les gouvernements imposent des réductions sévères des dépenses sociales, faisant basculer de nombreux citoyens dans la pauvreté.

Les comportements à l’origine de ces situations ne sont pas forcément illégaux. La vieille rengaine de la corruption manifeste et du détournement de l’argent public se joue dans de nombreux pays, où la présence de richesses naturelles va de pair avec une misère noire.

Aujourd’hui, les élites politiques corrompues qui ont pillé les ressources de nombreuses régions du globe se servent des mêmes structures financières pour transférer et mettre à l’abri leurs gains illicites, notamment par l’entremise de paradis fiscaux et de structures multinationales leur permettant de jouer à « cache-cache » avec les profits.

Nous vivons dans un monde où les ultra-riches peuvent éviter de payer des impôts, tout en conservant tous les avantages liés au fait de résider dans tel pays, où des entreprises immorales peuvent en toute légalité escroquer des pays riches en ressources naturelles, et où des élites corrompues peuvent mettre leur argent à l’abri sur des comptes offshore – même lorsque leurs crimes sont dénoncés.

Lutter contre la pauvreté et l’inégalité est un défi complexe. Il n’y a pas de remède miracle. Toutefois, lorsque les gouvernements cherchent à équilibrer les budgets, force est de constater que ceux qui ont le plus besoin des services sociaux et des filets de sécurité en paient le prix fort.

Pour mieux comprendre l’accroissement des inégalités dans le monde, il importe d’identifier et d’analyser les fondements structurels.

Nous avons à la fois besoin d’une transparence accrue et d’une coopération internationale plus efficace si nous souhaitons réellement faire face aux conséquences des disparités économiques de plus en plus marquées.

Une meilleure transparence permettra d’éliminer bon nombre des pires pratiques. Et le bénéfice en termes de droits humains sera tout simplement énorme.

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