Déclaration de Brighton. Les États doivent prendre les jugements de la CEDH au sérieux au lieu de toucher à son indépendance

La déclaration politique émanant de 47 États membres du Conseil de l’Europe ne permet pas de lutter contre les principales difficultés se posant à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), même si elle propose quelques mesures positives, a indiqué Amnesty International.

Cette déclaration – qui a été faite à l’issue de la conférence de Brighton – comporte des propositions visant à engager des réformes à la Cour et à modifier la Convention européenne des droits de l’homme.

« Les modifications proposées vendredi 20 avril n’aideront guère à alléger la charge de travail de la CEDH, et quelques-unes d’entre elles portent atteinte à l’indépendance de la Cour et limitent l’accès de certains à la justice », a signalé Michael Bochenek, directeur du programme Loi et politique d’Amnesty International.

Si les États membres souhaitent réellement protéger l’avenir de la CEDH, ils doivent commencer par prendre au sérieux la mise en œuvre de la Convention et l’exécution des décisions de la Cour.

Un respect accru pour les droits humains dans chaque pays est la manière la plus efficace de garantir la pérennité de la Cour.

« La Déclaration de Brighton contient de nombreuses promesses encourageantes de la part des États, selon lesquelles ils s’engagent à appliquer la Convention et à prendre des mesures concrètes en ce sens. Les actes sont plus éloquents que tous les discours, et les États doivent désormais démontrer qu’ils vont faire ce qu’ils disent. »

Une des principales difficultés que rencontre la Cour est la simple accumulation de cas dits répétitifs.

Ces affaires résultent des manquements d’États membres, qui ne respectent pas les obligations auxquelles ils sont pourtant tenus sur le plan des droits humains. « Si la Déclaration de Brighton reconnaît le problème, elle ne propose pas de solution rigoureuse », a ajouté Michael Bochenek.

En particulier, les outils les plus robustes devraient être mis à la disposition du Conseil de l’Europe afin qu’il puisse réellement exercer des pressions sur les États continuant à faire fi des décisions rendues par la Cour.

Si la possibilité d’appliquer des sanctions, notamment financières, a dans un premier temps été envisagée lors des négociations, leur inclusion explicite dans la Déclaration de Brighton a finalement été abandonnée.

« C’est là une occasion manquée de mettre en place une politique incitative efficace pour que les États cessent d’ignorer les jugements de la Cour. »

Au lieu de s’attaquer de front aux problèmes cruciaux que sont les atteintes répétées à la Convention et la non-exécution des jugements de la Cour, la Déclaration de Brighton est l’illustration inquiétante de la tendance des États à dire à la Cour comment elle devrait interpréter la Convention.

« Les États membres doivent s’abstenir de toucher à l’indépendance de la Cour et de lui dire comment elle doit remplir son rôle de surveillance de leur propre respect des droits humains », a poursuivi Michael Bochenek.

En particulier, la Déclaration de Brighton propose de modifier la Convention pour y introduire ces principes, et fait pression sur la Cour afin qu’elle accorde la priorité à ceux-ci lorsqu’elle met en œuvre la Convention.

La Cour prend déjà ces principes en compte dans sa jurisprudence, tout appliquant également d’autres méthodes d’interprétation. En fait, la Cour elle-même les a pleinement intégrés à son rôle.

« Outre le fait d’essayer de battre en brèche l’indépendance de la Cour concernant l’interprétation de la Convention, on voit mal comment cela aiderait à diminuer les difficultés de la Cour », a déploré Michael Bochenek.

De même, la Déclaration de Brighton explique à la Cour comment elle devrait interpréter les critères d’admissibilité figurant dans la Convention. Ces critères portent sur les conditions que les dossiers doivent remplir afin que les recours formés par des individus puissent être examinés par la Cour. Il est essentiel qu’ils soient correctement interprétés, afin de garantir un véritable accès à la justice.

« L’état de droit suppose le respect de l’indépendance de la justice. Les États ne doivent pas faire d’ingérence dans la façon dont les tribunaux nationaux interprètent le droit national ; ils doivent de la même manière respecter l’indépendance de la CEDH. »

Si les États membres réaffirment avec raison dans la Déclaration l’importance cruciale du droit de tous de pouvoir s’adresser à la Cour afin d’obtenir des réparations lorsque leurs droits fondamentaux ont été bafoués, la Déclaration de Brighton affiche malheureusement l’objectif de réduire de six à quatre mois le délai dans lequel il est permis de solliciter l’aide de la Cour.

« Si cette modification a pour but de limiter le nombre de demandes parvenant à la Cour à Strasbourg, il est en fait possible qu’elle finisse par compromettre la qualité de ces demandes, en particulier dans les cas où la possibilité d’obtenir des conseils et une assistance juridiques est limitée », a continué Michael Bochenek.

Enfin, et comme l’a souligné le secrétaire général du Conseil de l’Europe lors son intervention à Brighton, il est important de reconnaître que des réformes en profondeur ne se font pas gratuitement. Les États membres doivent fournir les ressources dont la Cour a besoin pour répondre aux difficultés qui se posent à elle. « C’est pourtant là un aspect que la Déclaration de Brighton passe largement sous silence. »

Pour que le système européen de protection des droits humains puisse respecter ses engagements de défense de ces droits, l’inaction ne peut être une solution. Si la Cour doit continuer à développer et améliorer ses méthodes de travail, comme avec les bons résultats récents dans la réduction du nombre de cas en souffrance, les États doivent au contraire honorer l’obligation qui est la leur de mettre la Convention en œuvre.

Dans l’ensemble, alors que la Déclaration de Brighton était censée établir un programme ambitieux visant à garantir la viabilité du système établi par la Convention, il s’avère qu’elle évite largement de répondre aux questions délicates, tout en empiétant sur l’indépendance et l’autorité de la Cour.

Complément d’information

La Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme s’est tenue à Brighton, au Royaume-Uni, du 18 au 20 avril 2012. Cette conférence a été organisée par le gouvernement britannique dans le cadre de sa présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le principal organe décisionnaire de l’organisation. Vendredi 20 avril, les ministres des pays membres du Conseil de l’Europe ont adopté la « Déclaration de Brighton », un ensemble de propositions visant à réformer la Cour.

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