Les défis qui attendent le nouveau président égyptien

Par Said Haddadi, chercheur d’Amnesty International sur l’Égypte

Le résultat tant attendu des élections présidentielles égyptiennes, qui a vu Mohamed Morsi proclamé vainqueur, a été accueilli par de nombreux Égyptiens rassemblés place Tahrir avec des cris de joie presque comparables aux célébrations au même endroit il y a 16 mois, quand on a annoncé qu’Hosni Moubarak s’était retiré.

Si la chute d’Hosni Moubarak a uni les Égyptiens dans le sentiment que le changement arrivait, la jubilation d’hier différait par ses raisons.

Pour les sympathisants de Mohamed Morsi, c’était un rêve qui se réalisait.

Pour ceux dont le vote en faveur de Mohamed Morsi était principalement motivé par l’opposition à Ahmed Chafik et à ses liens avec le régime d’Hosni Moubarak, c’était une nouvelle occasion de continuer de militer pour les objectifs de la « révolution du 25 Janvier », au cours de laquelle les Frères musulmans ont joué un rôle important (bien que tardif) dans l’augmentation du nombre de manifestants dans les rues.

Les autres s’attendent à voir se rejouer une lutte de pouvoir entre les Frères musulmans et les généraux de l’armée qui dure depuis des décennies.

Il ne fait aucun doute que le résultat de dimanche a été extrêmement décevant pour les sympathisants d’Ahmed Chafik, qui ont continué jusqu’à la dernière minute – et en dépit des premiers résultats en faveur de Mohamed Morsi – à croire que leur candidat allait gagner.

Leur foi en la victoire de Chafik a été confortée – peut-être – par les récents événements politiques qui se déroulaient progressivement comme un feuilleton télévisé égyptien.

Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a repris le dessus à un moment où de nombreuses personnes s’attendaient à ce que le rideau tombe et que les généraux quittent la scène politique comme promis depuis longtemps.

Cependant, il ne semble pas accepter un rôle secondaire dans l’Égypte d’aujourd’hui.

Par le biais des récents ajouts à la Déclaration constitutionnelle, il s’est attribué des pouvoirs illimités dont les conséquences sont énormes sur le plan politique et en termes de droits humains pour le pays.

Beaucoup ont considéré la manœuvre du CSFA comme un « coup d’État en douceur ».

À la suite de la dissolution du Parlement découlant de la décision rendue le 14 juin par la Cour suprême constitutionnelle invalidant les élections législatives, le CSFA a maintenant recommencé à gouverner à coups de décrets et contrôle toutes les questions liées aux forces armées, sans aucune surveillance civile.

Une modification de taille permet au président de faire appel à l’armée pour maîtriser les « troubles internes », en conférant aux forces armées le pouvoir d’arrêter et de détenir des civils et en définissant les cas où elles sont autorisées à employer la force contre des manifestants ou toute personne considérée comme menaçant la sécurité.

Les modifications de la Déclaration constitutionnelle, associées à la longue attente du résultat définitif des élections présidentielles, ne présageaient rien de bon dans un pays où les tensions et les inquiétudes semblaient couver sous un mince vernis ces derniers mois, en particulier par rapport à l’impact de la « révolution du 25 janvier » en termes de dignité et de justice sociale.

Après l’annonce de l’issue du scrutin, certaines de ces inquiétudes demeurent. Si certains voient l’élection de Mohamed Morsi en tant que premier président civil de l’Égypte comme un bond en avant, d’autres – craignant les conséquences pour les coptes et les femmes – s’interrogent sur le degré d’attachement des Frères musulmans au plein respect des droits humains, bien que Morsi ait assuré dans ses derniers discours qu’il tenait à mettre en place un État civil, démocratique et constitutionnel.

Après plusieurs mois d’agitation et d’incertitude, beaucoup attendent maintenant du nouveau président qu’il mette le pays sur la voie de l’état de droit, qu’il accède aux revendications du soulèvement de l’an dernier, qu’il mette fin à l’impunité, qu’il maîtrise et réforme les forces de sécurité et qu’il garantisse l’égalité pour tous – pour ne citer que quelques-uns des défis que les Égyptiens voudront qu’il relève.

Nombreux sont ceux qui pensent que, en raison de la répression à laquelle ont été soumis les Frères musulmans au cours des dernières décennies, ils seront plus sensibles à la progression des libertés fondamentales. Pendant des années, les membres de cette organisation ont été soumis à des arrestations suivies de placements en détention et de procès iniques, y compris devant des tribunaux militaires. Amnesty International est intervenue dans nombre de cas, notamment en faveur de Mohamed Morsi lui-même quand il a été arrêté en janvier 2006 et 2011.

Il est certain que le nouveau président de l’Égypte devra faire face à des difficultés considérables pour améliorer la situation des droits humains dans un pays où les violations sont endémiques. Néanmoins, le principal défi auquel le pays est immédiatement confronté est de rédiger une nouvelle Constitution.

Étant donné le pouvoir qui lui est conféré par les modifications apportées ce mois-ci à la Déclaration constitutionnelle de contester certaines dispositions du projet de nouvelle Constitution, le président Mohamed Morsi doit maintenant défendre les droits humains de tous les citoyens sans discrimination et veiller à ce que les principes fondamentaux des droits humains soient inscrits dans la Constitution. Les Égyptiens méritent au moins cela.

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