Derrière l’écran de fumée de la fête olympique : les principales préoccupations concernant les droits humains en Russie

9 janvier 2014
Index AI : EUR 41/001/2014
AILRC-FR

MISE À JOUR

Les XXIIe Jeux olympiques d’hiver débuteront le 7 février 2014 dans la ville de Sotchi, en Russie. Orientant les projecteurs sur la Russie, la flamme olympique offre une occasion exceptionnelle pour inspecter de près la situation des droits humains dans ce pays. La présente synthèse décrit quelques-unes des préoccupations d’Amnesty et fournit des précisions sur certains cas étudiés.

Vue d’ensemble sur les droits humains en Russie

À la suite des manifestations massives qui se sont déroulées à Moscou et dans tout le pays vers la fin de 2011 et tout au long de 2012 pour protester contre les fraudes et infractions présumées durant les élections législatives et présidentielle, le président Vladimir Poutine a promulgué un arsenal de lois devant réprimer l’opposition, la liberté d’expression et la liberté de réunion en Russie.

Depuis la fin de l’année 2011, des milliers de personnes ont été détenues à Moscou et dans ses environs, et plus d’une centaine de manifestations ont été interdites ou dispersées par la police.

À travers tout le pays, un millier d’organisations non gouvernementales (ONG), peut-être plus, ont été désignées pour être « inspectées ». Nombre d’entre elles risquent des amendes, voire la fermeture, aux termes de la nouvelle loi relative aux « agents étrangers ».

Des lois discriminatoires adoptées au cours de l’année écoulée ont alimenté l’homophobie et donné lieu dans tout le pays à une vague de violences de la part de groupes d’« autodéfense ». Les comportements xénophobes ont eux aussi augmenté, et la fréquence des descentes de police sur les travailleurs migrants s’est accrue ces dernières années.

La liberté d’expression a elle aussi été visée. Une nouvelle loi érigeant le blasphème en infraction a été adoptée à la suite de l’action des Pussy Riot dans la cathédrale orthodoxe de Moscou. Un musée a été fermé pour avoir exposé des illustrations satiriques représentant le président de Russie, Vladimir Poutine, et un certain nombre d’autres personnalités politiques.
Six prisonniers d’opinion ont été remis en liberté à la faveur de la dernière loi d’amnistie du 18 décembre 2013 et d’une grâce présidentielle, mais beaucoup d’autres sont toujours derrière les barreaux.

Des groupes armés continuent de mener des attaques dans le Caucase du Nord et ailleurs en Russie. Les 29 et 30 décembre 2013, en particulier, des habitants de Volgograd et des environs ont été victimes de deux attentats suicides à l’explosif. La réaction des forces de sécurité est toujours marquée par des violations flagrantes des droits humains, dont des disparitions forcées, des actes de torture et, semble-t-il, des exécutions extrajudiciaires.
Restrictions aux droits à la liberté de réunion

La loi fédérale russe réglementant les manifestations de rue a été modifiée en 2012 de manière à appliquer désormais de nouvelles restrictions aux événements publics et à imposer de nouvelles sanctions aux organisateurs.
On estime à près de 4 000 le nombre de personnes qui ont été arrêtées en 2012 à la suite de quelque 200 manifestations à Moscou et dans la région de la capitale. En 2013, le nombre de manifestations a nettement diminué, mais plusieurs centaines de personnes ont néanmoins été arrêtées au cours de nombreux événements qui se sont déroulés à travers le pays. La tendance s’est poursuivie après le début de l’année 2014 : un rassemblement pacifique organisé en solidarité avec les « prisonniers de Bolotnaïa » dans le centre de Moscou a été dispersé le 6 janvier. Au moins 28 participants auraient été arrêtés, puis relâchés par la police.

Des groupes d’opposition critiques à l’égard des autorités et d’autres groupes d’action sociale qui ont déposé des demandes d’autorisation de manifester ont régulièrement été interdits de rassemblement à la date et au lieu qu’ils avaient choisis.

De petits rassemblements de rue pacifiques, « non autorisés », ont été régulièrement dispersés par la police avec des moyens souvent injustifiés ou disproportionnés. De très nombreux détenus ont fait état de lésions infligées par des policiers, dont des fractures aux bras ou aux jambes et des blessures à la tête, mais aucune de ces plaintes n’a fait l’objet d’une enquête effective, si enquête il y a eu.

Les prisonniers de Bolotnaïa

À travers tout le pays, la police a eu recours à une force excessive et procédé à des arrestations arbitraires lors de diverses manifestations. Dans une affaire qui a eu beaucoup de retentissement, elle a ainsi fait usage d’une force excessive et illégale lors d’un rassemblement place Bolotnaïa, le 6 mai 2012. Des centaines de manifestants pacifiques ont été arrêtés. Des poursuites pénales ont été engagées par la suite contre 28 personnes ayant participé à ce rassemblement, que les autorités chargées de l’accusation ont qualifié d’« émeute de masse ». Cette qualification a permis de prononcer des inculpations plus graves contre les participants. En octobre 2013, l’un de ces manifestants, Mikhaïl Kosenko, a été placé par un tribunal dans un établissement de soins psychiatriques, peut-être pour une durée indéterminée. L’ordonnance du tribunal rappelait l’ère soviétique et l’usage punitif qui était fait à cette époque de la psychiatrie.

Amnesty International a reconnu Mikhaïl Kosenko comme prisonniers d’opinion, tout comme neuf autres détenus de la place Bolotnaïa : Vladimir Akimenkov, Artiom Saviolov, Nikolaï Kavkazsky, Stepane Zimine, Leonid Koviazine, Alekseï Polikhovitch, Denis Loutskevitch, Sergueï Krivov et Yaroslav Belousov.

La loi d’amnistie du 18 décembre 2013 a mis fin aux poursuites engagées contre cinq personnes inculpées dans l’affaire Bolotnaïa, dont trois prisonniers d’opinion (Vladimir Akimenkov, Leonid Koviazine et Nikolaï Kavkazsky) qui ont libérés.

Toutes les personnes impliquées dans cette affaire et considérées comme des prisonniers d’opinion doivent être libérées immédiatement et sans conditions, et toutes les charges faisant référence à une prétendue « émeute de masse » doivent être abandonnées.

Des universitaires détenus

Pour preuve de l’ampleur de la répression qui s’abat sur les manifestations publiques, lorsque des universitaires ont protesté pacifiquement devant la Douma, à Moscou, contre un projet de réforme de l’Académie russe des sciences vers la fin du mois de septembre 2013, ils ont été dispersés par la police, et certains arbitrairement détenus.

Interdictions des marches de la fierté et homophobie

Les autorités municipales refusent régulièrement aux personnes lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) l’autorisation d’organiser des manifestations publiques. À six reprises au moins en 2013, des militants LGBTI qui manifestaient pacifiquement à Moscou et à Saint-Pétersbourg ont été violemment agressés par des militants homophobes. Aucune mesure n’a été prise contre les agresseurs malgré une profusion de vidéos, de photos et de témoignages, tandis que plusieurs militants LGBTI ont été détenus et poursuivis pour avoir violé les règlements relatifs aux rassemblements publics.

La dernière manifestation publique de LGBTI à Moscou à avoir été « approuvée » remonte à 2012. Cependant, elle a dû se dérouler à la périphérie de Moscou, loin du public auquel elle s’adressait, et dans un cadre plus général de lutte contre les discriminations en Russie.

En 2013, au moins trois manifestations LGBTI ont été organisées à Saint-Pétersbourg, dans un grand parc prévu pour des actions publiques. Le 6 septembre, une manifestation s’y est déroulée pacifiquement pendant le G20 et sous les yeux des médias internationaux, mais des actions menées en juin et en octobre se sont soldées par des arrestations massives. Dans le dernier cas, la police n’a pas dûment protégé les militants LGBTI des contre-manifestants.

Mesures répressives contre des ONG indépendantes

En novembre 2012, le gouvernement a adopté une nouvelle loi obligeant les ONG recevant des fonds de l’étranger et engagées dans des activités très généralement qualifiées de « politiques » à s’enregistrer comme des « agents étrangers ». L’objectif de cette mesure était de stigmatiser les ONG engagées dans des activités de défense des droits humains, de salir leur réputation et de fournir un prétexte pour leur imposer des amendes et éventuellement pour ordonner la fermeture de celles qui étaient jugées trop critiques. Cela permettait aussi de bloquer des sources de financement souvent essentielles.
Le non-respect de cette nouvelle exigence peut entraîner de lourdes amendes de plus de 15 000 dollars des États-Unis pour l’organisation et de 9 000 dollars pour ses dirigeants. L’ONG peut être obligée de fermer et ses dirigeants emprisonnés pour une durée allant jusqu’à deux ans.
En juillet 2013, le procureur général a estimé qu’environ un millier d’organisations ont été « inspectées » à travers la Russie depuis l’adoption de la nouvelle législation et que quelque 200 répondaient aux critères établis par la loi et définissant les « agents étrangers ».

Depuis, des avertissements officiels ont été adressés à plus de 50 organisations, leur intimant l’ordre de s’enregistrer en tant qu’« agents étrangers ». Il en est résulté que plusieurs d’entre elles ont fait l’objet de poursuites administratives qui pourront déboucher à terme sur des amendes et des fermetures.

À ce jour, cinq ONG ont été condamnées au versement d’une amende. Deux d’entre elles ont eu gain de cause en appel dont une, Bok O Bok, une association de festival de cinéma LGBTI, s’était déjà autodissoute. Au moins trois autres ont également cessé d’exister.

D’une manière générale, plus de 20 ONG ont été entraînées dans des auditions devant les tribunaux, dont les groupes de défense des droits humains bien connus Memorial et Verdict public. Les ONG ont certes eu gain de cause dans plusieurs affaires judiciaires, mais le Bureau du procureur a continué à engager des poursuites contre des organisations similaires dans toute la Russie. Dans un de ces cas, le Centre antidiscrimination Memorial à Saint-Pétersbourg a reçu directement l’ordre de s’enregistrer en tant qu’« agent étranger ». L’organisation a décidé de cesser ses activités en Russie.
Ensemble, les ONG russes de défense des droits humains contestent la loi et sont unies dans leur détermination à ne pas s’enregistrer comme « agents étrangers ».

Liberté d’expression

Législation homophobe

Des groupes rassemblant des lesbiennes, des gays ou encore des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées ont subi de plein fouet les conséquences de la loi relative aux « agents étrangers » et ont à de nombreuses reprises été privés de leur droit à la liberté de réunion. En outre, une nouvelle loi promulguée en juin 2013 interdit la « propagande en faveur des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs ». Cette loi manifestement discriminatoire restreint les droits à la liberté d’expression et de réunion des personnes LGBTI. Elle a servi de caution officielle à une homophobie croissante et a déclenché à travers le pays une vague de violences de la part de milices. Au moins trois personnes ont été condamnées à des amendes au titre de cette nouvelle loi fédérale. Dans la dernière affaire en date, en décembre 2013, un militant LGBTI qui avait manifesté, seul, dans la ville de Kazan, a été inculpé de « propagande ». Son inculpation a fait suite à une plainte déposée par un adolescent d’une autre région de Russie qui aurait lu des articles sur les actions de ce militant.
Le 3 novembre 2003, deux hommes masqués brandissant des pistolets à air comprimé et des battes de baseball ont attaqué les locaux de LaSky, une ONG qui fournit un soutien aux personnes LGBTI vivant avec le VIH. Deux personnes ont été blessées, dont l’une a perdu l’usage d’un œil. Malgré la gravité de l’attaque, le ministère public a seulement ouvert une enquête pour « houliganisme ». Cette attaque violente a provoqué une onde de choc dans la communauté LGBTI de Saint-Pétersbourg, et plus généralement de Russie.

Législation relative au blasphème - les Pussy Riot

Aux termes d’une nouvelle loi, des actions « insultantes à l’égard des sentiments religieux » constituent désormais une infraction pénale. Ce texte a été adopté en 2013, en réaction directe au concert du groupe punk Pussy Riot dans la cathédrale orthodoxe russe de Moscou, en février 2012.

En mars 2012, trois femmes, membres du groupe punk Pussy Riot – Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samoutsevitch –, ont été arrêtées et inculpées de « houliganisme » fondé sur la « haine religieuse ». Elles ont passé plusieurs mois en détention avant d’être condamnées, en août 2012, à deux années d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire. En octobre 2012, Ekaterina Samoutsevitch a été libérée sous condition en appel, alors que les deux autres étaient envoyées dans des colonies pénitentiaires éloignées.

Vers la fin de décembre 2012, Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina ont été remises en liberté à la faveur de la récente loi d’amnistie. Amnesty International se félicite de leur libération, mais elles n’auraient jamais dû être ni emprisonnées ni même poursuivies devant un tribunal pénal. Toutes les poursuites pénales intentées contre elles doivent être abandonnées, et elles doivent être indemnisées pour le temps qu’elles ont passé derrière les barreaux.

Des personnes militant en faveur des membres des Pussy Riot en Russie ont également été harcelées par les autorités. Le 9 septembre 2013, un tribunal de Novossibirsk, en Sibérie, a estimé que l’« icône de Pussy Riot » (une affiche représentant une femme portant une cagoule de couleur semblable à celles des Pussy Riot, avec une auréole au-dessus de la tête et un enfant dans les bras) était une insulte envers les sentiments religieux et en a interdit la diffusion. L’auteur de l’affiche, l’artiste Artiom Loskoutov, s’est vu infliger une amende de 1 000 roubles (environ 30 dollars américains). Le parquet a émis un avertissement à l’encontre d’un certain nombre de sites Internet qui avaient reproduit cette image. La populaire agence de presse en ligne Grani.ru a été contrainte de retirer cette image de son site sous peine de sanctions. L’agence a formé un recours contre cette interdiction.

Liberté artistique

À la suite de la condamnation des membres des Pussy Riot, un tribunal de Moscou a donné suite à une requête du parquet et a déclaré que les chansons et les clips du groupe étaient « extrémistes » et devaient être interdits de parution sur les sites Internet.

En décembre 2013, la mairie de Moscou a interdit la projection en avant-première du film Pussy Riot : A Punk Prayer ainsi qu’un débat avec des membres des Pussy Riot qui devaient avoir lieu dans l’un des théâtres de la ville. Les fonctionnaires ont déclaré qu’un théâtre subventionné par l’État ne devait rien à voir à faire avec « des personnes qui suscitent des controverses et dont l’activité se base sur la provocation de la société ».

Fin août 2013, le musée Vlasti (ou « Musée du pouvoir ») a dû fermer ses portes après la saisie par la police d’un tableau représentant le président russe, Vladimir Poutine, et son Premier ministre, Dmitri Medvedev, en sous-vêtements féminins. Les autorités ont argué que l’exposition satirique enfreignait des lois mais elles n’ont pas précisé lesquelles. D’autres peintures satiriques représentant des personnalités de la scène politique passée et actuelle ont également été saisies. Plusieurs autres expositions artistiques à travers la Russie ont également été interdites par les autorités locales, qui les jugeaient propres à soulever des controverses.

Sotchi

Un décret présidentiel entré en vigueur le 23 août 2013 impose des mesures de sécurité spéciales et interdit notamment la tenue de réunions, rassemblements, grèves et manifestations dans un large secteur à l’intérieur et dans les environs de Sotchi. Au début de 2014, le président Poutine a apporté des modifications à ce décret. Des actions publiques, y compris des manifestations de protestation, seront autorisées à Sotchi dans des endroits spécifiquement prévus à cet effet, si elles sont approuvées par l’administration locale, le ministère de l’Intérieur et le Service fédéral de sécurité (FSB). En décembre, il a été rapporté que l’unique endroit prévu pour des actions publiques sera un parc désert dans un secteur éloigné de la ville.

Certes, la Charte olympique demande certaines restrictions aux manifestations politiques sur les lieux des Jeux, mais il est à craindre que dans le cas présent elles ne dépassent les limitations minimales requises et ne servent qu’à restreindre plus généralement les mouvements de protestation à travers toute la ville.

Entre le 31 octobre et le 2 novembre, deux journalistes norvégiens qui devaient couvrir les préparatifs à Sotchi ont été à plusieurs reprises arrêtés et menacés d’emprisonnement par les autorités. Des fonctionnaires les ont interrogés sur leurs projets à Sotchi, leurs sources, leur vie personnelle, leur niveau d’études et leur croyance religieuse. Ils n’ont pas été autorisés à contacter l’ambassade de Norvège à Moscou.

Dans la région voisine du Caucase du Nord, de nombreuses opérations de sécurité se sont caractérisées par des disparitions forcées, des placements illégaux de personnes en détention au secret parce qu’elles étaient soupçonnées d’appartenir à des groupes armés, et des exécutions extrajudiciaires présumées.

Des cas de torture et autres mauvais traitements ont été signalés à travers toute la Russie, mais surtout dans le Caucase du Nord dans le cadre de poursuites contre des suspects de droit commun.

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