Communiqué de presse

Deux ans après, l’étau se resserre sur les libertés fondamentales au Bélarus

Le 19 décembre 2010, à la suite du scrutin ayant vu la réélection d’Alexandre Loukachenko pour un quatrième mandat à la tête du Bélarus, 30 000 manifestants se sont rassemblés dans le centre de Minsk pour réclamer la tenue d’un deuxième tour.

Cette manifestation, la plus importante jamais connue dans le pays, s’est déroulée sans violence jusque l’irruption, vers 22 heures, d’un groupe de jeunes hommes armés (des provocateurs estime-t-on généralement) qui ont incité la foule à s’en prendre au siège du gouvernement et ont commencé à briser des fenêtres.

Arrivée sur les lieux peu après, la police antiémeutes a dispersé brutalement les personnes présentes. De nombreux manifestants et de simples badauds ont été frappés.

Plus de 700 personnes, essentiellement des citoyens qui s’exprimaient pacifiquement ou n’étaient même pas impliqués dans la contestation, ont été arrêtées.

La plupart ont été inculpées de violation de la réglementation relative aux rassemblements publics et condamnées à des peines de 10 à 15 jours d’emprisonnement.

Toutefois, six des sept candidats de l’opposition à l’élection présidentielle, plusieurs journalistes de premier plan et des militants de l’opposition ont été inculpés d’infractions pénales (« organisation de troubles de grande ampleur » et « violations graves de l’ordre public », notamment) et condamnés à des peines allant jusqu’à six années d’emprisonnement.

Deux ans plus tard, six personnes sont toujours détenues en prison ou en camp de travail en raison de leur participation à ces événements. D’autres restent sous le coup d’une peine avec sursis et vivent sous surveillance, sans pouvoir se déplacer à leur guise. Certaines enfin sont en exil.

Les personnes incarcérées sont détenues dans des conditions qui s’apparentent à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Andreï Sannikov, candidat à l’élection pour le mouvement Bélarus européen, a été remis en liberté en avril 2012 à la suite d’une grâce présidentielle.

Il a indiqué qu’il avait été soumis pendant sa détention à des pressions constituant des actes de torture.

« Ils s’efforcent de ne pas vous toucher physiquement, mais vous imposent des conditions extrêmes », a-t-il expliqué.

Il a été détenu à l’isolement sous la surveillance d’une caméra vidéo 24 heures sur 24. Il s’est en outre vu infliger des périodes de détention en cellule disciplinaire – y compris une fois où la température n’excédait pas 8 °C environ et où on lui a confisqué ses vêtements chauds.

Andreï Sannikov a par ailleurs expliqué que les gardiens cherchaient à l’isoler des autres prisonniers : « Ils créent le vide autour de vous. Ils sanctionnent les gens qui vous parlent, ce qui vous culpabilise. »

Une autre forme de torture psychologique consiste à soumettre les prisonniers à de fréquents transferts d’un établissement à un autre. Pendant ces déplacements, les détenus sont enfermés durant de longues périodes dans des wagons de chemin de fer ou des cellules de détention temporaire. Ils risquent de subir des menaces et des intimidations de la part d’autres prisonniers.

Zmitser Bandarenka a été incarcéré durant 16 mois en détention provisoire puis en colonie pénitentiaire avant d’être remis en liberté à la faveur d’une grâce présidentielle en avril 2012. Il avait été condamné pour avoir marché dans la rue pendant la manifestation, et a dû également payer une amende de 40 dollars des États-Unis pour avoir interrompu le service des bus pendant cette marche.

Zmitser Bandarenka évoque un régime de menaces constantes : « Les menaces de viol étaient permanentes. On me disait : “Tu vas devenir un petukh” (détenu au bas de l’échelle dans la hiérarchie des prisons, utilisé pour des services sexuels). [...] La tension était constante. [...] En moi-même, je me préparais à mourir. »

Zmitser Dachkevitch, un dirigeant du Front de la jeunesse, a été condamné à deux ans d’emprisonnement le 24 mars 2011. Il a été soumis à de multiples transferts, durant parfois 10 jours et effectués sans que son avocat soit informé de son sort.

Des militants de l’opposition sont toujours sous le coup de peines avec sursis pour leur participation aux événements. Le poète et linguiste Alexandre Feduta, qui travaillait dans l’équipe de campagne du candidat de l’opposition Vladimir Nekliaïev, a été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour des « actes ayant gravement troublé l’ordre public ».

Il n’était toutefois aucunement présent lors de la manifestation, étant alors chargé de garder le bureau de campagne.

Pendant sa détention provisoire, Alexandre Feduta a passé 55 jours à l’isolement dans le tristement célèbre centre du KGB Amerikanka, à Minsk.

« Il y a des choses qui m’ont aidé. En détention à l’isolement, il faut que vous parliez à quelqu’un, et vous imaginez des personnes à qui parler. Moi, j’ai écrit des lettres à ma femme, et je lui ai écrit de la poésie. »

Alexandre Feduta vit aujourd’hui sous surveillance constante ; il n’est pas autorisé à voyager.

« C’est très difficile de savoir que l’on n’est pas libre. Avant, cela restait théorique : vous pouvez vivre dans un pays qui n’est pas libre, mais vous savez que vous pouvez prendre l’avion et partir à Londres ou à Moscou. Maintenant, je sais que je ne peux pas faire ça et l’idée d’un pays qui n’est pas libre est devenue très concrète. »

Les personnes sous le coup d’une condamnation avec sursis sont susceptibles d’être incarcérées si elles reçoivent plus de deux avertissements pour violation des conditions de leur peine.

Alexandre Feduta a déjà été averti une fois, après s’être rendu en Russie pour s’inscrire en doctorat à l’université de Tver.

Nikolaï Statkevitch, candidat indépendant de l’opposition à l’élection présidentielle, a été condamné à six ans de travaux forcés le 26 mai 2011 pour « organisation de troubles de grande ampleur ». Il est toujours incarcéré.

En janvier 2012, il a été transféré de la colonie pénitentiaire n° 17, à Shklou, où il travaillait dans une scierie, à la prison n° 4 de Mahiliou, où un régime plus strict est en vigueur. La raison avancée de ce transfert est qu’il aurait enfreint le règlement de la colonie pénitentiaire.

Les autorités ont également affirmé que Nikolaï Statkevitch était violent et qu’il pouvait chercher à s’évader. Il a été placé en cellule disciplinaire du 6 au 16 juillet 2012, au motif qu’il aurait refusé de demander une grâce présidentielle.

Son épouse, Marina Adamovitch, est autorisée à lui rendre une visite de quatre heures une fois par an. Elle a également le droit de recevoir de lui un appel téléphonique par mois.

« Je vis dans l’attente de ces coups de fil, mais ils me prennent toujours par surprise », a-t-elle déclaré.

« La dernière fois, l’avocat m’avait prévenue, mais ça a tout de même été un choc. Nous parlons de choses sans importance – il s’efforce de me dire que tout va bien, ou bien il essaie de me faire passer des informations importantes pour d’autres détenus. [...] L’émotion me submerge, c’est une joie immense. »

Amnesty International continue de réclamer la remise en liberté sans condition de Nikolaï Statkevitch, Pavel Seviarynet, Edouard Lobov et Zmitser Dachkevitch, qui purgent des peines d’emprisonnement prononcées dans le cadre de procès liées aux événements du 19 décembre 2010.

L’organisation demande au Bélarus de modifier son Code pénal pour y introduire le crime de torture, et de créer un mécanisme indépendant de surveillance des lieux de détention.

Elle demande également aux autorités de lever toutes les restrictions pesant sur les personnes condamnées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion.

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