Communiqué de presse

Égypte. Des chrétiens boucs émissaires après la dispersion de rassemblements pro-Morsi

Un rapport détaillé d’Amnesty International sur les attaques qui ont visé les communautés coptes en août fait apparaître à quel point les services de sécurité manquent à leur devoir de protéger ce groupe minoritaire.

Ce nouveau rapport, publié mercredi 9 octobre 2013, se penche sur les événements survenus pendant les attaques sectaires sans précédent qui ont fait suite à la dispersion de deux rassemblements pro-Morsi au Caire, le 14 août.

Il raconte en détail que les forces de sécurité ne sont pas intervenues pour empêcher des foules en colère de s’en prendre et de mettre le feu à des églises, à des écoles et à des bâtiments associatifs coptes, dont certains ont été entièrement détruits. Au moins quatre personnes ont été tuées.

« Il est extrêmement troublant qu’à travers toute l’Égypte la communauté chrétienne ait été prise à partie par des sympathisants du président destitué Mohamed Morsi qui voulaient se venger pour les événements du Caire », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« À la lumière des attaques qui avaient déjà eu lieu auparavant, surtout depuis la destitution de Morsi le 3 juillet, il aurait fallu anticiper les représailles contre les coptes. Pourtant, les forces de sécurité n’ont pas empêché les attaques et ne sont pas intervenues pour faire cesser les violences. »

Amnesty International enjoint les autorités égyptiennes d’ouvrir une enquête indépendante et impartiale sur ces attaques sectaires et de prendre immédiatement des mesures pour empêcher qu’elles ne se reproduisent. Il faut mettre en place et appliquer une stratégie exhaustive visant à combattre les discriminations envers les minorités religieuses. Les lois et politiques discriminatoires doivent être abrogées et annulées.

« Ne pas poursuivre en justice les responsables présumés de ces attaques équivaut clairement à dire que les coptes et les autres minorités religieuses sont des cibles légitimes. Les autorités doivent veiller à ce qu’il soit parfaitement clair que des attaques sectaires ne seront en aucun cas tolérées », a ajouté Hassiba Hadj Sahraoui.

Au lendemain du 14 août, plus de 200 propriétés appartenant à des chrétiens ont été attaquées et 43 églises ont été sérieusement endommagées à travers le pays.

Un copte du gouvernorat de Fayoum a fait part de sa consternation devant les violences : « Pourquoi, quand il y a un problème, les chrétiens en font-ils toujours les frais ? Qu’est-ce que nous avons à faire avec les événements du Caire pour être punis ainsi ? »

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue sur les lieux des violences d’Al Minya, de Fayoum et du Grand Caire pour recueillir des éléments auprès de témoins, de responsables locaux et de dirigeants religieux.

À plusieurs reprises les habitants ont déclaré que des foules d’hommes en colère équipés d’armes à feu, de barres de fer et de couteaux ont mis à sac des églises et des propriétés appartenant à des chrétiens. En lançant leurs attaques, plusieurs criaient des slogans tels que « Allah est grand » ou vitupéraient « chiens de chrétiens » ou des expressions analogues.

Des objets à valeur historique et des reliques ont été profanés. Parmi les graffiti gribouillés sur les murs on pouvait lire entre autres « Morsi est mon président » et « Ils ont tué nos frères pendant la prière ».

Ces messages laissent peu de place au doute quant à la nature sectaire des attaques. Ils témoignent en outre d’un lien évident entre ces événements et la répression contre les sympathisants de Morsi au Caire. Les attaques étaient souvent précédées d’incitations émanant de mosquées locales et de dirigeants religieux.

« Étant donné qu’il s’agissait de représailles à la répression des rassemblements pro-Morsi, les dirigeants des Frères musulmans se sont exprimés trop peu et trop tard, accusant des “voyous“ et faisant bien la différence entre leurs sympathisants et les attaquants, a dit Hassiba Hadj Sahraoui. Ils doivent condamner les actes de leurs sympathisants et les exhorter à ne pas se livrer à des agressions ni à des propos sectaires. »

À Al Minya, où ont eu lieu la plupart des attaques, selon un journaliste témoin de scènes de violence, Zeinab Ismail, les agresseurs étaient armés de machettes et d’épées.

Quelques personnes ont été agressées chez elles. Le corps d’un copte de 60 ans abattu chez lui dans le village de Delga, à Al Minya, a plus tard été traîné dans les rues par un tracteur. Après qu’il a été enterré, sa tombe a été profanée à deux reprises.

« Toute éventuelle enquête devra aussi se pencher sur le rôle des forces de sécurité. Certains épisodes ont duré plusieurs heures et se sont répétés les jours suivants, a dit Hassiba Hadj Sahraoui. Pourquoi les forces de sécurité n’ont-elles pas pu empêcher et arrêter ces attaques ? »

L’Égypte a derrière elle un lourd passé de violences et de discrimination contre les coptes. Plusieurs attaques ont eu lieu sous Hosni Mubarak, le régime militaire et Mohamed Morsi.

La sortie du nouveau document d’Amnesty International coïncide avec le deuxième anniversaire d’une sanglante répression des forces armées qui, le 9 octobre 2011, s’est abattue sur des manifestants devant le bâtiment de la télévision d’État au Caire, appelé Maspero. Ce jour-là, 26 coptes et un musulman avaient été tués.

L’impunité pour ces attaques est établie. En ce qui concerne celle qui a eu lieu devant le bâtiment Maspero, seuls trois soldats ont été condamnés à des peines d’une à trois années d’emprisonnement pour homicide involontaire.

Jusqu’à présent, les « séances de réconciliation » – la méthode de prédilection des autorités pour la solution des conflits sectaires en Égypte – n’ont fait que conforter les sentiments d’injustice des communautés minoritaires, autorisant les auteurs à circuler librement. Au lieu de cela, il faut mettre en place des mécanismes qui protègent les minorités religieuses et garantissent leurs droits.

« Pendant trop longtemps les chrétiens d’Égypte ont été les principales victimes de la violence sectaire. Cette passivité de la part des autorités doit changer », a dit Hassiba Hadj Sahraoui.

« Les paroles condamnant les actes doivent être accompagnées de mesures concrètes de protection des minorités religieuses. L’État doit garantir pleinement réparation, y compris une indemnisation financière, aux victimes d’attaques sectaires. Il faut donner la priorité à la reconstruction des lieux de culte et faire tomber sans tarder les obstacles juridiques à la construction d’églises. À défaut de mesures concrètes de cet ordre, les coptes auront encore une fois servi de prétexte pour des règlements de comptes politiques.  »

Informations complémentaires

Les gouvernements qui se sont succédé ne se sont pas employés à résoudre le problème de la discrimination et des attaques visant spécifiquement les minorités religieuses en Égypte. Sous le régime du président Hosni Moubarak, on a recensé au moins 15 attaques de grande ampleur ciblant des coptes. Après sa chute, des affrontements sectaires ont continué à tuer sous le régime du Conseil suprême des forces armées, et la situation ne s’est pas améliorée sous Mohamed Morsi. Les attaques contre les coptes ont continué et un discours antichrétien s’est développé. Les communautés chrétiennes se heurtent depuis des décennies à des obstacles juridiques et bureaucratiques lorsqu’elles veulent construire ou restaurer leurs lieux de culte.

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