Ismail al Iskandrani est l’un des rares journalistes égyptiens qui ont continué de critiquer les opérations militaires dans le nord du Sinaï, faisant fi du silence médiatique que les autorités tentaient d’imposer dans la région. Au titre du droit égyptien, la durée maximale de la période de détention précédant le procès est fixée à deux ans, ce qui suscite déjà de vives préoccupations en termes de droits humains.
« Ismail al Iskandrani n’aurait jamais dû être arrêté, car il n’a fait qu’exercer pacifiquement son droit à la liberté d’expression. Les juges qui examinent sa détention provisoire bafoueraient le droit égyptien et international s’ils décidaient de prolonger sa détention inique, a déclaré Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« La détention d’Ismail al Iskandrani illustre la censure répressive imposée aux médias dans le nord du Sinaï, où les journalistes et les chercheurs sont en butte aux menaces et aux intimidations lorsqu’ils osent révéler ce qui se passe sur le terrain. Les autorités égyptiennes font tout ce qui est en leur pouvoir pour soustraire les violations commises par les forces de sécurité à l’examen de la presse et des organisations de défense des droits humains. »
Le 29 novembre 2015, l’Agence de sécurité nationale du ministère de l’Intérieur a arrêté Ismail al Iskandrani, de retour de Berlin, à l’aéroport d’Hurghada. Des policiers l’ont interrogé sur ses voyages dans différents pays et ont fouillé son ordinateur portable.
Le service du procureur général de la sûreté de l’État l’a interrogé le 1er décembre 2015 sur ses opinions concernant la situation politique en Égypte, notamment sur les événements qui se déroulent dans le nord du Sinaï, et a fouillé ses comptes sur les réseaux sociaux, ses courriels et son ordinateur portable. Il a ordonné son placement en détention pour « appartenance à une organisation interdite », les Frères musulmans, et « publication de fausses informations et nouvelles ».
L’avocat Mohamed Eissa du Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, qui a assisté Ismail al Iskandrani lors de tous ses interrogatoires, a déclaré à Amnesty International que les procureurs n’ont fourni aucune preuve permettant de justifier sa détention, en dehors de ses opinions politiques et de son travail journalistique.
Le journalisme indépendant dans le collimateur
Journaliste d’investigation, Ismail al Iskandrani – qui collabore à des journaux en ligne comme Mada Masr et Assafir Al Arabi – a fréquemment travaillé sur les affrontements armés entre les forces de sécurité et les groupes armés dans le nord du Sinaï, et sur les répercussions des violences politiques sur les habitants et les membres des forces de sécurité.
Amnesty International estime que sa détention est uniquement motivée par son travail de journaliste sur l’évolution de la situation dans le Sinaï.
L’armée contrôle étroitement toute couverture médiatique de ses opérations contre les insurgés dans le nord du Sinaï en interdisant l’accès aux journalistes indépendants.
Complément d’information
Au moins 25 journalistes sont actuellement emprisonnés en Égypte pour avoir fait leur travail légitime. Entre janvier et mai 2017, les tribunaux ont condamné au moins 16 journalistes à des peines de prison allant de trois mois à cinq ans, pour des accusations liées uniquement à leurs articles, notamment pour diffamation ou publication de « fausses informations ».
Le Code de procédure pénale égyptien précise que nul, en aucune circonstance, ne doit être maintenu en détention provisoire sans avoir été jugé plus de deux ans. D’après les normes internationales, la détention provisoire doit être utilisée en dernier recours et ne doit pas dépasser une durée raisonnable.
Or, les autorités égyptiennes s’en servent bien souvent de manière prolongée, dépassant fréquemment la limite légale de deux ans, dans le but de sanctionner les dissidents.
En octobre, un juge a renouvelé la détention provisoire du défenseur des droits humains Hisham Gaafar, alors qu’il était emprisonné depuis plus de deux ans.
Le photojournaliste Mahmoud Abu Zeid, alias « Shawkan », se trouvait en détention provisoire depuis plus de deux ans lorsque son procès pour diverses inculpations fallacieuses s’est ouvert en 2016. Depuis, il a été maintenu en détention pendant les deux années supplémentaires de son procès, tout comme 738 accusés, sans qu’aucune condamnation ne soit prononcée.