Égypte : il faut cesser de prendre les ONG en otage

Les autorités égyptiennes doivent abroger une loi adoptée sous Hosni Moubarak qui est utilisée pour engager des poursuites contre la société civile, et doivent veiller à ce que la loi prévue pour la remplacer respecte le droit à la liberté d’association, a déclaré Amnesty International mardi 7 février 2012.

Cet appel survient à la suite de l’annonce, lundi 6 février, du renvoi devant un tribunal de 43 personnes dans le cadre d’une enquête sur le financement et l’enregistrement des organisations non gouvernementales (ONG).

Amnesty International a demandé que les charges retenues contre ces personnes, qui s’appuient sur des lois égyptiennes répressives concernant l’enregistrement et les financements étrangers des organisations de la société civile, soient abandonnées.

« Dans leur tentative désespérée de faire croire à leurs histoires de complots venus de l’étranger, les autorités ont fait des associations internationales leurs nouveaux boucs émissaires », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les organisations égyptiennes de défense des droits humains attendent aujourd’hui dans la crainte que ce ne soit bientôt leur tour. »

Parmi les personnes renvoyées devant la justice le 6 février figurent 14 Égyptiens, ainsi que des ressortissants américains, allemands et serbes, semble-t-il membres du personnel de cinq organisations : l’Institut démocratique national (NDI) basé aux États-Unis, l’Institut républicain international (IRI), le Centre international pour les journalistes (ICFJ), Freedom House (FH), et la Fondation Konrad Adenauer, basée en Allemagne.

Toute personne reconnue coupable de violation de la draconienne Loi relative aux associations (Loi n° 84 de 2002) encourt jusqu’à un an de prison et/ou une lourde amende. En janvier, les autorités ont annoncé un projet de loi destiné à la remplacer, qui imposerait à la société civile des restrictions encore plus sévères.

Aux termes de la loi actuelle, les ONG doivent se déclarer auprès du ministère de la Solidarité et de la Justice sociale et demander l’autorisation de recevoir et d’utiliser des fonds en provenance de l’étranger. Le ministère a le droit de refuser de les enregistrer.

L’enregistrement d’organisations qui veulent mener des activités politiques ou syndicales n’est pas permis. Une fois une organisation enregistrée, le ministère de la Solidarité et de la Justice sociale a sur elle de vastes pouvoirs, notamment celui de la dissoudre. Pour les ONG internationales, il semble que la pratique ait été une inscription obligatoire auprès du ministère des Affaires étrangères.

Le 29 décembre 2011, les autorités égyptiennes ont fait des descentes surprises dans 17 bureaux utilisés par des ONG, dont le NDI, l’IRI, FH et un certain nombre d’organisations nationales. Des magistrats du parquet, accompagnés de militaires et de policiers, ont procédé à des perquisitions et ont emporté des documents, des ordinateurs, des équipements, des livres et de l’argent, puis ont mis les bureaux sous scellés.

Parmi les ONG égyptiennes visées par ces perquisitions figuraient, entre autres, le Centre arabe pour l’indépendance du pouvoir judiciaire et des professions juridiques (ACIJLP) et l’Observatoire budgétaire et des droits humains (BHRO).

Le 30 janvier, Nasser Amin, responsable de l’ACIJLP, a été interrogé pendant sept heures ; il était accusé d’avoir créé une antenne d’une ONG étrangère et reçu des financements de l’étranger sans autorisation. Un membre du BHRO aurait aussi été interrogé à propos des financements étrangers de son organisation.

La décision de renvoyer ces personnes devant un tribunal a été prise le 5 février 2012 par deux juges chargés par le ministère de la Justice d’enquêter sur un certain nombre d’ONG accusées d’avoir créé et fait fonctionner des antennes d’organisations internationales sans déclaration et d’avoir reçu des financements étrangers sans l’autorisation des autorités égyptiennes.

Le NDI et l’IRI suivaient tous deux les élections législatives avec l’autorisation des autorités égyptiennes et avaient demandé à être enregistrés auprès du ministère des Affaires étrangères respectivement en 2005 et en 2006. Freedom House avait déposé sa demande d’enregistrement aux termes du droit égyptien trois jours avant les perquisitions.

En novembre 2011, les autorités avaient annoncé que les organisations étrangères qui souhaitaient assister aux élections étaient les bienvenues.

Les juges chargés de l’enquête ont déclaré qu’ils n’avaient pas fini d’examiner cette affaire. On peut s’attendre à ce que d’autres membres du personnel d’ONG soient renvoyés devant un tribunal. En septembre 2011, un journal égyptien avait révélé les conclusions d’une enquête confidentielle du gouvernement selon lesquelles 39 ONG n’étaient pas correctement enregistrées et 28 avaient reçu des financements de l’étranger sans autorisation.

Sur cette liste figuraient des organisations égyptiennes de défense des droits humains travaillant dans des domaines comme la torture, les droits des femmes et le logement, ainsi que le NDI, l’IRI et FH. Depuis le début de l’enquête, de nombreuses ONG ont aussi signalé avoir reçu de leur banque des demandes de renseignements sur leurs financements provenant de l’étranger.

Beaucoup pensent que la répression est menée par la ministre du Plan et de la Coopération internationale, Fayza Aboul Naga. Celle-ci s’est exprimée mercredi 8 février devant la sous-commission des droits humains du Parlement, critiquant une nouvelle fois le travail des ONG. Le 1er janvier 2012, elle avait tenu une conférence de presse commune avec le ministre de la Justice, au cours de laquelle tous deux s’en étaient pris violemment aux organisations égyptiennes et internationales de défense des droits humains qui mènent des activités en Égypte ou reçoivent des financements sans autorisation gouvernementale, en violation de la Loi relative aux associations.

Cette loi a été critiquée à maintes reprises pendant des années par les organes de suivi des traités de l’ONU chargés de surveiller le bilan de l’Égypte en matière de droits humains.

En janvier, les autorités ont annoncé que la Loi relative aux associations allait être remplacée par une nouvelle loi, et ont donné 15 jours aux ONG pour faire leurs commentaires sur le projet, en précisant que la question des financements étrangers était un point incontournable qui ne souffrirait aucun compromis.

« Le Parlement égyptien pourrait, d’une seule mesure, mettre un terme à la longue guerre des autorités contre la société civile », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« En abrogeant cette loi, il affranchirait un peu plus l’Égypte du sombre héritage d’Hosni Moubarak. »

Les ONG égyptiennes ont unanimement rejeté ce projet de loi. En effet, la nouvelle loi donnerait encore plus de pouvoirs aux autorités, et leur permettrait de décider si les activités d’une organisation sont acceptables au sens qu’elles « ne menacent pas l’unité nationale, ne portent pas atteinte à l’ordre public ou à la morale, et n’incitent pas à la discrimination ».

Elle éliminerait également la possibilité pour les associations d’échapper à ces restrictions en se déclarant en sociétés, elle maintiendrait les restrictions concernant les financements en provenance de l’étranger, et elle limiterait encore davantage la liberté des organisations étrangères en Égypte. Toute infraction à cette loi serait passible de peines pouvant aller jusqu’à un an de prison et d’amendes s’élevant à plusieurs milliers de livres égyptiennes (plusieurs centaines d’euros).

La société civile égyptienne a donc rejeté ce projet, et une coalition d’organisations a rédigé sa propre proposition de loi.

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