ÉRYTHRÉE : Détention prolongée de prisonniers d’opinion et nouvelles arrestations de membres de groupes religieux

Index AI : AFR 64/004/2003

À l’occasion du deuxième anniversaire de leur arrestation, Amnesty International exhorte le gouvernement érythréen à libérer 11 députés et 10 journalistes, maintenus en détention sans avoir été jugés ni même inculpés. Ce sont des prisonniers d’opinion, incarcérés uniquement pour avoir exprimé leurs opinions non violentes.
« Bien que leur détention soit manifestement illégale et bafoue les protections des droits humains inscrites dans la Constitution, le gouvernement continue de balayer toute critique », a déclaré Amnesty International.
Le gouvernement érythréen a systématiquement refusé d’indiquer le lieu où ces personnes sont détenues et d’autoriser les familles à leur rendre visite. Trois des prisonniers étaient souffrants lors de leur arrestation et leur santé suscite des inquiétudes, surtout s’ils n’ont pas été autorisés à bénéficier de soins médicaux.
« Dans l’immédiat, leurs familles doivent tout au moins être autorisées à leur rendre visite régulièrement, afin de s’assurer qu’ils sont sains et saufs et ne sont pas maltraités », a insisté l’organisation de défense des droits humains.
Quelques centaines d’opposants et de détracteurs du gouvernement, dont des enfants et des filles, ont été interpellés depuis la grande vague de répression qui a déferlé sur la dissidence pacifique et le mouvement de réforme démocratique émergent, il y a deux ans, le 18 septembre 2001.
Dans le cadre d’une nouvelle répression du droit à la liberté d’opinion et de croyance, une autre vague d’arrestations a récemment pris pour cibles les adeptes de certains groupes religieux. En outre, les interpellations se poursuivent à l’encontre des personnes qui refusent d’effectuer leur service militaire ou désertent.
« Les arrestations généralisées et persistantes de prisonniers d’opinion, notamment d’opposants politiques pacifiques et de fidèles de groupes religieux, et leur maintien en détention secrète et illégale sans inculpation, mettent en évidence une politique gouvernementale qui se traduit par un mépris général de l’état de droit, de la Charte internationale des droits de l’homme inscrite dans la Constitution adoptée en 1997, ainsi que des traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains que l’Érythrée a signés ou ratifiés, a affirmé Amnesty International.
« Faut-il en déduire que la protection des droits humains élémentaires ne veut pas dire grand-chose en Érythrée ? Le gouvernement doit agir de toute urgence et libérer tous les prisonniers d’opinion. Les autres prisonniers politiques doivent bénéficier de procès équitables sans plus tarder ; la détention secrète, la torture et les " disparitions " doivent cesser ; et les dispositions relatives au service national doivent être révisées afin d’inclure le droit à l’objection de conscience. »

Complément d’information

Députés derrière les barreaux. Les 11 députés maintenus en détention étaient tous des figures de proue de la lutte pour l’indépendance menée par le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), aujourd’hui au pouvoir, aux côtés du président Issayas Afeworki. Parmi eux figurent l’ancien vice-président et ministre des Affaires étrangères, Mahmoud Ahmed Sheriffo, deux autres anciens ministres des Affaires étrangères, Haile Woldetensae et Petros Solomon, et l’ancien chef des armées, Ogbe Abraha. Ils avaient pris la tête d’un nouveau mouvement en expansion, qui réclamait des réformes démocratiques et un système politique multipartite avec des élections libres et équitables.
Journalistes maintenus en détention. Après avoir publié les thèses des députés réformateurs, et parallèlement au placement en détention de ces députés, la presse indépendante a été totalement interdite. Dix rédacteurs en chef et journalistes de premier plan et ne mâchant pas leurs mots ont également été incarcérés.
Dans un premier temps, les 10 journalistes ont été détenus au vu et au su de tous. Toutefois, lorsqu’ils ont entamé une grève de la faim, ils ont eux aussi été conduits vers des lieux de détention secrets (fort nombreux en Érythrée). Depuis lors, personne ne les a revus ni n’a eu de leurs nouvelles. Parmi les journalistes détenus figurent Fessahaye « Joshua » Yohannes, vétéran du FPLE et poète, Medhanie Haile, avocat, et Seyoum Tsehaye, ancien directeur de la télévision publique érythréenne. Trois autres journalistes des médias étatiques ont été plus tard incarcérés, dont l’un en 2000. Quant à Aklilu Solomon, reporter pour la station de radio basée aux États-Unis Voice of America, il a été placé en détention et appelé une nouvelle fois sous les drapeaux en juillet 2003, bien qu’il détienne apparemment un certificat médical d’exemption. Cela porte à 15 le nombre de journalistes actuellement placés en détention secrète.

Nouvelles arrestations, notamment de conscrits et de rapatriés. Les arrestations du 18 septembre 2001 ont été suivies de nouvelles vagues d’opposants et de détracteurs, particulièrement dans la fonction publique et l’armée. Certains avaient publiquement appelé au changement, d’autres semblaient être détenus pour avoir critiqué le gouvernement lors de discussions privées. Au sein de l’armée, les placements en détention ont été nombreux.
En Érythrée, le service national pour les hommes et les femmes âgés de dix-huit à quarante ans dure officiellement dix-huit mois (six mois d’entraînement militaire et 12 mois de service de développement) ; mais dans la pratique il se prolonge indéfiniment. Le droit à l’objection de conscience n’est pas reconnu. La conscription est devenue la première cause de fuite des demandeurs d’asile.
Plus de 200 Érythréens, pour la plupart des déserteurs, ont été renvoyés de force par Malte à la fin de l’année 2002 ; personne ne les a revus depuis. Actuellement détenus à Malte et en Libye, d’autres courent le risque d’être renvoyés. D’autres encore ont vu leur demande d’asile rejetée au Royaume-Uni ou ailleurs et craignent d’être rapatriés en Érythrée.

Persécutions religieuses. Les persécutions religieuses se sont encore intensifiées au cours des derniers mois, bien que le gouvernement se soit prononcé en faveur du respect des garanties de la liberté religieuse inscrites dans la loi et la Constitution. Le 7 septembre, 12 membres de l’Église érythréenne de Béthel, dont deux enfants, ont été interpellés lors d’une réunion de prière organisée à Asmara. Les 19 et 20 août, plus de 200 adolescents scolarisés assistant à un cours de vacances à la caserne militaire de Sawa, conformément aux nouvelles dispositions sur l’éducation, ont été battus parce qu’ils possédaient des bibles. Vingt-sept filles et 30 garçons seraient toujours incarcérés au secret dans des conteneurs d’expédition surpeuplés, où règne une chaleur étouffante, et ne recevraient pas une nourriture ni des soins médicaux suffisants.
Début 2003, sans qu’aucun motif ne soit invoqué, plusieurs centaines de fidèles d’une dizaine d’Églises chrétiennes minoritaires ont été appréhendés, puis torturés et maintenus en détention sans inculpation des semaines durant. Trois témoins de Jéhovah sont incarcérés depuis neuf ans, parce qu’ils ont refusé d’effectuer leur service militaire en raison de leurs croyances religieuses. En mai 2002, les autorités ont fait fermer toutes les Églises minoritaires et leur ont ordonné de recenser leurs membres, de livrer des informations les concernant et de communiquer toute information sur les financements étrangers (la plupart de ces Églises ont nié en recevoir). Actuellement, quelque 250 fidèles sont emprisonnés dans des conditions pénibles, dont près de 80 conscrits.
En outre, des dizaines de Musulmans sont détenus au secret depuis 1995, car ils sont soupçonnés d’entretenir des liens avec des groupes armés d’opposition islamistes.

Détentions prolongées et « disparitions ». Depuis l’indépendance, on a signalé des détentions au secret, pour des durées indéterminées et dans des lieux inconnus, sans inculpation ni aucun caractère légal. Elles sont devenues la norme pour lutter contre les opposants politiques, les sympathisants de partis politiques en exil ou les partisans de groupes armés d’opposition. Au fil du temps, il apparaît clairement que nombre d’entre eux ont « disparu » ; on redoute qu’ils n’aient été victimes d’exécutions extrajudiciaires.
Par ailleurs, selon certaines allégations, des prisonniers de guerre éthiopiens ont été exécutés secrètement, comme le colonel Bezabih Petros. Ce pilote de l’armée de l’air avait été fièrement montré à la télévision après que son avion avait été abattu au-dessus d’Asmara, au cours du conflit qui a opposé l’Érythrée à l’Éthiopie de 1998 à 2000. Le gouvernement érythréen a récemment reconnu sa mort devant la Commission chargée d’examiner les plaintes relatives à la guerre de La Haye, mais sans donner de détails sur cet éventuel crime de guerre. Le gouvernement avait longtemps refusé de communiquer une quelconque information sur la « disparition » du colonel Bezabih Petros

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