Munira al Hamwi s’exprime au sujet de sa fille Razan Zaitouneh, écrivaine syrienne, militante des droits humains et lauréate d’un prix en 2011,qui a été enlevée avec son mari et deux amis à Douma le 9 décembre 2013. Douma fait partie des villes de la région de la Ghouta orientale, à l’est de Damas, dans lesquelles des groupes armés d’opposition sont présents. Les forces gouvernementales ont renforcé leur siège de cette zone en juillet 2013. Selon les Nations unies, 150 000 personnes y vivent et n’ont pas reçu de denrées alimentaires depuis mai 2014.
On m’a demandé d’écrire au sujet de ma fille, Razan Zaitouneh. Je ne suis ni journaliste, ni écrivaine, mais je vais écrire ce qui me vient à l’esprit. Je ne vais pas parler du travail de Razan ou de ce qu’elle a réalisé, comme l’ont déjà fait beaucoup d’autres personnes.
Je n’oublierai jamais ces moments, au début du soulèvement en Syrie, où elle s’est faite discrète afin d’éviter une arrestation. Elle ne sortait de chez elle que la nuit et déguisée. Quand elle me manquait, j’essayais de la retrouver en secret. Je lui ai conseillé à maintes reprises de quitter le pays et de se rendre à l’étranger, comme certains de ses amis. Elle hochait la tête avec un sourire triste et répondait : « Je ne quitterai pas mon pays. » Je rentrais alors chez moi attristée et priait désespérément pour que Dieu la sauve et la protège, en attendant avec impatience de la revoir. J’ai été choquée lorsqu’elle m’a annoncé qu’elle envisageait d’aller s’installer dans la Ghouta orientale. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu :
« Mère, c’est une zone sûre […]. J’y vivrai en sécurité et pourrai me déplacer librement, et je ne serai plus menacée par quiconque. »
Malgré ma peine face à sa décision, qui signifiait que je ne pourrais plus la voir à partir de ce jour, je voulais que sa vie soit stable et sûre donc j’ai accepté cette décision pour sa sécurité.
Après son arrivée sur place, nous communiquions par Skype – chaque fois, elle essayait de me donner l’impression qu’elle était bien, mais mon cœur me disait le contraire. Je parlais souvent de mes craintes à son père mais, comme toujours, elle se taisait pour nous empêcher de nous inquiéter.
Lorsque le siège de la Ghouta orientale s’est intensifié et que les gens ont manqué de pain et d’autres denrées alimentaires, je m’inquiétais constamment pour elle – je lui demandais si elle avait du pain, si elle avait à manger. Elle me répondait : « Ne t’inquiète pas, maman chérie ». Quand j’ai insisté, elle a ri avant d’admettre finalement :
« J’aimerais avoir des bonbons ou du chocolat. Ni moi, ni les enfants du quartier n’en avons mangé depuis très longtemps. »
Le lendemain, je me suis rendue rapidement au marché et je lui ai acheté toutes sortes de chocolats – j’en ai acheté beaucoup car je savais qu’elle ne les mangerait pas toute seule et en distribuerait la plupart à son entourage. Je lui ai également acheté des médicaments car elle se plaignait de rougeurs sur les mains. J’ai aussi acheté des médicaments à son mari, Wael, car il souffrait de douleurs au ventre, et quelques autres articles demandés par son amie Samira.
Bien sûr, j’ai acheté toutes ces choses en souhaitant et en priant Dieu pour trouver quelqu’un qui pourrait les lui remettre. La région était assiégée – les routes sont fermées et il n’y avait aucun moyen d’y entrer ou d’en sortir, mais on me promettait toujours que nous trouverions une personne de confiance qui pourrait y parvenir.
Le lendemain matin, il y a un an maintenant, je me suis réveillée en apprenant que ma fille avait été enlevée avec son mari et deux amis, Samira et Nazem. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais, je pensais qu’il y avait une confusion, mais malheureusement cette nouvelle était vraie. Je me suis sentie comme si un étau se resserrait autour de moi. Je ne pouvais pas pleurer ; mon cœur pleurait, mais mes yeux ne versaient pas de larmes. Je sentais une terrible douleur se diffuser dans toutes les parties de mon corps.
Les jours et les mois se sont écoulés tandis que j’attendais en vain. Chaque soir, je m’endors en espérant me réveiller avec de bonnes nouvelles, mais c’est pour l’instant sans résultat. Mes espoirs s’envolent et la dure réalité subsiste. J’ai perdu ma fille dans cette zone libérée où les membres de l’Armée syrienne libre auraient dû être disséminés partout, où j’espérais qu’elle serait en sécurité car leur mission est de protéger les civils en tous lieux et à tout moment. Maintenant, je n’ai pas de solution à ma situation et aucun espoir si ce n’est que Dieu la remettra en sécurité, de même que son mari Wael et ses amis Samira et Nazem.
Que la liberté vienne à eux, ainsi qu’à toutes les personnes portées disparues, enlevées ou détenues, partout.