États-Unis. L’évaluation des conditions de détention à Guantanámo ne répond pas à toutes les préoccupations essentielles en matière de droits humains

DÉCLARATION PUBLIQUE

Index AI : AMR 51/030/2009 -
ÉFAI

Le 22 janvier 2009, le président Barack Obama a signé trois décrets relatifs à la détention et aux interrogatoires. Dans l’un d’eux, il s’engageait à fermer le centre de détention de la base navale américaine de Guantanámo Bay d’ici un an, et ordonnait l’examen immédiat de la situation des quelque 240 prisonniers actuellement détenus dans ce centre afin de déterminer le sort qui devait leur être réservé. Ce décret demandait également au secrétaire à la défense d’entreprendre immédiatement une évaluation des conditions de détention à Guantanámo. Les résultats de cette évaluation ont été rendus publics en février 2009.

Amnesty International a noté que celle-ci recommandait davantage de contacts entre les détenus et d’activités de loisirs, y compris pour les détenus des camps 5 et 6, de haute sécurité. Elle signalait également qu’une cour extérieure avait été récemment créée au camp 6 pour des temps d’exercice collectifs, ainsi qu’une salle de classe, et que d’autres modifications étaient en cours pour offrir à certains détenus des lieux collectifs ouverts.
Ces mesures étaient attendues de longue date, mais il est à craindre que de nombreux détenus ne bénéficient pas de ces « privilèges » – le rapport fait la distinction entre les détenus « conciliants » et les détenus « non conciliants », ces derniers risquant de continuer à rester confinés dans leur cellule vingt-deux heures par jour. D’après les avocats, la plupart des détenus du camp 6 restent en effet enfermés vingt-deux heures par jour dans des cellules individuelles complètement closes, sans fenêtre donnant sur l’extérieur, dans des conditions qu’Amnesty International considère contraires aux normes internationales relatives aux droits humains concernant l’humanité de traitement des détenus.

En outre, Amnesty International craint que certains détenus ne soient considérés comme « non conciliants » pour des incidents mineurs, ou en raison de comportements résultant de plusieurs années d’enfermement dans des conditions cruelles, avec le stress provoqué par le fait d’être détenus pour une durée indéterminée sans inculpation ni procès. Il semble en effet que la plupart des détenus souffrent de graves troubles psychologiques et physiques liés à leurs conditions de détention. Amnesty International considère que tous les détenus doivent pouvoir bénéficier de suffisamment d’exercice et de contacts avec les autres, ainsi que de programmes de réinsertion.

L’organisation déplore par ailleurs que le rapport ne mentionne pas le fait que certains prisonniers arrêtés alors qu’ils étaient mineurs ont été détenus et, pour certains, restent détenus dans des conditions d’isolement, sans possibilité de suivre des programmes de réinsertion ou d’enseignement, ce qui est totalement contraire aux normes internationales.

L’équipe chargée de l’évaluation – qui s’est intéressée uniquement aux conditions actuelles, et non aux violations commises par le passé – a écarté les accusations selon lesquelles des gardiens auraient maltraité des détenus pour les sortir de force de leur cellule (coups et recours abusif à la force) ou les auraient alimentés de force par des moyens inhumains. Or, Amnesty International continue de recevoir des informations faisant état de mauvais traitements, notamment de passages à tabac et de méthodes cruelles d’alimentation forcée. Par exemple, certains détenus ont raconté qu’ils avaient été frappés parce qu’ils refusaient d’être alimentés de force et qu’on leur avait inséré des tubes par le nez sans anesthésie, mais l’équipe chargée de l’évaluation n’a pas étayé ces affirmations.

Le décalage entre d’une part les témoignages des avocats et des détenus eux-mêmes, y compris ceux qui ont été récemment libérés, et d’autre part les conclusions de l’équipe chargée de l’évaluation, qui a interrogé essentiellement les dirigeants et le personnel militaires, souligne la nécessité d’un contrôle indépendant permanent de ce centre de détention, avec notamment une surveillance et un contrôle des enquêtes internes de la police militaire sur les cas de violence, ainsi que la possibilité pour des experts indépendants, comme des médecins et des organismes de défense des droits humains, de se rendre sur place.
Le rapport recommande, entre autres, au gouvernement « de songer à inviter des organisations non gouvernementales et les organisations internationales concernées à envoyer des représentants à Guantanámo ». C’est une recommandation positive, à condition que ces représentants aient réellement la possibilité de s’entretenir avec les détenus en privé et de visiter toutes les parties du centre de détention.

Même s’il est à craindre que, dans la pratique, les améliorations à Guantanámo restent limitées, le rapport d’évaluation contient plusieurs recommandations qui sont les bienvenues et qui, sous réserve qu’elles soient pleinement appliquées, sont conformes à celles du rapport d’avril 2007 d’Amnesty International et iraient dans le bon sens en termes de respect des normes internationales relatives au traitement des détenus. C’est le cas notamment des recommandations concernant le développement des activités collectives, des programmes d’enseignement et des activités de loisirs, ainsi que l’amélioration de la communication avec l’extérieur par des conversations téléphoniques plus fréquentes et des visites des familles. L’équipe a également reconnu les tensions et l’anxiété provoquées chez les détenus par l’incertitude de leur situation, ainsi que l’importance d’établir des relations de confiance entre le personnel médical et les détenus pour leur apporter des soins de qualité. Ces préoccupations doivent se traduire immédiatement par des mesures concrètes afin de changer fondamentalement les conditions de détention de tous les prisonniers de Guantanámo tant que ce centre restera ouvert.

L’équipe chargée de l’évaluation s’est aussi déclarée « extrêmement préoccupée » par le fait que des détenus se trouvaient toujours à Guantanámo malgré les décisions de justice reconnaissant que les États-Unis n’avaient pas été en mesure de prouver leur qualité de « combattants ennemis ». Dans son rapport, elle exhorte le gouvernement à accélérer ses démarches pour renvoyer ces détenus dans leur pays ou leur trouver un pays d’accueil, ce qu’Amnesty International demande depuis longtemps et approuve vivement.

En revanche, l’organisation est préoccupée par l’affirmation de l’équipe chargée de l’évaluation – reprenant une position défendue de longue date par le précédent gouvernement – selon laquelle aucun des prisonniers des camps 5 et 6 n’est détenu « à l’isolement » puisque les cellules permettent une « communication facile » avec les détenus des cellules voisines. Or, selon les témoignages, les détenus ne peuvent en fait communiquer qu’en criant sous la porte d’acier, ou brièvement quand la trappe à nourriture est ouverte ; en outre, ils auraient, au moins par le passé, été punis pour avoir communiqué de cette manière. Amnesty International considère que, selon toute norme sérieuse, détenir quelqu’un dans une cellule complètement fermée pendant la majeure partie de la journée, avec un minimum de contacts humains ou de possibilités d’exercice, constitue un véritable isolement, sans même parler des autres privations, comme l’absence de visites familiales.

L’équipe chargée de l’évaluation a aussi rejeté les affirmations selon lesquelles les détenus étaient incarcérés dans des conditions de privation sensorielle, affirmant, entre autres, qu’ils disposaient amplement de sources de lumière naturelle. Pourtant, aucune lumière directe n’entre semble-t-il dans la plupart des cellules du camp 6, ni même dans certains espaces d’exercice, et certains détenus se plaignent de manière persistante de ne se voir proposer des temps d’exercice que la nuit. Une nouvelle fois, Amnesty International craint que cette définition trop étroite n’aboutisse à faire perdurer la situation actuelle au moins pour certains détenus.

L’équipe a aussi décrit les conditions de détention dans le camp 7, où sont détenus les prisonniers de grande valeur. Elle a reconnu que ceux-ci étaient enfermés dans des cellules ne permettant aucun contact avec l’extérieur, y compris avec les cellules voisines, tout en signalant qu’ils avaient malgré tout droit à quatre heures d’exercice par jour avec un autre détenu. Elle a « fortement » recommandé d’augmenter les contacts entre détenus du camp 7, notamment en leur permettant de communiquer les uns avec les autres dans leurs cellules ; là encore, on ignore combien d’entre eux seront privés de ces contacts parce qu’ils auront été jugés « non conciliants ».

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