États-Unis. Rapport de Jumana Musa, observatrice d’Amnesty International, sur la procédure de comparution devant des commissions militaires à Guantánamo, le 4 juin 2007, dans l’affaire d’Omar Khadr et de Salim Ahmed Hamdan


Document externe

AMR 51/098/2007

Le gouvernement des États-Unis a subi un sérieux revers ce 4 juin dans sa tentative de faire comparaître deux personnes devant les commissions militaires reconstituées. Le gouvernement a reformulé le statut des commissions rejeté par la Cour suprême voilà à peine un an, aux termes des nouveaux textes de loi votés par le Congrès des États-Unis l’an dernier, la Loi sur les commissions militaires (MCA). À la fin de la journée, les chefs d’inculpation ont été rejetés, sans préjudice, dans les affaires d’Omar Khadr et de Salim Ahmed Hamdan.

La tentative avortée du gouvernement des États-Unis pour rendre une justice spéciale a commencé le 13 novembre 2001, quand le président Bush a promulgué un décret militaire établissant des commissions militaires pour juger des ressortissants étrangers capturés dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », décret selon lequel seul le président avait autorité pour décider comment ces personnes seraient détenues et/ou jugées. En juin 2006, la Cour suprême a rejeté cet intitulé, décidant que le président avait abusé de l’autorité que lui accordait le Congrès en construisant son propre système judiciaire, et rejetant les commissions militaires comme non constitutionnelles. L’administration s’est ensuite rendue devant le Congrès et a fait pression pour obtenir le texte auquel le président Bush a donné force de loi par sa signature en octobre 2006 (MCA), créant de nouvelles commissions militaires qui ressemblaient fort à la version précédente, mais avec l’approbation officielle du Congrès cette fois-ci.

Pour l’instant, seules trois personnes ont été inculpées devant le nouveau système de commissions. La première était David Hicks, dont l’affaire s’est close sur une négociation de la peine débouchant sur son retour en Australie, où il purgera le reste de sa peine de neuf mois et sera libre avant 2008. La deuxième était Omar Khadr, un mineur âgé de quinze ans lorsque les forces des États-Unis l’ont placé en détention, et de seize ans lors de son transfert à Guantánamo. L’affaire de Khadr avait commencé devant les précédentes commissions militaires, et il a été inculpé de chefs d’inculpation supplémentaires, aux termes du nouveau système de commissions.

La semaine dernière, quelques jours avant la date prévue de sa comparution, Omar Khadr a renvoyé tous ses avocats des États-Unis, y compris son avocat militaire commis d’office et ses avocats civils. Quand il est apparu devant la commission ce matin, il semblait bien plus âgé que ses vingt ans. Il se déplaçait lentement et son regard semblait éteint, ne trahissant aucune émotion. Sa barbe avait poussé et ses cheveux bouclés étaient longs et épais. Il portait son uniforme ocre et ses tongs de détenu devant la commission.
L’audience du 4 juin n’a pas suivi le cours prévu, selon lequel l’accusé est d’abord informé de son droit à un avocat, puis interrogé pour savoir s’il est satisfait de la manière actuelle dont il est représenté. Cette question ayant obtenu une réponse plusieurs jours avant le début de la comparution, la défense, qui consistait à présent en un avocat militaire qui n’avait pas travaillé avant sur l’affaire et de deux avocats canadiens faisant office de « consultants étrangers de la défense », et à qui les règles de procédure ne permettent pas de plaider devant la commission, a demandé un délai pour établir une relation avec Omar Khadr. La défense a réservé sa plaidoirie pour une date ultérieure, ce qui aurait normalement dû marquer la fin de l’audience.

Cependant, à cet instant, le colonel Peter Brownback, le juge militaire présidant le tribunal dans cette affaire, a soulevé une motion « sua sponte », ce qui signifie qu’il l’a soulevée de sa propre initiative, sans que la défense ou l’accusation n’ait déposé de requête. Le juge a souligné que les règles de la commission militaire établie par le MCA exigeaient qu’une décision judiciaire ait désigné l’accusé comme « combattant ennemi illégal », pour que la commission ait compétence pour juger cette personne. Omar Khadr avait été désigné « combattant ennemi » par un Tribunal d’examen du statut de combattants (CSRT, un organe administratif) en octobre 2004, mais il n’existait aucun élément le désignant comme « combattant ennemi illégal ».

L’accusation a avancé que la désignation du CSRT était suffisamment similaire à celle de la définition du combattant ennemi illégal aux termes de la MCA pour que la commission militaire soit compétente dans cette affaire. L’accusation a également affirmé que la décision du CSRT, conjointement à la note de février 2002 du président Bush concernant le statut général des membres présumés d’al Qaida détenus par les États-Unis, était équivalente à une désignation comme combattant ennemi illégal, que les commissions militaires ont compétence pour juger. Le colonel Brownback a marqué son désaccord.

Peter Brownback a souligné que la commission militaire est un tribunal à compétence limitée. Selon sa déclaration à l’accusation, la définition des personnes pouvant comparaître devant les commissions militaires est à présent établie en droit, dans une loi du Congrès ; or, comme la loi votée par le Congrès établissait une différence entre un combattant ennemi légal et un combattant ennemi illégal, la détermination par le CSRT d’un statut de combattant ennemi était insuffisante pour donner compétence à la commission militaire. Le colonel Brownback a rejeté les chefs d’inculpation sans préjudice, ce qui signifie que des poursuites similaires pourront être engagées à l’avenir. Omar Khadr n’a pas paru réagir, et il est permis de se demander s’il a seulement compris ce qui s’était passé. L’accusation a réservé son droit d’interjeter appel dans les soixante-douze heures.

Après trois heures de pause, la commission s’est de nouveau réunie pour entendre la comparution de Salim Ahmed Hamdan, la première personne à avoir comparu devant une commission militaire aux termes de l’ancien système. Sa première comparution devant une commission militaire a eu lieu en août 2004, il y a presque trois ans. Il était alors apparu plein d’espoir, comme si cette nouvelle procédure pouvait résoudre son affaire. Cette fois-ci, il semblait fatigué et réservé. Il est apparu devant le tribunal vêtu de la robe/chemise longue traditionnelle, avec une veste de sport en tweed et un couvre-chef de style yéménite. Malgré son maintien plus défait qu’optimiste, il semblait cependant concerné par la procédure.

L’audience a commencé par suivre les remarques préétablies, Hamdan souhaitant conserver tous ses avocats. Le premier problème qui s’est présenté n’était pas nouveau pour Hamdan : c’était un problème de traduction. Dès le début, les commissions militaires ont oeuvré pour que des traductions simultanées de l’audience soient effectuées dans la langue maternelle de l’accusé. Il s’agit de la forme de traduction la plus difficile, exigeant du traducteur qu’il écoute ce qui se dit et le traduise immédiatement, tandis que l’audience se poursuit. Chaque session impliquant une traduction simultanée comporte généralement deux traducteurs au moins, pour leur donner la possibilité de se relayer. Pour ces commissions, le gouvernement n’a fourni qu’une seule traductrice, qui a éprouvé des difficultés à suivre le rythme rapide de la procédure. Elle paraphrasait parfois ce qui se disait, ou s’arrêtait parfois complètement de traduire, laissant l’accusé se demander ce qui se disait. Toute personne traduite devant un tribunal pénal doit disposer d’une traduction mot pour mot de l’audience qui décide de sa culpabilité ou de son innocence, et non d’une version approximative. Trois ans plus tard, il était permis d’espérer que ce problème aurait été résolu par le gouvernement des États-Unis.

L’un des avocats civils de Salim Ahmed Hamdan a soulevé la question juridictionnelle que le juge avait soulevée dans l’affaire d’Omar Khadr, affirmant que son client, à l’instar d’Omar Khadr, n’avait jamais été désigné comme combattant ennemi illégal. L’accusation et la défense ont toutes deux fait valoir leurs arguments, et le capitaine de vaisseau Keith Allred s’est octroyé une pause d’une heure et demi avant de rendre sa décision : rejet des chefs d’inculpation pesant sur Salim Ahmed Hamdan. Keith Allred a cité quatre raisons motivant sa décision selon laquelle Salim Ahmed Hamdan n’avait pas été clairement désigné pour comparaître devant la commission. Tout d’abord, le CSRT avait désigné l’accusé comme combattant ennemi à des fins de prolongement de sa détention, mais n’avait pas examiné si une commission militaire était compétente pour le juger ou non. Ensuite, les normes utilisées par le CSRT correspondaient à une définition différente et plus générale que celle d’un combattant ennemi illégal par la MCA. Troisièmement, le CSRT a précédé la MCA de deux ans et n’était pas destiné à donner compétence à la commission. Enfin, la définition du président Bush de février 2002, selon laquelle tous les combattants talibans et d’al Qaida n’étaient pas sujets à la protection des Conventions de Genève, était d’ordre collectif, et n’était pas suffisante pour une désignation individuelle, nécessaire pour donner compétence à la commission. Ainsi, un second juge militaire a décidé que les commissions militaires n’avaient pas compétence pour juger un accusé n’ayant jamais été déclaré combattant ennemi illégal par un tribunal compétent. Keith Allred a rejeté les chefs d’inculpation pesant sur Salim Ahmed Hamdan, sans préjudice. L’accusation, comme dans l’affaire d’Omar Khadr, a réservé son droit d’interjeter appel.

À la fin de la journée, quelques problèmes flagrants sont apparus. Cette audience peut sembler avoir porté un coup critique au système de justice spéciale que l’administration des États-Unis essaye d’appliquer à Guantánamo, mais elle n’a en réalité guère de sens pour les accusés ou les détenus de ce centre. Tout d’abord, même si une commission militaire opérationnelle parvenait à une conclusion, un acquittement n’entraînerait pas la libération d’un détenu. Comme l’administration affirme détenir à juste titre tous les détenus de Guantánamo, en tant que « combattants ennemis », elle affirme son droit de les détenir jusqu’à la fin du conflit. Le gouvernement considère ce droit comme distinct et indépendant de toute procédure pénale ; ainsi, une personne acquittée par une commission militaire pourrait rester en détention comme « combattant ennemi ». Ensuite, seules trois personnes ont pour l’instant été inculpées aux termes de ce nouveau système, et de l’aveu même du gouvernement, il n’a pas l’intention d’en inculper plus de 75 ou 80 – ce qui laisse des centaines de détenus à Guantánamo sans recours juridique, car la MCA a également suspendu leur droit de remettre en cause la légalité de leur détention en déposant une requête en habeas corpus.

Un autre problème est directement lié à la nature du système judiciaire dont l’élaboration est toujours en cours. Les deux équipes de l’accusation se sont réservé le droit d’interjeter appel, mais la MCA stipule que le premier appel doit être présenté à un tribunal de révision des commissions militaires. Le problème pour l’accusation est que, à l’instar des commissions militaires, ce tribunal n’existait pas avant l’actuel texte de loi. À ce jour, l’accusation doit interjeter appel auprès d’un tribunal qui n’a pas encore été établi.

Toutes ces tentatives ne font que remettre en cause la pratique et le droit des États-Unis en ce qui concerne la détention et le procès de ressortissants étrangers, à Guantánamo et ailleurs. Elles indiquent clairement que les États-Unis doivent avoir recours aux textes de loi et systèmes judiciaires existants, comme les tribunaux fédéraux, pour juger les personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’infractions liées au terrorisme. Ces épisodes montrent aussi pourquoi il n’est pas prudent, de la part des États-Unis, de créer de nouvelles catégories de personnes non reconnues par son droit ou le droit international. En mettant en évidence les graves défaillances de leurs propres cadres judiciaires, en plein tribunal, les États-Unis donnent le meilleur argument pour la dissolution des commissions militaires et la fermeture de Guantánamo, une bonne fois pour toutes.

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