Éthiopie. Poursuite du procès des dirigeants de l’opposition, défenseurs des droits humains et journalistes


Déclaration publique

AFR 25/008/2007

Un an après l’ouverture de leur procès à Addis-Abeba le 2 mai 2006, 48 défenseurs des droits humains, journalistes et membres de la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD), parti d’opposition, sont toujours en prison. La plupart des charges retenues contre eux concernent des infractions passibles de la peine de mort. Ces personnes sont jugées pour incitation présumée à la violence lors de manifestations de l’opposition contre la fraude électorale qui aurait eu lieu en 2005. Ces manifestations avaient commencé dans le calme mais s’étaient terminées par des affrontements avec les forces gouvernementales, qui avaient tiré sur la foule, tuant 187 manifestants.

Amnesty International réitère son appel en faveur de la libération immédiate et sans condition de ces accusés, qu’elle considère comme des prisonniers d’opinion n’ayant pas usé de violence ni préconisé son usage et qui exerçaient pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion – un droit garanti par la Constitution éthiopienne et par les traités internationaux relatifs aux droits humains que l’Éthiopie a ratifiés. Au rang des accusés figurent :
• des dirigeants de la CUD – dont certains étaient élus au Parlement fédéral ou à l’assemblée municipale d’Addis-Abeba – par exemple Berhanu Negga, assistant d’économie, Yakob Hailemariam, professeur de droit et ancien procureur des Nations Unies au Tribunal pénal international pour le Rwanda, Birtukan Mideksa, avocate et ancienne juge, et Mesfin Woldemariam, professeur de géographie à la retraite, fondateur et ancien président du Conseil éthiopien des droits humains ;
• deux militants de la société civile et avocats des droits humains : Daniel Bekele, responsable de la stratégie au bureau éthiopien d’ActionAid, organisation internationale de développement, et Netsanet Demissie, fondateur et directeur d’une ONG éthiopienne, l’Organisation pour la justice sociale en Éthiopie ;
• sept journalistes de la presse indépendante, inculpés pour avoir publié des articles qui, à la connaissance d’Amnesty International, ne préconisaient pas la violence.

Amnesty International examine actuellement les éléments de preuve produits à l’encontre d’autres responsables et membres de la CUD, qui pourraient aussi être des prisonniers d’opinion.

L’organisation est également préoccupée par la question de l’équité du procès et par le fait que des condamnations à mort risquent d’être prononcées.

Sur 111 accusés au départ, 76 comparaissaient devant le tribunal depuis mai 2006, dont 25 exilés jugés par contumace. Le 10 avril 2007, 28 personnes ont été libérées sur décision des juges, qui ont estimé, après présentation des faits par l’accusation, qu’il n’y avait rien à retenir contre elles. Amnesty International se félicite de la libération, parmi eux, de plusieurs prisonniers d’opinion, dont sept des 14 journalistes des médias privés, parmi lesquels Serkalem Fasil, qui était enceinte de six mois lors de son arrestation et a donné naissance à son fils en prison trois mois plus tard sans avoir pu bénéficier de soins médicaux appropriés, et Kassahun Kebede, de l’Association des enseignants éthiopiens (AEE). Plusieurs membres de la CUD ont aussi été libérés.

Les poursuites pour « trahison » et « tentative de génocide » engagées contre la plupart des responsables de la CUD ont toutes été abandonnées. D’autres accusations contre certains accusés ont aussi été levées. Cinq exilés demeurent au rang des accusés et sont jugés par contumace.

À ce jour, tous les membres de la CUD et les journalistes refusent de présenter une défense car ils ne s’attendent pas à un procès équitable. Toutefois, certains envisageraient à présent de le faire. Les juges ont accédé à la demande de certains d’entre eux de consulter les pièces du procès et de rencontrer un avocat afin de les aider à prendre leur décision à ce sujet. Pour l’instant, seuls Daniel Bekele et Netsanet Demissie sont défendus par un avocat.

Amnesty International est aussi préoccupée par trois autres procès liés qui se déroulent en même temps à Addis-Abeba contre des dizaines d’autres membres de la CUD, parmi lesquels des prisonniers d’opinion présumés ou avérés. Le 8 mai 2007, un tribunal doit décider si Kifle Tigeneh, député et prisonnier d’opinion, doit être jugé pour des accusations similaires à celle du procès principal. Les juges ont ignoré les allégations de plusieurs coaccusés qui se plaignaient d’avoir été torturés.

Contexte

Tous les accusés ont été arrêtés en novembre 2005 et sont maintenant en prison depuis dix-huit mois. Sur plusieurs jours de manifestation, en juin et en novembre 2005, les forces de sécurité gouvernementales ont tué 187 personnes et en ont blessé 765, dont 99 femmes et plusieurs enfants. Six policiers ont trouvé la mort dans les affrontements avec les manifestants.

Parallèlement au procès, une commission d’enquête parlementaire sur ces faits a été mise en place en décembre 2005. Elle aurait d’abord conclu que les forces de sécurité avaient fait usage d’une force excessive contre les manifestants. Cependant, le président et le vice-président de cette commission ont fui le pays après avoir semble-t-il reçu des menaces destinées à leur faire changer leurs conclusions. Les membres restants ont adopté un rapport examiné et approuvé par le Parlement en octobre 2006, qui concluait que les forces de sécurité avaient agi « en toute légalité et par nécessité ». Aucun membre des forces de sécurité n’a été arrêté ni inculpé d’une quelconque infraction.

Les accusés sont détenus dans différents quartiers de la prison de Kaliti, située à la périphérie d’Addis-Abeba. Dans les quartiers les pires, les conditions de détention sont extrêmement difficiles : les prisonniers vivent dans des cellules surpeuplées, sans installations sanitaires appropriées et dans des conditions d’hygiène déplorables. Toute correspondance leur est interdite, de même que les consultations privées avec un avocat. Cependant, les familles peuvent envoyer de la nourriture, des livres et des petits objets.

Le principal chef dont ils restent inculpés est l’« atteinte à la Constitution ». Plusieurs membres de la CUD restent aussi accusés d’« entrave à l’exercice des pouvoirs constitutionnels » et d’« atteinte au pouvoir défensif de l’État ». L’accusation d’« incitation à la rébellion armée ou organisation ou direction d’une rébellion armée » a été abandonnée pour la plupart des accusés.

Amnesty International continue de suivre attentivement le procès et a pu envoyer des observateurs assister à certaines audiences. Le procès se tient en audiences publiques et les accusés ont le droit d’être représentés par un avocat et d’interjeter appel devant une instance supérieure. Les débats sont traduits de l’amharique en anglais pour les observateurs et les autres personnes qui en ont besoin.

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