Évaluation de la 15e session de l’Assemblée des États Parties de la CPI

L’Assemblée des États Parties (ci-après, l’Assemblée) au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), qui est actuellement composée de 124 États parties au Statut, a conclu sa 15e session annuelle le jeudi 24 novembre 2016. Un grand nombre d’ONG ont également assisté à cette réunion, ainsi que des États observateurs, dont la Chine, les États-Unis et la Russie. Amnesty International a aussi organisé deux « événements parallèles » très réussis pendant la session de l’Assemblée, l’un sur la nécessité de rendre des comptes dans le nord-est du Nigéria, et l’autre (en collaboration avec la FIDH) consacré à des exemples de complémentarité positive en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

La session de l’Assemblée a été marquée par une réaffirmation constructive du soutien apporté à la Cour par de nombreux États parties, en particulier ceux de la région Afrique. Toutefois, cette session restera également dans les mémoires en raison des efforts extrêmement regrettables qu’ont déployés les plus gros contributeurs financiers de la Cour, dont l’Allemagne, le Canada, l’Espagne, la France, le Japon et le Royaume-Uni, pour limiter l’aptitude de la Cour à satisfaire aux exigences relatives à l’exécution de son mandat, avec pour conséquence inévitable l’incapacité de la Cour à mener des enquêtes pourtant urgentes.

Avant la session de l’Assemblée, Amnesty International avait publié une série de recommandations, au nombre de sept, à l’intention des États parties. Elles portaient notamment sur des projets d’amendement du Règlement de procédure et de preuve de la Cour et sur l’importance du financement des visites familiales pour les détenus indigents. Les recommandations comprenaient également une proposition concernant la nécessité d’appliquer des procédures plus claires aux consultations visées à l’article 97 du Statut de Rome, et une proposition visant à établir une procédure judiciaire pour statuer sur les contestations de la légalité des demandes de coopération lorsque les consultations ne permettent pas de régler les litiges. Grâce aux recommandations détaillées formulées par ses experts, Amnesty International a pu mettre à profit efficacement sa présence dans les couloirs de l’Assemblée et mener des activités de sensibilisation auprès de nombreux représentants d’États, diplomates et représentants d’organisations internationales, notamment l’Union africaine et l’Union européenne, et d’autres ONG (tant internationales que nationales).

Au cours des semaines qui ont précédé la 15e session de l’Assemblée, Amnesty International a mené une vaste campagne de sensibilisation, travaillant en étroite collaboration avec ses sections et bureaux nationaux dans toutes les régions du monde, en mettant fortement l’accent sur la région Afrique, afin d’encourager les États à soutenir publiquement la CPI lors de la réunion de l’Assemblée et à engager un dialogue constructif avec la Cour en vue de trouver des réponses à toute question légitime.

La quasi-totalité des recommandations d’Amnesty International ont été reprises par les États parties. Il est clairement apparu, lors de la réunion de l’Assemblée, que les appels d’Amnesty International avaient été entendus et que les recommandations de l’organisation sur des points précis avaient trouvé un écho particulièrement favorable auprès des principaux décideurs de plusieurs États membres stratégiques.

Affirmations constructives de soutien à la Cour

La période précédant immédiatement la 15e session de l’Assemblée avait été marquée par le retrait de trois États – l’Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie – du Statut de Rome. Amnesty International avait appelé ces États à reconsidérer leur décision, soulignant qu’à une époque où des crimes relevant de la compétence de la CPI étaient toujours commis en toute impunité dans de nombreuses régions du monde, l’adhésion au Statut de Rome et à la CPI garantissait à des millions de victimes une voie de recours fondamentale pour obtenir justice et réparation.

Pendant les premiers jours de la session de l’Assemblée, malgré des rumeurs dénuées de fondement selon lesquelles ces départs risquaient d’entraîner un « retrait massif » des États parties, de nombreux États parties ont exprimé à nouveau leur soutien à la CPI et au Statut de Rome. En particulier, des États parties du groupe africain ont pris la parole, au cours du débat général, pour réaffirmer et renouveler leur soutien au système de la CPI et du Statut de Rome. Ils ont notamment souligné que les États devaient soulever de l’intérieur les préoccupations suscitées par le système de justice du Statut de Rome, et que les retraits ne faisaient que compromettre les efforts déployés pour obtenir justice. Des représentants d’États africains, dont le Botswana, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Lesotho, le Mali, le Nigéria, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Sénégal, la Tanzanie et la Tunisie, ont fait des déclarations positives au sujet des travaux de la CPI.

Des États parties africains ont également saisi cette occasion pour mettre en évidence certaines lacunes du système du Statut de Rome, en particulier l’absence de certains membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, et la façon incohérente dont le Conseil de sécurité des Nations Unies avait répondu aux appels en faveur de la justice internationale. Amnesty International a aussi fait une déclaration au cours du débat général, invitant les États parties qui avaient choisi de se retirer du système du Statut de Rome à réexaminer leur décision. Elle a souligné que la CPI, à mesure qu’elle poursuivrait ses enquêtes sur de nouvelles situations, aurait besoin que tous les États la soutiennent, et notamment que la région Afrique puisse s’exprimer d’une voix forte, pour aider la Cour à atteindre ses objectifs et à faire face à une nouvelle remise en cause éventuelle. L’urgente nécessité que les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies s’abstiennent d’user de leur droit de veto dans des situations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide a également été fortement mise en avant.

Le vendredi 16 novembre, le président de l’Assemblée, M. Sidiki Kaba, a convoqué une réunion publique du Bureau pour débattre des « Relations entre l’Afrique et la Cour pénale internationale ». Cette réunion s’est tenue dans l’« esprit de dialogue » que de nombreux États parties avaient appelé de leurs vœux et dont ils avaient souligné l’importance au cours du débat général les jours précédents. De nombreux États, y compris des États africains, ont donc insisté sur la nécessité d’un dialogue ; toutefois, pendant la séance plénière, beaucoup d’États ne se sont pas exprimés, et très peu d’États africains ont saisi l’occasion qui leur était donnée et l’invitation qui leur était faite de soulever des questions devant l’Assemblée.

Tentatives d’ingérence dans les travaux de la Cour par l’intermédiaire du budget

Les débats sur le budget de la Cour ont eu lieu, pour l’essentiel, au cours de la deuxième semaine de la session de l’Assemblée. Les principaux contributeurs financiers de la Cour se sont efforcés – initiative préjudiciable à long terme – de limiter les augmentations budgétaires, menaçant par là-même de restreindre et d’entraver le travail de la CPI. Cette initiative, prise par l’Allemagne, le Canada, la Colombie, l’Équateur, l’Espagne, la France, l’Italie, le Japon, la Pologne, le Royaume-Uni et le Venezuela, revenait à fermer les yeux sur les recommandations formulées par le Comité du budget et des finances (un comité d’experts indépendants), qui avait indiqué qu’un financement complémentaire était nécessaire. Le budget alloué à la CPI s’est finalement élevé à 141,6 millions d’euros, soit nettement moins que les 147,25 millions d’euros initialement demandés par la Cour. Tout en reconnaissant que la Cour doit continuer, dans toute la mesure du possible, à prendre des dispositions pour renforcer son efficacité, Amnesty International craint que les restrictions de budget, bien entendu, n’entraînent pas automatiquement des gains d’efficience et ne risquent, au contraire, de réduire l’efficacité de la Cour. Amnesty International s’inquiète également des graves répercussions que les réductions des ressources allouées par les États parties par rapport à celles demandées par la Cour ont eues et ont encore sur la capacité de cette juridiction à mener des enquêtes et à tenir la cadence face aux crimes commis dans de nouvelles situations. Les États ne doivent pas invoquer le budget de la CPI pour entraver son travail.

Préoccupations relatives à l’équité des procès soulevées par les modifications du Règlement de procédure et de preuve de la Cour

Amnesty International reste préoccupée par la décision prise par l’Assemblée de modifier les articles 144 (2) b) et 101 (3), modifications qui autorisent des traductions seulement partielles de décisions importantes dans une langue que l’accusé comprend parfaitement. En effet, Amnesty International a déjà indiqué que ces changements, malgré certaines garanties, risquaient de porter atteinte aux droits de l’accusé définis à l’article 67 du Statut de Rome. Il s’agit notamment du droit de bénéficier de traductions, du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et du droit d’interroger ou faire interroger les témoins à charge.

Amnesty International avait exhorté l’Assemblée à rejeter le projet d’amendement de la Règle 144 (2) (b) du Règlement et à modifier le projet de Règle 101 (3), afin d’exclure la possibilité que le calendrier des échéances soit lancé après que l’accusé eut obtenu des traductions seulement partielles. La modification du Règlement aurait dû au minimum rendre expressément obligatoire une évaluation au cas par cas de la nature de la décision, de ses conséquences pour l’accusé et de la probabilité que la défense fasse appel de la décision. La portée et la qualité de toute traduction partielle auraient également dû être garanties dans la nouvelle règle, en veillant en particulier à ce que l’accusé soit effectivement et pleinement informé des fondements factuels et juridiques de la décision. Amnesty International continuera à surveiller très étroitement l’application de ces règles modifiées, afin de s’assurer du plein respect des droits de l’accusé dans la pratique.

Il importe de noter que l’amendement le plus controversé – à la Règle 76 (3) –, dont Amnesty International avait recommandé le rejet et qui aurait autorisé des traductions seulement partielles des déclarations des témoins à charge, n’a pas été adopté par l’Assemblée.

Le Groupe de travail de l’Assemblée sur les amendements a également examiné les amendements provisoires de la Règle 165, qui concerne les poursuites et procès pour atteintes à l’administration de la justice au titre de l’article 70 du Statut de Rome. Ces amendements provisoires ramènent de trois à un le nombre de juges exerçant les fonctions de la Chambre préliminaire et de la Chambre de première instance, et de cinq à trois le nombre de juges menant les procédures d’appel. Ils suppriment la procédure d’audience distincte pour la fixation de la peine prévue à l’article 76 (2), ainsi que la procédure d’appel interlocutoire prévue à l’article 82 (1)(d), qui permet de faire appel des décisions soulevant des questions « de nature à affecter de manière appréciable le déroulement équitable et rapide de la procédure ou l’issue du procès ». Amnesty International avait exprimé un certain nombre d’inquiétudes quant à l’équité des procès face à ces amendements provisoires, et avait demandé que des modifications leur soient apportées avant leur adoption par l’Assemblée, en vue du maintien du recours à une audience distincte pour la fixation de la peine et à la procédure d’appel interlocutoire.

Au cours de la réunion du Groupe de travail sur les amendements, la France et l’Allemagne ont présenté une proposition qui reflétait bon nombre des préoccupations d’Amnesty International et leur apportait des réponses. Cependant, ni cette proposition ni la Règle 165 provisoirement amendée n’ont été adoptées par l’Assemblée avant la fin de la session. Amnesty International continuera à suivre de près les activités du Groupe de travail sur les amendements lorsque celui-ci poursuivra l’examen de ces modifications en 2017, ainsi que l’application par la Cour de la Règle 165 provisoire.

Nécessité de relever les défis avant la prochaine session de l’Assemblée

La 15e session de l’Assemblée restera dans les mémoires en raison des déclarations de soutien à la CPI qu’un grand nombre d’États ont faites, mais aussi parce que ces déclarations, en fin de compte, n’ont pas été suivies de l’octroi de l’appui financier nécessaire à la Cour.

En 2017, les États parties doivent continuer à apporter leur soutien à la Cour, à l’heure où celle-ci ouvre de nouvelles enquêtes et procède à des examens préliminaires, qui peuvent se révéler de plus en plus difficiles du point de vue politique et logistique. Les États parties devront veiller à ce que leur appui à la CPI reste solide, dans l’éventualité d’une remise en cause de cette juridiction lorsqu’elle élargira son action au-delà de l’Afrique.

Les États parties africains devront également conserver leur dynamique positive actuelle et maintenir le soutien qu’ils ont exprimé à la Cour lors de la 15e session de l’Assemblée lorsqu’aura lieu, en janvier, le Sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, où des débats sur un appel à un retrait massif du Statut de Rome pourraient figurer à l’ordre du jour.

La période intersessions précédant la 16e session de l’Assemblée des États Parties offre à l’Assemblée l’occasion d’aborder un certain nombre de questions et de défis clés, notamment les questions soulevées par la coopération avec la CPI et la nécessité de conclure des accords volontaires, ainsi que de veiller à ce que les États parties remplissent leurs obligations en matière de coopération. Amnesty International a évoqué un certain nombre de ces défis lors d’une séance plénière sur la coopération pendant la 15e session de l’Assemblée, et suivra avec un vif intérêt la manière dont les États parties s’attaqueront concrètement au problème de la non-coopération entre États parties, notamment lors d’une prochaine séance plénière de l’Assemblée.

En 2017, les discussions se poursuivront également sur la procédure à suivre par les États parties pour consulter la Cour, conformément à l’article 97 du Statut de Rome, lorsqu’ils constatent des difficultés risquant de gêner ou d’empêcher l’exécution d’une demande de coopération. Amnesty International a communiqué une recommandation détaillant des étapes qui permettraient de progresser sur la question des consultations prévues à l’article 97, préconisant notamment d’établir une procédure judiciaire pour statuer sur la légalité des demandes de coopération lorsque les consultations n’ont pas permis de régler les litiges. Les États parties devraient tirer profit de la période intersessions pour clarifier la procédure à suivre, en veillant à respecter le Statut.

Les États parties devraient également tirer parti de la période intersessions pour renforcer le système de la CPI et du Statut de Rome et intercéder auprès de l’Afrique du Sud et du Burundi, en les engageant à reconsidérer leur position avant que leur retrait ne prenne effet, et encourager le gouvernement gambien à donner suite à l’annonce qu’il aurait faite selon laquelle il entend revenir sur son retrait du Statut de Rome.

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