Communiqué de presse
ÉFAI- 12 avril 2010
Si son cabinet adopte mardi 13 avril un nouveau projet de loi répressif sur les médias, le gouvernement fidjien pourra emprisonner pendant cinq ans des journalistes, au risque d’abolir la liberté de la presse.
« Le gouvernement fidjien veut se donner ainsi les moyens d’emprisonner ou de ruiner ceux qui le critiquent, a déclaré Apolosi Bose, responsable des recherches sur le Pacifique à Amnesty International. Cet instrument législatif vise à empêcher les médias de diffuser des informations sur les excès du gouvernement et de l’armée en leur faisant craindre des représailles judiciaires.
Il étend et renforce la censure draconienne qui sévit déjà en application de la réglementation d’urgence en vigueur depuis avril 2009.
« Des journalistes fidjiens ont déjà fait l’objet de manœuvres d’intimidation, de menaces et d’agressions de la part de l’armée depuis que la censure des médias a été autorisée en avril 2009, a ajouté Apolosi Bose. Par le biais d’un système de plaintes contrôlé par le gouvernement et n’étant pas tenu par les règles d’administration de la preuve habituelle, ils risqueront désormais une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ou une amende susceptible d’entraîner la faillite de leur média. »
Rédigé dans la précipitation à l’issue de trois jours à peine de consultation, le projet de loi risque fort d’être adopté mardi lors de la réunion du cabinet présidentiel. Par le biais d’une nouvelle autorité chargée des médias, le nouveau texte de loi permettra au gouvernement d’exercer un plus grand contrôle sur les informations diffusées par les médias et sur les propriétaires de ces médias. Un tribunal dirigé par une personne nommée par le président pourra condamner à des peines d’emprisonnement des journalistes, des rédacteurs en chef et des organes de presse.
Amnesty International est convaincue que les dispositions du projet de loi, rédigées dans des termes très vagues, seront interprétées de manière à punir ceux qui critiquent le gouvernement.
« Les références à l’intérêt national et à l’ordre public apparaissant dans le texte de loi signifient tout simplement que les médias ne seront pas autorisés à critiquer les dirigeants du pays ni les membres des forces de sécurité, ni leurs sympathisants et associés », a commenté Apolosi Bose.
La Haute Autorité des médias à Fidji, dont le projet de loi prévoit la création, sera chargée de veiller à ce que les médias locaux ne publient pas d’informations qui menacent l’intérêt ou l’ordre public, qui soient contraires à l’intérêt national, au bon goût ou aux bonnes mœurs ou qui soient source de désaccords intercommunautaires. Cette instance aura des pouvoirs d’enquête étendus sur les journalistes et les organes de presse et pourra, notamment, procéder à des perquisitions et des saisies d’équipement.
Le tribunal des médias dont la création est proposée examinera les plaintes qui lui seront transmises par la Haute Autorité ; il pourra prononcer des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ou 50 OOO dollars d’amende pour les journalistes et rédacteurs en chef ou 250 000 dollars pour les organes de presse. Bien que ce tribunal dispose d’un pouvoir répressif considérable, il ne sera pas tenu de respecter de règles formelles d’administration de la preuve.
Complément d’information
Les trois jours pendant lesquels des représentants des médias ont été consultés la semaine dernière sur le projet de loi ont été considérés le plus souvent comme une parodie de consultation. Les participants devaient faire leurs commentaires et déposer leurs conclusions après n’avoir disposé que de deux heures trente pour lire la totalité d’un document de 50 pages. Ils n’étaient pas autorisés à emporter un exemplaire dudit document.
Le procureur général Aiyaz Sayed-Khaiyum a indiqué que le gouvernement fidjien souhaitait une adoption « expéditive » du projet de loi, et le président Voreqe Frank Bainamarama a dit aux opposants de « changer d’état d’esprit », dans l’intérêt national.
Le gouvernement fidjien a déjà montré par le passé qu’il n’était pas vraiment attaché à la liberté de la presse. Depuis que les militaires ont pris le pouvoir en décembre 2006, les manœuvres d’intimidation et les menaces à l’encontre de journalistes et de rédacteurs en chef de médias installés à Fidji ou à l’étranger ont été monnaie courante. Plusieurs journalistes étrangers et rédacteurs en chef expatriés ont été chassés du pays depuis 2008.
L’abrogation de la Constitution en avril 2009 a donné lieu à une nouvelle vague de répression de la liberté d’expression et à un accroissement de la censure en application des dispositions relatives aux situations d’urgence. Cette réglementation d’urgence a été régulièrement renouvelée depuis lors.