Communiqué de presse

France. Nous n’oublions pas : troisième anniversaire de la mort de Mohamed Boukrourou aux mains de la police

Cela a fait trois ans lundi 12 novembre 2012 que Mohamed Boukrourou est mort aux mains de la police. Les responsables de sa mort n’ont pas réellement rendu compte de leurs actes. Cet événement rappelle à quel point les autorités peinent à traduire en justice les agents de la force publique accusés de graves violations des droits humains.

Mohamed Boukrourou, un Marocain âgé de 41 ans, est mort lors de son interpellation le 12 novembre 2009 à Valentigney (Doubs). Vers 16 h 45, il s’était rendu à la pharmacie Favre, dans le centre-ville de Valentigney, dont il était client. Il s’était plaint de certains médicaments qui lui avaient été délivrés quelques jours auparavant. Mohamed Boukrourou était extrêmement agité, a raconté le pharmacien, qui a appelé la police pour répondre à une plainte de son client. Mohamed Boukrourou s’est ensuite assis, ont indiqué des témoins, et a attendu calmement l’arrivée de la police. Les quatre policiers qui sont intervenus ont, selon les informations recueillies, tenté de menotter Mohamed Boukrourou, mais celui-ci ne s’est pas laissé faire. Selon les informations transmises à Amnesty International, les agents ont mis au sol Mohamed Boukrourou devant l’officine, puis l’ont porté dans leur fourgon. Une femme présente sur les lieux a déclaré qu’elle avait pu observer ce qui se passait à l’intérieur du fourgon, et qu’elle avait vu les policiers piétiner Mohamed Boukrourou et le frapper à coups de poing et de pied.

À 18 h 05, un médecin a constaté la mort de Mohamed Boukrourou. À 20 heures ce soir-là, une dizaine de personnes, parmi lesquelles le maire de Valentigney, un adjoint et le commissaire de police, se sont rendues au domicile de Mohamed Boukrourou et ont dit à son épouse qu’il avait eu un « grave accident ». Accompagnée des parents et du frère de son mari, elle s’est rendue au commissariat de police. Ils ont attendu plus de deux heures, pendant que les fonctionnaires de police et les pompiers présents au moment de l’arrestation se concertaient. À 22 h 30, la police a annoncé aux membres de la famille que Mohamed Boukrourou était mort d’un arrêt cardiaque à la suite d’un accident.

La procureure de la République de Montbéliard a ouvert en novembre 2009 une information en recherche des causes de la mort de Mohamed Boukrourou, puis, en décembre 2009, une instruction contre X pour homicide involontaire. En novembre 2009, la famille s’est constituée partie civile devant un juge d’instruction du tribunal de Montbéliard.

Dans les premiers jours de novembre 2012, les proches de Mohamed Boukrourou ont informé Amnesty International que le parquet de Montbéliard avait requis des non-lieux, ce qui pourrait mettre fin aux poursuites visant les quatre policiers.

Les réquisitions de non-lieu constituent un recul particulièrement alarmant, puisqu’au mois de mars 2012 la juge d’instruction chargée d’examiner les circonstances de la mort de Mohamed Boukrourou aux mains de la police le 12 novembre 2009 avait mis en examen pour homicide involontaire les quatre policiers concernés, décision qui avait un aspect positif. Cependant, à l’époque, les proches de Mohamed Boukrourou avaient critiqué cette mesure, car à leurs yeux ce chef d’« homicide involontaire » n’était pas d’une gravité suffisante pour rendre compte du rôle joué, selon eux, par les policiers dans la mort de cet homme.

La décision de la juge d’instruction survenait quelques mois après la publication, en décembre 2011, du rapport du Défenseur des droits sur cette affaire. Ce document concluait que « les policiers ont fait un recours inadapté et disproportionné à la force à l’encontre de M. M.B. [Mohamed Boukrourou], qui a été victime d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Le Défenseur des droits a recommandé que les quatre policiers concernés fassent l’objet d’une procédure disciplinaire, et il a formulé une série de recommandations générales sur la formation et la déontologie de la police.

À la date du 19 novembre 2012, les proches de Mohamed Boukrourou n’avaient pas connaissance d’une procédure disciplinaire à l’encontre des quatre policiers impliqués, qui, pour autant qu’ils le sachent, étaient tous encore en poste. « Vu le nombre de fautes professionnelles commises, je n’arrive pas à comprendre qu’ils [les policiers] soient encore en exercice, a souligné Samira, la sœur de Mohamed Boukrourou. Ils évoluent dans l’impunité, et ils peuvent très bien recommencer. »

« La demande de non-lieu de la Procureure a été un vrai coup pour notre famille. D’être si injustement traité, et ce depuis le début, quand toutes les preuves sont là, c’est une humiliation. Dans un pays comme la France, un tel traitement est choquant . », a-t-elle ajouté.

Complément d’information

Amnesty International a suivi de nombreuses affaires de mauvais traitements aux mains de la police et de morts en garde à vue survenues en France ces dernières années. Hélas, le cas de Mohamed Boukrourou est loin d’être isolé. Le rapport publié en 2011 par Amnesty International : France. « Notre vie est en suspens ». Les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite (index AI : EUR 21/003/2011) examinait cinq cas de personnes mortes aux mains de la police et décrivait les conséquences extrêmement négatives pour les familles de ces décès, mais aussi de leur sentiment d’avoir été privées de vérité, de justice et de réparations. Tous les hommes dont le cas était relaté dans ce rapport étaient des étrangers, comme Mohamed Boukrourou, ou des Français qui appartenaient aux minorités dites « visibles ».

Il existe une association Justice et vérité pour Mohamed Boukrourou, créée par ses proches. Ceux-ci organisent des marches à sa mémoire, à l’occasion de l’anniversaire de sa mort et pour réclamer justice.

Le rapport publié en 2011 par Amnesty International faisait suite à des enquêtes plus anciennes sur les mauvais traitements imputables à la police en France, dont un rapport paru en 2009, France. Des policiers au-dessus des lois (index AI : EUR 21/003/2009), qui mettait l’accent sur les carences des mécanismes d’obligation de rendre des comptes en cas d’allégations de mauvais traitements infligés par la police, et un rapport paru en 2005, France. Pour une véritable justice (index AI : EUR 21/001/2005) qui constatait l’existence d’un phénomène d’impunité de fait pour les responsables de l’application des lois qui commettent de graves violations des droits humains, dans un contexte où la police, le ministère public et les juges se montrent peu enclins à enquêter de manière approfondie sur ces atteintes et à en poursuivre les auteurs présumés.

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