"La situation des droits humains en Gambie s’est nettement détériorée durant la 21e année au pouvoir du président Yahya Jammeh", a déclaré Amnesty International à l’occasion de l’anniversaire du coup d’État de 1994.
"Le climat de peur dans lequel vivent les Gambiens depuis plus de 20 ans s’est aggravé au cours des 12 derniers mois : des journalistes, des lesbiennes ou gays présumés et des personnes considérées comme des opposants au régime, ainsi que leurs familles, sont de plus en plus pris pour cibles par les autorités", a déclaré Sabrina Mahtani, chercheuse sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.
« La réaction violente qui a fait suite à la tentative de coup d’État de décembre 2014 s’est traduite par une forte hausse des arrestations arbitraires et des disparitions forcées. Autre fait inquiétant, le président Yahya Jammeh a déclaré vendredi 17 juillet que les condamnés à mort devaient s’attendre à voir leurs sentences mises en application. »
Disparitions forcées
Depuis janvier 2015, des dizaines d’amis et de proches de personnes accusées d’avoir participé à la tentative de coup d’État en décembre 2014 sont placés en détention au secret, tandis que le gouvernement refuse de reconnaître leur détention et de révéler où ils se trouvent. Des femmes, des personnes âgées et un enfant figurent parmi les détenus, et beaucoup seraient en mauvaise santé.
Intimidation des défenseurs des droits humains et des journalistes
Les arrestations et les détentions arbitraires de défenseurs des droits humains et de journalistes demeurent monnaie courante en Gambie. Le 2 juillet 2015, Alhagie Ceesay, directeur de la station de radio Teranga, a été arrêté et détenu au secret pendant 12 jours. Après sa libération, des informations ont fait état d’inquiétudes quant à sa santé.
Torture et conditions carcérales
Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a publié un rapport en mars 2015 dans lequel il dénonçait le caractère généralisé de la torture dans le pays et se disait inquiet quant aux conditions carcérales. Il notait que la torture pratiquée est cruelle et inclut notamment des passages à tabac à l’aide d’objets durs ou de câbles électriques, l’électrocution, l’asphyxie à l’aide d’un sac en plastique placé sur la tête et rempli d’eau, et des brûlures par liquide chaud.
En novembre 2014, les rapporteurs spéciaux sur la torture et sur les exécutions extrajudiciaires n’ont pas été autorisés à se rendre dans l’aile de haute sécurité de la prison Mile 2, où sont enfermés les condamnés à mort et les détenus purgeant de lourdes peines.
Peine de mort
Le 17 juillet, le président Jammeh a annoncé la reprise des exécutions. Il a annoncé son intention d’étendre l’application de la peine de mort à tous les cas où cette sentence est prescrite par la loi. Actuellement, une condamnation à mort ne peut être prononcée que lorsque l’usage de la violence ou de substance toxique a conduit à la mort. Pourtant, le président Jammeh avait annoncé en 2012 un moratoire conditionnel sur les exécutions.
Le 30 mars, un tribunal militaire a condamné trois soldats à mort et trois autres à la détention à perpétuité pour leur participation présumée à la tentative de coup d’État de décembre 2014. Le procès s’est déroulé à huis clos ; les médias et des observateurs indépendants se sont vu interdire d’y assister.
Répression fondée sur l’orientation sexuelle présumée
En octobre 2014, une loi introduisant des peines de réclusion à perpétuité pour « homosexualité aggravée » a été promulguée en Gambie. Le mois suivant, Amnesty International a recensé au moins huit cas de personnes arrêtées et torturées parce qu’elles étaient soupçonnées d’être homosexuelles.
Non-respect des cadres internationaux de protection des droits humains
La Gambie n’a pas pris en compte les demandes de la communauté internationale en faveur d’une enquête conjointe indépendante sur les événements qui ont suivi le coup d’État, notamment la résolution adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en février, sollicitant une invitation afin de mener une mission d’établissement des faits.
En avril, le gouvernement gambien a rejeté 78 des 171 recommandations formulées lors de l’Examen périodique universel (EPU) de l’ONU à Genève. Figuraient notamment des recommandations sur les restrictions injustifiées imposées au droit à la liberté d’expression, sur les disparitions forcées, la peine de mort et le recours à la torture visant à museler la dissidence.
Un changement très attendu
En raison de la situation politique et économique en Gambie, on constate une nette hausse du nombre de migrants qui entreprennent un voyage périlleux vers l’Europe. Selon un rapport de Frontex, en 2014, la Gambie comptait parmi les six premiers pays d’émigration illégale vers l’Europe par voie de mer, alors que sa population est l’une des moins nombreuses de la région.
L’organisation demande au gouvernement gambien de libérer toutes les personnes détenues illégalement, à moins qu’elles ne soient inculpées d’infractions pénales dûment définies par la loi et jugées dans le cadre de procès équitables, et de libérer tous les prisonniers d’opinion. Il doit également mettre fin à la torture et à la répression ciblant les défenseurs des droits humains et les journalistes.
« Après 21 ans de régime répressif, les violations des droits humains en Gambie se multiplient. La communauté internationale et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont le devoir de se pencher sur le bilan désastreux du pays en termes de droits humains, en vue de protéger la population et de limiter l’instabilité dans la région », a déclaré Sabrina Mahtani.