Les gouvernements allemand, suisse et autrichien retirent leur soutien financier au projet de barrage d’Ilisu en Turquie, craignant des violations des droits humains

Déclaration publique

ÉFAI-
7 juillet 2009

Amnesty International salue la décision des gouvernements allemand, suisse et autrichien de renoncer à financer, via leurs agences respectives de crédit à l’exportation, le projet de barrage d’Ilisu en Turquie. Les trois gouvernements ont pris cette décision après lecture des évaluations d’experts indépendants qui ont conclu que le projet de barrage ne répondait pas aux normes acceptées au moment de la signature des contrats, notamment en ce qui concerne l’impact social et environnemental du projet.

Le barrage de 1 200 mégawatts – qui doit être construit sur le Tigre dans le sud-est de la Turquie – est le plus vaste projet de barrage en Turquie. La construction de ce barrage devrait provoquer le déplacement d’au moins 55 000 personnes. Selon les organisations de la société civile, il n’y a pas eu de consultation adéquate des populations affectées et la politique de réinstallation du gouvernement turc ne respecte pas les engagements internationaux en matière de droits humains. Il n’y a pas eu non plus d’évaluation adéquate de l’impact social et environnemental du projet.

En mars 2007, les gouvernements allemand, suisse et autrichien avaient donné leur accord pour soutenir les entreprises de ces trois pays prêtes à fournir des équipements et leurs services d’ingénierie pour la construction du barrage d’Ilisu. Ce soutien était fourni par l’intermédiaire des agences de crédit à l’exportation, des institutions publiques ou semi-publiques accordant, avec la garantie du gouvernement, des prêts, garanties et assurances aux entreprises nationales cherchant à conquérir des marchés à l’international. L’agence allemande Euler Hermes Assurance Crédit, la Banque de contrôle autrichienne (OEKB) et l’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (ASRE) avaient accordé des garanties contre les risques à l’exportation à hauteur de 450 millions d’euros aux entreprises impliquées dans ce projet (l’entreprise autrichienne VA Tech Hydro, l’entreprise allemande Zueblin AG et les entreprises d’ingénierie suisses Alstom, Colenco, Maggia et Stucky).

Lorsque ces trois agences de crédit à l’exportation avaient accordé leur soutien au projet, un comité d’experts indépendants avait été mis en place pour évaluer et surveiller l’application d’un accord passé entre les gouvernements suisse, allemand et autrichien et le gouvernement turc concernant l’impact du barrage, notamment son impact social et environnemental. L’accord exigeait du gouvernement turc qu’il mette en place des mesures visant à atténuer les menaces pesant sur l’environnement, qu’il prévoit une compensation financière adéquate et des mesures de réinstallation des populations affectées. Suite aux violations répétées des conditions de l’accord par les autorités turques, les gouvernements allemand, suisse et autrichien ont suspendu les contrats de leurs entreprises nationales pour 180 jours fin 2008. Le 7 juillet 2009, le gouvernement turc ne s’étant pas conformé aux normes acceptées au moment de la signature des contrats, ils ont décidé de retirer leur soutien aux entreprises impliquées dans le projet.

Si les agences de crédits à l’exportation n’avaient pas retiré leur soutien, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ainsi que les entreprises bénéficiant des garanties de crédit à l’exportation auraient pu se faire complices de violations des droits humains et/ou tirer profit d’un projet impliquant de graves atteintes aux droits fondamentaux des personnes.

La décision prise démontre que l’obligation d’agir pour protéger les droits humains – y compris en mettant en place et en veillant à l’observation des normes en matière d’impact social et environnemental des projets – est à la fois possible et essentielle pour s’assurer que les agences de crédit à l’exportation ne contribuent pas à des violations des droits humains à l’étranger ou n’en bénéficient pas, directement ou par le biais de financement d’entreprises.

À ce titre, Amnesty International salue la décision prise par les gouvernements allemand, suisse et autrichien et considère qu’ils ont ainsi établi un précédent important – qu’il importe de développer plus avant afin que l’impact des projets soit pleinement évalué en termes de droits humains.L’obligation d’agir pour protéger les droits humains et sociaux et assurer une surveillance indépendante et effective de la situation des droits humains devrait s’appliquer à toutes les agences de crédit à l’exportation et être la condition préalable à tout soutien. Amnesty International espère à présent que l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche continueront à montrer la voie, comme elles l’ont fait dans ce dossier.

Complément d’information

Les agences de crédit à l’exportation sont des organismes publics à travers lesquels les gouvernements apportent un soutien direct aux entreprises nationales opérant ou investissant à l’étranger – habituellement dans les pays en voie de développement et sur les marchés émergents. Les agences de crédit à l’exportation soutiennent souvent des entreprises opérant dans des secteurs dans lesquels les atteintes aux droits humains sont fréquentes – comme les industries extractives ou les grands projets d’infrastructures – et accordent leur appui à des projets situés dans des zones à risques, notamment des régions affectées par des conflits. Les agences de crédit à l’exportation se servent dans les faits de l’argent des contribuables pour permettre à des entreprises privées d’investir et d’opérer à l’étranger à moindre coût et en minimisant les risques pour elles.

L’absence de cadre effectif sur lequel les agences de crédit à l’exportation pourraient s’appuyer pour répondre à l’obligation d’agir pour protéger les droits humains les a souvent amenées à soutenir des projets ou des entreprises impliqués dans de graves atteintes aux droits humains. Selon Amnesty International, il en va de la responsabilité des gouvernements de réguler les opérations des agences de crédit à l’exportation afin de s’assurer qu’ils ne soutiennent pas à travers elles des projets susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes.

Amnesty International appelle les gouvernements à veiller à ce que leurs agences de crédit à l’exportation exigent de fortes garanties en matière de droits humains, fixées par la loi. Cela doit inclure l’obligation d’agir pour protéger les droits humains. Tous les projets et toutes les entreprises demandant le soutien des agences de crédit à l’exportation devraient faire l’objet d’une évaluation tenant compte des droits humains et fixant un seuil clair pour le rejet des demandes. Un processus de surveillance doit également être mis en place par les agences de crédit à l’exportation pour vérifier que leurs clients se conforment aux politiques des agences de crédit à l’exportation en matière de droits humains.

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