La visite, vendredi 4 septembre, des commissaires européens Frans Timmermans et Dimitris Avramopoulos sur l’île grecque de Kos doit être suivie de mesures immédiates visant à soulager les souffrances prolongées de milliers de réfugiés parmi lesquels se trouvent de nombreux mineurs, dont les conditions de vie sur place sont inhumaines, a déclaré Amnesty International après avoir effectué une mission de recherche sur cette île cette semaine.
L’organisation a été témoin d’une attaque violente contre des réfugiés dans la nuit du 3 au 4 septembre et elle a recensé les conditions extrêmement difficiles auxquelles sont confrontés les réfugiés sur l’île. Elle a trouvé des enfants n’ayant parfois pas plus d’une semaine parmi les foules forcées à attendre dans une chaleur étouffante, parfois pendant des jours, pour se faire enregistrer par les autorités locales. Les chercheurs ont par ailleurs recueilli les propos de mineurs non accompagnés détenus dans des conditions déplorables auprès d’adultes.
« Les réfugiés que nous avons rencontrés à Kos ont fui des pays tels que la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak, où ils ont connu la guerre et la persécution. Parmi eux se trouvent des mineurs ; certains sont avec leur famille mais d’autres ont effectué le trajet seuls. Les conditions épouvantables que ces réfugiés sont désormais forcés d’endurer et l’indifférence des autorités face à leur situation sont choquantes », a déclaré Kondylia Gogou, spécialiste de la Grèce à Amnesty International, qui vient de rentrer de Kos.
Attaqués par des casseurs
Dans la nuit du 3 au 4 septembre du personnel d’Amnesty a vu un groupe de 15 à 25 personnes brandissant des battes se ruer sur des réfugiés sur l’île de Kos en scandant « rentrez dans votre pays » et des insultes. Le groupe a également menacé des militants, dont des membres du personnel d’Amnesty International. Une militante qui prenait des photos s’est fait arracher son appareil et a été légèrement blessée. La police n’a pas empêché le groupe de s’approcher, et les forces anti-émeutes ne sont intervenues qu’une fois que l’assaut avait commencé ; elles ont alors utilisé du gaz lacrymogène pour disperser la foule.
« L’attaque violente de la nuit dernière illustre les dangers auxquels sont confrontés les réfugiés et les militants qui leur viennent en aide », a déclaré Kondylia Gogou. « Des mesures doivent être prises dès maintenant pour assurer la protection de tous. »
Conditions inhumaines à Kos
Entre 3 000 et 4 000 réfugiés se trouvaient semble-t-il sur l’île durant la mission d’Amnesty International. En l’absence de lieux d’hébergement officiels, la plupart attendent dans des conditions déplorables qu’on les enregistre avant de continuer leur périple vers la Grèce continentale et au-delà. La majorité seraient originaires de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. En tout, plus de 31 000 réfugiés sont arrivés à Kos depuis le début de l’année, et les garde-côtes grecs ont enregistré une hausse depuis juin 2015.
La plupart des réfugiés n’ont pas les moyens de s’offrir un hébergement et dorment sous des tentes, ou dehors dans des conditions épouvantables ou à l’hôtel Captain Elias, qui est délabré. Si des résidents locaux et l’organisation non gouvernementale humanitaire Médecins sans frontières leur prêtent assistance, les autorités municipales ne leur ont fourni que très peu d’aide et ont même fermé les toilettes publiques.
La police de Kos utilise actuellement un vieux poste de police pour enregistrer ces personnes avant qu’elles ne quittent l’île. Les chercheurs d’Amnesty International se sont rendus sur place mercredi 2 septembre et ont vu près de 100 réfugiés, dont une femme portant dans ses bras sa petite fille âgée d’une semaine, assis par terre dans une cour. Personne n’avait proposé d’eau à ceux qui attendaient qu’on les enregistre. L’intense chaleur estivale était à peine atténuée par un parasol situé au milieu de la cour et ne pouvant protéger que quelques personnes.
Entre 200 et 300 autres personnes attendaient d’entrer dans le poste de police - beaucoup ont dit qu’elles attendaient depuis des jours. Un Irakien de 28 ans a déclaré qu’il attendait depuis une semaine.
Ce ne sont pas les autorités qui fournissent des renseignements relatifs aux droits et procèdent à l’identification des groupes vulnérables, mais le personnel du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) déployé sur l’île.
La situation est exacerbée par la réticence des autorités locales à ouvrir un centre d’accueil permanent permettant d’héberger suffisamment de personnes, et par l’absence d’une réaction coordonnée et efficace.
À la mi-août, ces faiblesses ont abouti à une situation critique où plus de 2 000 personnes se sont retrouvées enfermées dans des conditions inhumaines à l’intérieur du stade local. Certaines informations ont émergé, faisant état d’un recours excessif à la force contre des réfugiés attendant d’être enregistrés.
Des mineurs détenus avec des adultes
Amnesty International a rencontré quatre garçons, trois Pakistanais et un Syrien âgés de 16 ou 17 ans, qui étaient détenus dans une cellule de police crasseuse à côté de suspects adultes.
Leurs conditions d’incarcération étaient déplorables - des matelas vieux et sale, pas de couverture, des lumières hors service et une forte odeur émanant de toilettes proches qui étaient sales et débordaient.
« J’ai fait le trajet vers la Grèce avec une autre famille de réfugiés [...] Quand j’ai montré mon passeport, la police m’a arrêté. Ma famille est sans nouvelle de moi depuis que j’ai été arrêté », a déclaré le jeune Syrien, 16 ans, qui était arrivé sans ses parents.
L’adolescent n’avait pas eu accès à un avocat ni reçu de conseils juridiques au cours des trois jours écoulés depuis son arrestation.
« À côté des familles de touristes passant leurs vacances d’été à Kos et des familles locales qui préparent la rentrée des classes, le contraste avec les souffrances des enfants réfugiés est on ne peut plus frappant », a déclaré Kondylia Gogou.
Recommandations
Amnesty International demande :
– aux autorités locales à Kos de coopérer avec les autorités centrales et d’établir des centres d’accueil et d’héberger les nouveaux arrivants dans des conditions dignes jusqu’à ce que les procédures nécessaires d’enregistrement soient terminées. Elles doivent immédiatement transférer tout mineur non accompagné vers un lieu d’accueil adapté, jusqu’à ce que toutes les procédures aient été menées à bien et qu’ils puissent être placés dans des centres d’accueil pour mineurs non accompagnés en Grèce continentale ;
– au gouvernement grec de mettre rapidement en œuvre les projets annoncés lors d’une conférence de presse jeudi 3 septembre, notamment en déployant de toute urgence du personnel d’accueil initial (comme cela s’est passé à Lesbos et Samos) afin d’aider à identifier les groupes vulnérables. Il doit par ailleurs garantir que l’autorité chargée de la gestion des fonds de l’Union européenne tels que le Fonds « Asile, migration et intégration » débute ses opérations le plus rapidement possible ;
– à l’Union européenne d’aider les autorités grecques en leur prodiguant un soutien financier provenant du fonds de solidarité et d’urgence de l’UE afin de faire face à la crise actuelle. La Grèce a par ailleurs besoin d’un soutien logistique et opérationnel pour répondre aux besoins de ceux qui arrivent sur ces îles. Plus important encore, les États membres de l’UE doivent soulager la pression exercée sur la Grèce à plus long terme en réformant le système d’asile de l’UE et en proposant des itinéraires d’accès sûrs et légaux vers l’Europe à ceux qui ont besoin de protection. Cela suppose d’augmenter fortement le nombre de places de réinstallation destinées aux réfugiés les plus vulnérables identifiés par le HCR, de recourir plus souvent aux visas humanitaires et de proposer de meilleures solutions pour les regroupements familiaux.
« Il s’agit d’une crise à tous les niveaux. Les autorités locales en Grèce ne sont pas disposées à fournir l’aide requise, les autorités nationales semblent incapables de le faire, et les dirigeants européens se montrent indécis face à une crise humanitaire qui ne cesse de s’étendre », a déclaré Kondylia Gogou.
Complément d’information
Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, et Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen aux Migrations, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté, seront à Kos vendredi 4 septembre pour observer la situation, car les autorités locales éprouvent des difficultés à faire face à l’augmentation du nombre de réfugiés arrivés au cours de l’été.
Jeudi 3 septembre, les ministres du gouvernement grec se sont réunis à Athènes pour discuter de la réaction actuelle à la crise des réfugiés dans les îles de la mer Égée.
Les ministres ont annoncé, entre autres mesures, la création d’un centre de coordination chargé de gérer les arrivées de réfugiés, ainsi que le déploiement de personnel et d’équipements supplémentaires pour l’enregistrement et l’identification de réfugiés. Ils ont aussi déclaré que des démarches étaient en cours afin de pouvoir bénéficier immédiatement des fonds de l’UE qui étaient disponibles. Ils ont également demandé à l’UE de fournir le soutien financier et logistique requis.
Des responsables des forces de police ont déclaré à Amnesty International que sans fonds d’urgence supplémentaires en provenance de l’UE, il serait extrêmement difficile de déployer du personnel et des équipements dans les îles de la mer Égée, d’établir des zones où les réfugiés pourraient se faire enregistrer dans des conditions dignes, et d’améliorer les conditions de détention avant la fin de l’année.
Selon des chiffres avancés par le gouvernement grec, 157 000 réfugiés sont arrivés en Grèce par la mer en juillet et août. Au cours des huit premiers mois de l’année, plus de 230 000 personnes sont arrivées par la mer. C’est plus de 13 fois plus que les 17 000 personnes arrivées au cours de la même période en 2014. Il s’agit de réfugiés dans l’immense majorité des cas.