Le 2 mai, le gouvernement grec a soumis en consultation publique un projet de loi, qui supprime les conditions d’intervention, de tests ou de traitements médicaux préalables en lien avec la santé physique et psychologique d’une personne, pour modifier le marqueur de genre et le nom.
Selon Amnesty International, si le Parlement grec adopte ce projet de loi, les personnes transgenres en Grèce pourraient obtenir la reconnaissance juridique de leur identité de genre, tout en jouissant de leur droit à l’intégrité physique et du droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Cependant, le texte proposé présente de graves lacunes dans différents domaines. En effet, la reconnaissance juridique du genre dépendrait du statut de célibat – contraignant les personnes mariées à divorcer en vue de l’obtenir. Les adolescents de moins de 17 ans sont exclus de la possibilité d’obtenir un changement d’état-civil et le marqueur de genre modifié doit correspondre à l’« apparence extérieure » de la personne. Le texte de loi ne précisant pas de quelle manière cela sera jugé, il sera peut-être attendu des personnes demandant de modifier leur genre à l’état-civil qu’elles se conforment aux stéréotypes en matière de genre.
Enfin, le projet de loi ne met pas en place de procédure rapide, transparente et accessible, fondée sur l’autodétermination. Il bafouerait le droit à la vie privée, notamment pour les enfants de transgenres et leurs parents, car il n’autorise pas à porter la modification sur le certificat de naissance d’un enfant lorsque ses parents ont légalement changé de genre. En outre, le projet de loi exige que les demandeurs présentent un certificat de naissance délivré en Grèce, ce qui empêche certaines personnes transgenres appartenant à des groupes tels que les réfugiés et les migrants d’obtenir la reconnaissance juridique de leur genre en Grèce.
Amnesty International demande au gouvernement grec de modifier le projet de loi sur la reconnaissance juridique du genre et de l’aligner sur les normes relatives aux droits humains, et notamment de :
- supprimer la condition relative au célibat ;
– supprimer toutes les restrictions relatives à l’âge et autoriser l’accès aux mineurs, en se fondant sur leur intérêt supérieur, et en prenant en compte leurs capacités évolutives et leur droit d’être entendus ;
– supprimer la condition de correspondance entre marqueur de genre et apparence extérieure liée au genre ;
– permettre aux personnes de faire modifier leur nom et leur genre officiels, y compris sur les documents délivrés par les autorités, afin de les faire correspondre à l’identité de genre à laquelle ces personnes s’identifient – via une procédure rapide, simple et transparente – sans limiter le nombre de modifications possibles ;
– garantir que la reconnaissance juridique du genre ne s’applique pas uniquement aux personnes ayant des certificats de naissance délivrés par un bureau d’état-civil grec, et que les personnes transgenres ayant obtenu une reconnaissance de leur identité de genre dans un autre pays voient cette décision reconnue en Grèce, sans avoir à entamer une nouvelle procédure ;
– permettre aux personnes qui s’identifient à un genre autre qu’homme et femme d’obtenir des documents officiels qui reflètent leur identité de genre.
INFORMATIONS GÉNÉRALES
Jusque récemment, les tribunaux grecs demandaient généralement aux transgenres sollicitant un changement de genre et de nom de fournir des certificats attestant qu’ils avaient suivi des traitements médicaux, tels que l’ablation de leurs organes génitaux, des traitements hormonaux et un diagnostic psychiatrique établissant leur « trouble d’identité de genre ». Cependant, des jugements historiques au cours des deux dernières années témoignent d’une évolution de la pratique judiciaire. En 2016, dans le cadre d’une affaire déposée par un homme transgenre, le tribunal de première instance d’Athènes a statué qu’une intervention chirurgicale n’était pas une condition obligatoire pour reconnaître juridiquement son identité de genre.
Au terme d’une longue attente, le projet de loi sur la « Reconnaissance juridique de l’identité de genre – Mécanisme national de surveillance et d’évaluation du Plan d’action sur les droits de l’enfant » a été présenté par le ministère de la justice, de la transparence et des droits de l’homme le 2 mai 2017.
Dans une lettre adressée le 13 mai à Stavros Kondonis, ministre de la Justice, de la Transparence et des Droits de l’homme, Amnesty International a suggéré plusieurs observations et recommandations et demandé au ministre de les prendre en compte dans la révision du projet de loi sur la reconnaissance juridique de l’identité de genre.
À l’achèvement de la consultation publique, mi-juin 2017, le projet de loi a été transmis au Secrétariat général du gouvernement. Dans un discours, Maria Yannakaki, secrétaire générale pour la transparence et les droits de l’homme, a annoncé qu’il devrait être soumis à l’approbation du Parlement durant l’été.
Amnesty International a analysé ce projet de loi et identifié les lacunes suivantes :
CONDITIONS NON CONFORMES AU DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS HUMAINS
Amnesty International estime que le critère relatif au statut de célibat est discriminatoire envers les transgenres qui sont mariés et souhaitent le rester et, en conséquence, demande sa suppression. Ce critère contraint les personnes transgenres à choisir entre leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, et leurs droits de se marier et de fonder une famille et leur droit au respect de la vie privée et familiale.
Du fait de cette condition, les personnes mariées qui demandent la reconnaissance juridique de leur genre choisi se retrouveront face à un dilemme injuste et onéreux. Elles doivent renoncer à la protection juridique acquise dans le cadre de leur union, et au droit de leur partenaire et de leurs enfants à une vie privée et familiale, ou renoncer à la reconnaissance juridique de leur genre choisi, une violation de leur droit à la vie privée et à la reconnaissance de leur personnalité juridique. Les transgenres qui choisissent de contracter une nouvelle union légale avec leur ex-époux ou ex-épouse, s’ils sont tous deux du même genre, peuvent seulement opter pour l’union civile, car la loi en Grèce n’autorise pas le mariage entre personnes de même sexe. L’union civile garantit des droits plus limités que le mariage : par exemple, les couples de même sexe ayant contracté une union civile ne peuvent pas adopter d’enfants.
L’organisation estime que la modification récemment annoncée concernant le projet de loi est un pas dans la bonne direction. Les adolescents âgés de 17 ans peuvent obtenir la reconnaissance juridique de leur genre s’ils ont le consentement des parents. Toutefois, cette disposition exclut encore les mineurs âgés de moins de 17 ans, ainsi que les adolescents âgés de 17 ans dont les parents ne donnent pas leur accord.
Fixer une limite d’âge entre en contradiction avec les normes internationales existantes relatives aux droits de l’enfant et ces restrictions n’ont pas leur place dans le projet de loi. La reconnaissance juridique du genre doit être accessible aux mineurs en fonction de leur intérêt supérieur, en prenant en compte leurs capacités évolutives et leur droit d’être entendus.
La reconnaissance juridique de l’identité de genre ne doit pas dépendre de la cohérence entre le nouveau marqueur de genre et l’apparence extérieure de la personne. Ce critère est fondé sur des notions et des attentes stéréotypées liées au genre ; or, la reconnaissance juridique du genre ne doit pas dépendre du fait de se conformer à des stéréotypes en matière de genre. Aussi Amnesty International exhorte-t-elle les autorités grecques à supprimer ce critère.
LA PROCÉDURE POUR LA RECONNAISSANCE JURIDIQUE DE L’IDENTITÉ DE GENRE NE REMPLIT PAS LES CRITÈRES DE RAPIDITÉ, DE TRANSPARENCE, D’ACCESSIBILITÉ ET D’AUTO-DÉTERMINATION
Amnesty International note que la procédure envisagée ne remplit pas les critères de rapidité, de transparence, d’accessibilité et d’auto-détermination établis dans les documents internationaux relatifs aux droits humains, comme la résolution sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Tout d’abord, le changement du marqueur de genre est subordonné à la décision d’un juge et ne se fonde pas sur la déclaration de la personne. Le demandeur doit aussi se présenter en personne devant le tribunal compétent. En outre, l’assistance d’un avocat est nécessaire dans cette procédure.
Des ONG nationales proposent que la procédure, afin de remplir les critères susmentionnés, consiste en une déclaration devant le service d’état-civil compétent pour changer le sexe et le nom. En outre, la limitation du nombre de fois où une personne peut changer son marqueur de genre restreint inutilement les droits des personnes transgenres et doit être supprimée.
Enfin, au titre du projet de loi, les autorités qui délivrent des documents (passeports et cartes d’identité notamment) sont tenues d’en délivrer de nouveaux, mais la procédure associée n’est pas déclenchée automatiquement. La Grèce doit veiller à ce que les personnes puissent obtenir des documents officiels – passeports, cartes d’identité et certificats de scolarité notamment – portant leur nom et leur genre, sans que cela ne représente une charge financière et bureaucratique excessive.
ENFANTS DE PERSONNES TRANSGENRES ET DROIT À LA VIE PRIVÉE
Les personnes transgenres doivent être autorisées à faire modifier leur nom et leur genre sur tous les documents officiels délivrés par l’État. Amnesty International est vivement préoccupée par la disposition selon laquelle le sexe des transgenres ne peut pas être corrigé sur le certificat de naissance d’un enfant né avant que l’un de ses parents n’ait changé légalement de genre. Cette disposition bafoue le droit à la vie privée des enfants et de leurs parents, et doit être supprimée.
GROUPES EXCLUS PAR LE PROJET DE LOI
Le projet de loi ne prévoit pas de délivrer des documents officiels indiquant l’identité de genre de personnes qui ne s’identifient ni en tant que femme ni en tant qu’homme. En outre, la procédure ne s’applique pas aux personnes qui ne sont pas en possession d’un certificat de naissance délivré par l’état-civil grec. Résultat, les ressortissants de l’UE, les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés transgenres qui vivent en Grèce sont confrontés à un obstacle injustifié et ne pourront pas obtenir la reconnaissance juridique de leur identité de genre en Grèce. Cela est particulièrement inquiétant à la lumière de la vulnérabilité de certains groupes comme les femmes transgenres réfugiées et migrantes, très exposées aux violences et aux menaces de violence en raison de leur identité de genre et de leur expression de genre.