Communiqué de presse

Inde. La nouvelle loi sur la violence sexuelle comporte des avancées et des régressions

Le Parlement indien a adopté une nouvelle loi visant à lutter contre la violence sexuelle. Positif à certains égards, ce texte comporte plusieurs lacunes et n’est pas conforme aux obligations de l’Inde au regard du droit international, a déclaré Amnesty International.

Le 21 mars, la chambre haute du Parlement indien a adopté la Loi portant modification du Code pénal, qui entrera en vigueur lorsque le président l’aura ratifiée.

La chambre basse a approuvé la loi deux jours plus tôt, avec moins de la moitié de ses membres présents et votants.

« Cette nouvelle loi comporte certaines dispositions satisfaisantes, a déclaré G. Ananthapad-manabhan, directeur de la section indienne d’Amnesty International. Elle pénalise différentes formes de violence contre les femmes, notamment les attaques à l’acide, le harcèlement de type « traque » (stalking) et le voyeurisme. Elle tient davantage compte des besoins des personnes handicapées, prévoit certaines procédures plus favorables aux victimes pour l’établissement des preuves, et supprime la nécessité d’une autorisation préalable du gouvernement pour pouvoir poursuivre les fonctionnaires accusés de viol et de certaines formes de violence sexuelle. »

« Cependant, la loi est décevante à d’autres égards. Elle ne tient pas compte d’autres types de violence contre les femmes, maintient l’âge de consentement à 18 ans, et restreint l’accès des victimes aux soins de santé et à l’assistance juridique. Elle réduit à néant la plupart des avancées réalisées sur ces questions par la Commission Verma. Elle introduit également des dispositions profondément régressives, comme le recours à la peine de mort et l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération pour certaines infractions. »

« La loi continue d’encourager l’impunité en cas de viols commis par des époux ou des membres des forces de sécurité. Il est vrai qu’elle impose des peines plus sévères pour certains types de viols imputables aux forces de sécurité mais, si le gouvernement n’autorise pas les poursuites, les affaires de ce genre ne passeront que rarement devant les tribunaux. »

Aucune consultation publique n’a eu lieu sur ce texte, et ni les groupes de la société civile, ni la population en général n’ont eu la possibilité de réagir à ses dispositions.

« La nouvelle loi est loin de répondre pleinement à l’ampleur des violences sexuelles que subissent quotidiennement les femmes dans notre pays, a ajouté G. Ananthapadmanabhan. Il est regrettable que des consultations avec le public et la société civile n’aient pas eu lieu, et que les parlementaires n’aient pas suffisamment étudié les diverses lacunes de cette loi. Le Parlement avait l’occasion de changer radicalement le traitement des femmes dans la législation indienne, mais n’a pas su l’exploiter totalement. »

En décembre 2012, après le viol en réunion et la mort d’une femme de 23 ans à Delhi, des voix se sont élevées pour exiger une réforme du droit pénal en Inde. Le gouvernement a mis en place une commission de trois membres, dirigée par l’ancien président de la Cour suprême JS Verma, afin de revoir les lois relatives aux agressions sexuelles. Toutefois, en février, le président a signé l’Ordonnance de 2013 portant modification du Code pénal, qui ne tenait pas compte de nombreuses recommandations essentielles de la Commission Verma.

La Loi de 2013 portant modification du Code pénal a été rédigée pour remplacer cette ordonnance. Plusieurs dispositions de cette loi sont loin de satisfaire aux normes internationales en matière de droits humains

Complément d’information sur certains aspects de la loi :

Reconnaissance limitée du viol dans le contexte marital

La loi ne punit pas le viol conjugal si la femme est âgée de plus de 15 ans. Seul le viol commis dans un mariage où les époux vivent séparément peut être puni, et la peine encourue est inférieure à celle sanctionnant un viol hors mariage. Cette exception porte atteinte aux droits des femmes en matière d’égalité et d’autonomie sexuelle. Le droit international exige que nulle exemption liée au statut marital ne soit faite pour les auteurs de violences sexuelles. L’exception qui autorise le viol de jeunes filles mariées entre les âges de 15 et 18 ans par leur époux bafoue les obligations juridiques internationales de l’Inde en matière de protection des enfants contre les abus.

Immunité pour les forces de sécurité

La loi ne supprime pas l’immunité juridique dont bénéficient les membres des forces de sécurité accusés de violences sexuelles en vertu de lois spéciales, comme la Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées. La Commission Verma a noté que ces lois légitimaient l’impunité pour les violences sexuelles (systématiques ou ponctuelles), du fait qu’elles rendaient nécessaires une autorisation préalable du gouvernement avant que les forces de sécurité puissent être poursuivies pénalement. Comme cette autorisation est rarement accordée, les dispositions en vigueur mettent de fait les forces de sécurité au-dessus de la loi, et privent les victimes de toute possibilité de réparation.

Maintien du concept de « pudeur »

La loi ne modifie pas les articles 354 et 509 du Code pénal, qui définissent des infractions en fonction de concepts tels que la pudeur et la morale, et non en fonction de l’intégrité physique et mentale de la victime. Ces concepts perpétuent les stéréotypes concernant le comportement attendu des femmes et peuvent entraver l’accès de ces dernières à la justice. Ils constituent également une violation des obligations juridiques internationales de l’Inde visant à modifier toutes les lois contenant des dispositions discriminatoires envers les femmes.

Peine de mort

La loi prévoit la peine de mort pour toute agression sexuelle entraînant la mort ou un état végétatif persistant de la victime, ou dans le cas de certaines récidives. Amnesty International s’oppose en toutes circonstances et sans aucune exception à la peine capitale car elle constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, ainsi qu’une violation du droit à la vie. La Commission Verma s’était également opposée à l’usage de la peine de mort en toutes circonstances. Les deux tiers des pays du monde ont renoncé à la peine de mort, ce qui reflète une tendance mondiale en faveur de l’abolition de ce châtiment.

Emprisonnement à vie sans possibilité de libération

Pour certains crimes, y compris les viols collectifs et les viols commis par des personnes en position d’autorité, la loi prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller « au-delà du restant de la vie naturelle de la personne concernée ». Refuser aux prisonniers une révision éventuelle de leur peine (sursis ou commutation) va à l’encontre du caractère modifiable d’une sentence et de la vocation de réadaptation du système carcéral par rapport aux délinquants. Une sentence non modifiable peut également constituer une violation du droit international, qui proscrit les châtiments cruels, inhumains ou dégradants.

Âge de consentement

La Commission Verma avait recommandé que l’âge de consentement passe de 18 à 16 ans, mais la loi a maintenu l’âge de 18 ans. Il est certes important de pénaliser les relations sexuelles avec un enfant ou un adolescent incapable de donner un consentement valable, mais la loi doit aussi reconnaître que les adolescents sont de plus en plus à même de faire des choix en matière de sexualité.

Non-reconnaissance du viol des hommes

En définissant le viol comme un acte commis par un homme contre une femme, la loi ne tient pas compte des recommandations de la Commission Verma qui visent à pénaliser les agressions sexuelles commises contre des hommes ou des transgenres. Le viol commis à l’encontre de toute personne, indépendamment de son genre, doit être pénalisé. De par ses obligations au regard du droit international, l’Inde doit veiller à ce que toutes les personnes soient protégées contre la violence, sans distinction d’aucune sorte.

Relation homosexuelles librement consenties

La loi n’abroge pas l’article 377 du Code pénal pénalisant les relations homosexuelles librement consenties entre adultes. En 2009, la Haute Cour de New Delhi a estimé que l’incrimination de ce type de relations était une atteinte aux droits à l’égalité, à la non-discrimination, à la vie, à la dignité et au respect de la vie privée, droits garantis par la Constitution.

Photo © Louis Dowse / Demotix

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