Communiqué de presse

Indonésie. Le nouveau gouvernement doit cesser de criminaliser les opinions par le biais de lois oppressives sur le blasphème

Les autorités indonésiennes recourent de plus en plus souvent à toute une série de lois oppressives relatives au blasphème afin d’emprisonner des personnes pour leurs convictions, ce qui contribue à un climat d’intolérance croissante dans le pays, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique vendredi 21 novembre.

Ce document, intitulé Prosecuting Beliefs montre que le nombre de condamnations pour blasphème a explosé au cours de la décennie passée au pouvoir par l’ancien président Susilo Bambang Yudhoyono (2004-2014), par rapport aux gouvernements précédents. Des dizaines de personnes ont été emprisonnées - certaines seulement pour avoir sifflé pendant la prière, fait état de leurs opinions sur Facebook ou dit qu’elles avaient eu une « révélation divine ».

« Les lois indonésiennes sur le blasphème sont contraires aux normes et au droit internationaux, et doivent être abrogées de toute urgence. Nous avons recueilli des informations sur plus de 100 individus incarcérés pour n’avoir rien fait d’autre qu’exprimer leurs convictions de manière pacifique - ils sont tous des prisonniers d’opinion et doivent être relâchés immédiatement et sans condition  », a déclaré Rupert Abbott, directeur des recherches pour la région Asie du Sud-Est et Pacifique à Amnesty International.


« Personne ne devrait craindre d’exprimer ses opinions et convictions religieuses. Le nouveau gouvernement de Joko Widodo se voit offrir l’occasion de renverser cette tendance alarmante et d’inaugurer une nouvelle ère de respect des droits humains.
 »

Si la soi-disant « loi sur le blasphème », qui est le texte le plus fréquemment invoqué pour poursuivre les personnes pour blasphème, est entrée en vigueur en 1965 et figure dans le Code pénal, elle était rarement utilisée avant l’arrivée au pouvoir du président Yudhoyono.

Depuis 2004, Amnesty International a relevé au moins 106 cas de personnes condamnées en vertu de diverses lois sur le blasphème, et condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Les convictions religieuses de beaucoup des personnes déclarées coupables sont considérées comme minoritaires.

Les cas de blasphème sont pour la plupart traités au niveau local, où acteurs politiques, groupes islamistes radicaux et forces de sécurité sont souvent de connivence lorsqu’il s’agit de prendre les minorités pour cible. Il suffit parfois d’une accusation ou d’une rumeur pour qu’une personne soit poursuivie pour blasphème. De nombreux individus sont harcelés ou attaqués par des groupes partisans de la ligne dure, et sont jugés dans un climat menaçant. Les condamnations sont souvent justifiées au nom du « maintien de l’ordre public ». Le précédent gouvernement indonésien s’est abstenu de mettre un terme à ces pratiques.

La multiplication des poursuites pour blasphème doit être considérée dans un contexte plus large, dans lequel le respect de la liberté de religion a été compromis. Au cours de la décennie écoulée, les minorités sont devenues de plus en plus souvent victimes de violences collectives ou d’autres types d’attaques, dont les auteurs sont rarement amenés à rendre des comptes.

Le cas de Tajul Muluk, un responsable musulman chiite de la province de Java-Est, qui purge actuellement une peine de quatre ans d’emprisonnement pour blasphème est très représentatif.

Tajul Muluk dirigeait un internat religieux dans son village de Sampang, quand en 2006 des responsables locaux sunnites ont commencé à qualifier ses enseignements de « déviants ». En décembre 2011, des centaines de villageois chiites ont été contraints à fuir leur domicile par une foule agressive. En mars 2012, la police locale a ouvert une enquête pour blasphème contre Tajul Muluk, et il a été condamné à deux ans de prison, puis à quatre ans en appel.

Il se trouve toujours derrière les barreaux et la plupart des chiites chassés de son village se voient interdire de rentrer chez eux, tandis que le gouvernement justifie cela par des raisons de sécurité mais ne fait pas grand chose pour trouver une solution globale.

« Le cas de Tajul Muluk illustre de manière frappante à quel point les minorités sont menacées et attaquées de toutes parts en Indonésie. Les lois sur le blasphème renforcent ce climat de peur, et donnent aux groupes radicaux un outil de plus pour opprimer les membres de minorités religieuses  », a déclaré Rupert Abbott.

La loi sur le blasphème a inspiré un certain nombre de textes plus récents, dont les autorités se servent pour sévir contre la liberté de religion. La loi indonésienne régissant l’information et les échanges électroniques a par exemple été utilisée afin de poursuivre certaines personnes pour des contenus « blasphématoires » publiés sur les réseaux sociaux.

Alexander An, un fonctionnaire de 30 ans, a été condamné à deux ans et demi de prison en juin 2012 pour avoir publié un commentaire sur la page Facebook d’un groupe athée de sa région en 2012. Avant d’être déclaré coupable, il a dû recevoir une protection policière après qu’une foule en colère se fut rassemblée sur son lieu de travail pour menacer de le frapper.

Ces lois sur le blasphème bafouent diverses obligations internationales de l’Indonésie en matière de droits humains, en vertu desquelles les libertés d’expression, de conscience et de religion doivent être protégées et respectées.

Amnesty International engage les nouvelles autorités indonésiennes à adopter en urgence des mesures dans le but d’abroger les lois sur le blasphème.

L’organisation est encouragée par les engagements pris par le nouveau gouvernement ces dernières semaines afin de renforcer la protection des minorités religieuses.

«  La réduction de l’espace dévolu à la liberté religieuse en Indonésie au cours de la décennie écoulée est profondément inquiétante. Le nouveau gouvernement du président Widodo se voit offrir l’opportunité de tourner la page sur ce terrain - il ne faut pas laisser passer cette chance », a déclaré Rupert Abbott.

«  Il est encourageant d’entendre le président Joko Widodo s’engager en faveur des droits humains, mais il est désormais temps de traduire ces paroles en actes. »

Complément d’information

La publication de la synthèse intitulée Prosecuting Beliefs coïncide avec la venue en Indonésie de délégués d’Amnesty International, qui ont rencontré divers représentants du gouvernement indonésien afin d’évoquer avec eux diverses questions en rapport avec les droits humains. En avril, l’organisation a lancé un programme en matière de droits humains à l’intention de ceux qui étaient alors candidats à l’élection présidentielle, en mettant en avant certaines questions auxquelles le nouveau gouvernement devrait s’attaquer en priorité.

Parmi les problèmes soulevés par la délégation figurent les violations des droits humains imputées à la police et à l’armée et l’absence persistante d’obligation de rendre des comptes. L’organisation a en outre demandé au nouveau gouvernement de prendre des mesures afin de protéger les droits des minorités religieuses et d’abroger ou réviser l’ensemble des règlements discriminatoires au niveau local qui font fi des obligations de l’Indonésie en matière de droits humains, notamment le décret ministériel de 2008 restreignant les activités du mouvement Ahmadiyya et le code pénal islamique de l’Aceh.

L’organisation a demandé au gouvernement indonésien de prendre des mesures positives pour tenir sa promesse de combattre la violence contre les femmes, d’éradiquer la discrimination à l’égard des femmes et de réviser les lois et règlements introduisant des discriminations envers les femmes et perpétuant les stéréotypes de genre.

Amnesty International a en outre fait part de sa préoccupation quant à la situation des droits humains dans la région de Papouasie, et demandé que les dizaines de personnes emprisonnées en Papouasie et dans les Moluques pour avoir exprimé leurs opinions politique de manière pourtant pacifique soient libérées, et que les organisation de défense des droits humains et les journalistes aient librement accès à la Papouasie.

L’organisation a exhorté le nouveau gouvernement à réexaminer tous les cas confiés au parquet en rapport avec les crimes de droit international perpétrés sous le régime du président Suharto et durant la période de reformasi (après 1998), notamment les atteintes de masse aux droits humains en 1965-1966 et les disparitions forcées de militants en 1997-1998, et de traduire en justice les responsables présumés dans le cadre de procédures qui soient conformes aux normes internationales d’équité en la matière, sans que la peine de mort ne puisse être imposée. Par ailleurs, une Commission vérité nationale devrait être établie, ainsi que des programmes nationaux de réparation pour remédier aux souffrances des victimes.

Enfin, Amnesty International a demandé l’instauration immédiate d’un moratoire sur les exécutions, en vue d’abolir de la peine de mort.

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