Communiqué de presse

Indonésie. Les victimes du conflit en Aceh attendent encore d’obtenir justice, vérité et réparations

Les victimes et parents de victimes attendent toujours que les autorités indonésiennes leur permettent d’obtenir vérité, justice et réparations complètes, près de huit ans après la fin du conflit dévastateur qu’a connu l’Aceh, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport diffusé jeudi 18 avril.

Ce document, intitulé Time to Face the Past, revient sur l’échec des autorités locales et centrales dans leur mission consistant à établir la vérité sur ce qui s’est passé pendant les années de violence ayant fait entre 10 000 et 30 000 morts, parmi lesquels de nombreux civils. Beaucoup de ceux qui ont vu leur vie détruite par le conflit continuent à souffrir terriblement.

« L’incapacité ou la réticence du gouvernement indonésien à faire en sorte que les victimes et familles de victimes aient véritablement accès à la vérité, à la justice et à des réparations cause d’immenses souffrances à la population de l’Aceh aujourd’hui », a déclaré Isabelle Arradon, directrice adjointe du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International.

«  Des parents de victimes ne savent toujours pas ce qui est advenu de leurs proches ayant " disparu " et éprouvent des difficultés à faire face tandis que les responsables restent en liberté. Cette situation alimente le ressentiment et risque de faire le lit d’un futur retour à la violence.  »

Ce conflit, qui a opposé le Mouvement pour l’Aceh libre (GAM) et le gouvernement indonésien, a débuté en 1976, et a connu son paroxysme durant des opérations militaires ayant duré de 1989 jusqu’à la signature d’un accord de paix en 2005.

La population de l’Aceh, une région située dans le nord de l’île indonésienne de Sumatra, a payé un lourd tribut au conflit.

Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits humains ont recensé toute une série de crimes commis par des membres des forces de sécurité et leurs auxiliaires contre la population civile, notamment des homicides illégaux, des disparitions forcées et des actes de torture.

Les violations des droits humains perpétrées par le GAM ont inclus des prises d’otages et des homicides ciblés de personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec le gouvernement.

Un grand nombre de ces atteintes aux droits humains constituent des crimes de droit international, dont de possibles crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Aux termes du droit international, l’Indonésie est tenue d’enquêter sur ces crimes et, lorsque suffisamment de preuves sont réunies, de poursuivre les suspects conformément aux normes internationales en matière d’équité des procès.

Par ailleurs, l’accord de paix de 2005 exigeait l’établissement d’un tribunal des droits humains et d’une commission Vérité et Réconciliation pour l’Aceh – ni l’un ni l’autre n’existent à ce jour. Presque aucun des responsables présumés de violations graves des droits humains n’ont été traduits en justice, tandis que les mesures concernant les réparations aux victimes sont insuffisantes.

« Les victimes auxquelles nous avons parlé sont satisfaites de la relative stabilité de leur quotidien depuis l’accord de paix de 2005, mais ne comprennent pas pourquoi leurs droits à la vérité et à la justice ne sont pas respectés  », a poursuivi Isabelle Arradon.

Si le gouvernement indonésien et la Commission nationale des droits humains ont mené des enquêtes d’une ampleur limitée sur ce qui s’est passé en Aceh, les conclusions de celles-ci n’ont pas été rendues publiques.

Les efforts visant à établir une commission Vérité à l’échelon national ont également échoué. En 2006, une loi relative à l’établissement d’une commission de ce type, qui présentait de nombreuses lacunes, a été déclaré anticonstitutionnelle par la Cour constitutionnelle parce qu’elle disposait que les victimes ne pourraient recevoir de réparations qu’à condition que les personnes soupçonnées d’avoir commis les abus bénéficient d’une amnistie.

Il est prévu que le Parlement débatte une nouvelle fois de la création d’une commission vérité avant 2014, mais on ignore s’il existe une véritable volonté politique d’en établir une.

Parallèlement, les victimes et familles de victimes en Aceh n’ont aucune information sur ce qui s’est passé pendant le conflit – notamment sur le sort réservé à des centaines de personnes « disparues » dont on reste sans nouvelle.

Il existe un risque que des informations précieuses se perdent à mesure que le temps passe, ce qui rend l’établissement d’une commission vérité digne de ce nom d’autant plus urgent.

« [Nous] voulons savoir pourquoi le gouvernement n’a toujours pas reconnu que nous avons été victimes de violations des droits humains », a déclaré à Amnesty International un représentant des victimes de l’Aceh.

« Nous continuons à nous battre, pas contre le gouvernement, mais afin que le gouvernement se souvienne de ce qui nous est arrivé. Ils n’ont pas le droit d’oublier. »

Le manquement des autorités à leur obligation consistant à établir la vérité a contribué à créer une culture de l’impunité pour les graves violations des droits humains commises pendant le conflit – pas un seul nouveau cas n’a donné lieu à l’ouverture de poursuites depuis la signature de l’accord de paix de 2005.

Une atmosphère de peur continue en outre à planer sur l’Aceh ; des représentants de victimes ont ainsi déclaré à Amnesty International avoir été l’objet de menaces en raison de leur travail sur l’impunité pour les crimes du passé.

« Le fait que les auteurs de ces abus courent toujours a aujourd’hui de graves répercussions sur l’état de droit. Il n’existe actuellement aucun mécanisme de contrôle au sein des forces de sécurité qui permette d’identifier les personnes accusées de violations des droits humains et de garantir qu’elles n’exercent pas de fonctions dans lesquelles elles sont susceptibles de perpétuer ces anciennes pratiques  », a expliqué Isabelle Arradon.

« Cela est vrai à travers toute l’Indonésie, où nous continuons à relever de graves violations des droits humains perpétrées par les forces de sécurité.
"

Les initiatives des autorités en ce qui concerne l’octroi de réparations aux victimes du conflit en Aceh ont pour l’instant été inégales et insuffisantes.

Les mesures adoptées jusqu’à présent ont principalement pris la forme d’indemnisations, et concernent la population de l’Aceh dans son ensemble plutôt que des victimes individuelles de violations des droits humains.

Reste donc à mettre en place un programme complet de réparation qui, outre les indemnisations, comprenne d’autres mesures telles que des excuses officielles et des programmes de commémoration.

Certains groupes, comme le grand nombre de femmes ayant fait l’objet de violences sexuelles lors du conflit, n’ont pas pu bénéficier des programmes existants.

« En agissant sur la situation en Aceh, les autorités indonésiennes pourraient non seulement aider à guérir des plaies encore à vif mais également renforcer l’état de droit et garantir la paix à long terme », a conclu Isabelle Arradon.

« Cela enverrait par ailleurs un message fort aux autres victimes et familles de victimes de violations des droits humains en Indonésie, qui attendent des mesures garantissant vérité, justice et réparations en réponse à des crimes perpétrés dans d’autres situations.  »

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